Guerre du lait : la vraie bataille USA–Inde n’est pas autour du pétrole

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Ce n’est pas seulement le fait que l’Inde continue d’acheter du pétrole à la Russie qui irrite Trump. Les produits laitiers constituent désormais l’un des sujets de tension majeurs entre Washington et New Delhi. Et aucun des deux dirigeants n’est prêt à faire des concessions.

Donald Trump reproche à l’Inde de continuer à acheter du pétrole à la Russie. Mais les nouveaux droits d’importation, totalisant 50 % sur une série de produits indiens exportés, qui entreront en vigueur plus tard ce mois-ci, touchent surtout l’agriculture et les produits laitiers. Les discussions entre les deux pays sont aujourd’hui dans un cul-de-sac.

Animal sacré

Pour les politiciens nationalistes hindous comme Modi, la vache est plus qu’un animal de production : elle est sacrée. Et puis le secteur laitier est une source de fierté nationale, considéré comme un succès en matière de lutte contre la pauvreté, de politique avisée, de progrès technologique et de coopération internationale. L’Inde est depuis près de trente ans le premier producteur mondial de lait, fournissant un quart du total mondial. Aux yeux de ses partenaires commerciaux, en particulier les États-Unis, le secteur est toutefois inefficace, lourdement subventionné, polluant à cause des émissions de méthane et protégé par des droits d’importation élevés et un ensemble complexe de règles restrictives.

Cette divergence de points de vue complique l’agenda commercial de l’Inde. Les États-Unis ne sont pas les seuls à critiquer ce marché fermé. Le sujet pèse également sur les négociations avec l’Union européenne et a joué un rôle clé dans l’âpre conclusion de l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni signé le mois dernier. C’est probablement aussi lui qui a fait que l’Inde s’est retirée d’un grand accord commercial régional en 2019.

Pro-agriculture

La « révolution blanche » de 1970 reste un jalon. L’Inde possédait alors déjà plus de bovins que tout autre pays, mais la consommation moyenne de lait n’était que de 100 ml par jour, bien en dessous des recommandations nutritionnelles. Une partie devait être importée. Au tournant du siècle, la disponibilité de lait par habitant avait presque doublé, grâce aux croisements, à la modernisation et à un réseau de dizaines de milliers de coopératives qui ont amélioré la distribution et le stockage. L’aide européenne sous forme de poudre de lait et de beurre a également soutenu le secteur.

La productivité a encore augmenté depuis, mais la structure est restée largement inchangée. La « Révolution blanche 2.0 », lancée l’an dernier, vise une augmentation de 50 % de la production en cinq ans. Le secteur reste dominé par des millions de petites exploitations familiales : une seule vache à la ferme, du fumier comme engrais, du lait pour la consommation domestique et, parfois, une petite vente.

Selon Himanshu, professeur d’économie à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, Modi et Trump sont tous deux « pro-agriculture ». Mais la réalité agricole diffère fortement : l’Inde compte environ 200 millions de bovins, dont quelque 62 millions de vaches laitières. L’agriculteur moyen possède moins de quatre animaux et un hectare de terre. Environ 80 millions de familles élèvent des vaches ou des buffles d’eau. Aux États-Unis, il existe environ 24 000 exploitations laitières avec en moyenne 390 animaux.

Les coopératives indiennes garantissent aux agriculteurs un acheteur et paient un supplément lorsque les prix augmentent. Certaines sont devenues des acteurs nationaux, comme Amul, originaire du Gujarat, l’État natal de Modi et de son influent ministre Amit Shah. Le succès de ce modèle inspire des projets d’expansion vers des secteurs comme le tourisme, les taxis et l’énergie verte.

Réformes bloquées

Pourtant, la productivité reste faible. Une vache américaine produit en moyenne sept fois plus de lait qu’une vache indienne. L’Inde protège ses producteurs avec des droits de douane de 40 % sur la plupart des beurres et fromages, et de 60 % sur la poudre de lait. Sans cette protection, affirme Shashi Kumar, directeur d’Akshayakalpa – un producteur laitier biologique du sud de l’Inde travaillant avec 2 200 petits agriculteurs – « les petites entreprises feraient faillite ».

Les critiques américaines visent aussi les règles d’importation. L’Inde interdit les cultures génétiquement modifiées, à l’exception du coton, et prohibe le « lait non végétarien » : les produits laitiers importés doivent provenir de vaches n’ayant reçu aucun sous-produit animal. Les opposants y voient une barrière commerciale déguisée. Mais selon l’avocat et économiste agricole Vijay Sardana, cette règle a été introduite en 2003, après la crise européenne de la vache folle.

La protection des agriculteurs est profondément enracinée dans la politique indienne. Harish Damodaran, rédacteur spécialisé en agriculture à l’Indian Express, rappelle que les agriculteurs ont bloqué des réformes à deux reprises ces quatre dernières années. En 2021, des manifestations prolongées ont contraint Modi à retirer trois mesures de dérégulation jugées pourtant nécessaires par leurs partisans. La tentative de Trump d’imposer un changement par la diplomatie semble se diriger vers le même échec.

The Economist

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