Guerre commerciale : “La diplomatie ne peut pas durer. A un moment, l’Europe doit appuyer sur la gâchette”

« La mondialisation est déjà démolie. » Face à la nouvelle guerre commerciale lancée par Trump, Vassilis Akritidis, avocat spécialisé en droit commercial international, est d’avis que l’Europe doit sortir l’artillerie lourde. Bannissement de X, exclusion des entreprises américaines des marchés publics européens… L’UE doit frapper, vite et fort.
La mondialisation vacille. Et selon Vassilis Akritidis, avocat spécialisé en droit commercial international associé chez Crowell & Moring LLP que nous avons interrogé, ce n’est plus une hypothèse, c’est déjà un fait. Depuis le Texas où il est en déplacement d’affaires auprès de clients américains, il observe avec inquiétude les récentes offensives commerciales de l’administration Trump : surtaxes sur les produits chinois, menaces à l’égard de l’Union européenne, et volonté affichée de renverser l’ordre économique international.
C’est un vrai bouleversement mondial, c’est énorme. Trump n’essaie pas de détruire le système commercial mondial. Il l’a déjà fait.
« C’est comme une tempête, décrit-il, avec des éclairs violents, sans qu’on sache quand le prochain frappera. Peut-être dans cinq minutes, peut-être jamais, mais toujours par surprise. »
Il affirme sans détour : « C’est un vrai bouleversement mondial, c’est énorme. Trump n’essaie pas de détruire le système commercial mondial. Il l’a déjà fait. Et il l’a toujours annoncé. »
Un contexte imprévisible
Dans un tel contexte imprévisible, le président Trump a fait volte-face mercredi, à la surprise générale. Il a annoncé la suspension pour 90 jours de certains droits de douane imposés dans le cadre de l’IEEPA (NLDR: L’International Emergency Economic Powers Act est une loi américaine de 1977 qui permet au président d’imposer des sanctions économiques en cas d’urgence, sans l’approbation du Congrès.)
Il a aussi abaissé les différents droits de douane réciproques par pays à un taux fixe de 10 % pour tous les partenaires commerciaux, y compris l’UE. À l’exception de la Chine, où les droits de douane ont été portés à 125 %. Ce changement majeur a entraîné un fort rebond des marchés et a quelque peu apaisé les tensions, notamment sur les marchés financiers.
« Réagir maintenant ! »
Face à ces attaques et retournements de situation successifs, l’Union européenne temporise. Une première riposte commerciale a finalement été annoncée ce mercredi. Elle a été adoptée en comitologie mais elle n’est pas encore publiée. Ce jour d’entrée en vigueur des droits de douanes “réciproques”, maintenant réduite à 10%, émane en effet de l’administration Trump. Une liste de produits a été finalisée sur laquelle des droits de douane de 10% à 25% seront imposés à partir du 15 avril, puis du 15 mai.
En réaction à la suspension des droits de douane, la présidente de la Commission européenne a annoncé à son tour, la suspension de ces contre-mesures européennes, afin de “laisser la chance à la négociation.” Une deuxième vague de taxe pourrait suivre en décembre selon l’évolution des négociations avec les Etats-Unis. Une stratégie que notre interlocuteur juge faible. « Il faut réagir maintenant, comme l’a fait la Chine. Pas à moitié. Pas dans six mois. »
Il faut réagir maintenant, comme l’a fait la Chine. Pas à moitié. Pas dans six mois.

“La négociation avec Washington? Un leurre!“
Car selon notre avocat spécialisé, la négociation avec Washington est un leurre. « Trump ne veut pas d’un système commercial équilibré. Il veut inverser le déficit commercial, quoi qu’il en coûte. Et peu importe les chaînes de valeur mondiales, les préférences des consommateurs, ou les conséquences sociales. »
Même des propositions de compromis de l’Europe comme le zéro droit de douane sur les biens industriels ont été balayées d’un revers de la main. “Ce n’est pas une question de rééquilibrage des taux de droits d’entrée. C’est une vision idéologique, presque punitive.”
Restreindre ou bannir certains services numériques ?
L’Union européenne a pourtant des cartes en main. Des outils juridiques puissants, comme le DSA (Digital Services Act), pourraient être activés pour réduire temporairement certaines services des plateformes numériques américaines.
« Restreindre ou même bannir temporairement X, par exemple ? On pourrait l’envisager tout en examinant attentivement les conditions dans lesquelles la liberté d’expression serait limitée. Ce serait un choc réel, mais sous certaines conditions justifiables. Ces plateformes, depuis Trump, ont levé les filtres de désinformation, discours de haine, manipulation politique… Si elles redeviennent des acteurs responsables, on pourrait les réintégrer. Mais en l’état, elles pourraient tourner à des vecteurs de pollution politique », expose Vassilis Akritidis.
Poser le “bazooka” sur la table
Autre levier: l’exclusion des entreprises américaines des marchés publics européens, dont l’idée a déjà été émise. Cette exclusion serait possible via l’instrument anti-coercition (ACI) de l’Union européenne, un mécanisme polyvalent destiné à protéger l’UE contre les mesures économiques abusives ou les pressions exercées par d’autres pays. Il permet de riposter en dernier recours en imposant des contre-mesures commerciales diversifiées, dans une situation où la diplomatie échouerait. « Il faut poser le bazooka sur la table. Allumer le voyant rouge. Sans forcément tirer tout de suite. Mais il faut montrer qu’on est prêt à le faire. »
Il faut poser le bazooka sur la table. Allumer le voyant rouge. Sans forcément tirer tout de suite. Mais il faut montrer qu’on est prêt à le faire.
Le droit européen impose cependant d’épuiser en premier lieu les voies diplomatiques. « Mais faut-il encore définir ce que cela signifie concrètement », avance Vassilis Akritidis. « La diplomatie, ça ne peut pas durer indéfiniment. Il faut fixer une échéance : le 15 mai, le 1er juin, peu importe. Mais il faut dire clairement que passé ce délai, on pourrait appuyer sur la gâchette. »
Un monde à recomposer
Car, au-delà des droits de douane et des procédures, c’est toute l’architecture du commerce mondial qui vacille intensément d’une manière imprévisible. « Nous ne sommes pas en route vers la fin de la mondialisation », résume-t-il. « Il parait que nous y sommes déjà. » Et l’Europe, longtemps adepte du consensus et de la stabilité, doit apprendre à manier une nouvelle grammaire : celle de la fermeté, tout en redéfinissant le sens de l’unité et de la solidarité. « C’est un moment historique. Il faut forger de nouvelles alliances, créer des ponts inattendus, trouver des solutions inédites à des situations inédites. Et surtout, ne plus attendre que Washington nous tende la main », conclut l’avocat.
Un système fiscal d’avant la guerre de Sécession
Le volte-face de Trump sur les tarifs pourrait faire croire que la situation s’améliore et que tout est réglé. Il n’en est cependant rien. Les problèmes de fond demeurent, avec plus d’acuité même puisque désormais, le divorce entre la Chine et les Etats-Unis est consommé et que l’imprévisibilité atteint son paroxysme, analyse notre journaliste. Sur le fond, en effet, tant que Donald Trump sera au pouvoir, les droits de douane seront donc toujours d’actualité. Le Président américain et ses conseillers ont toujours la même approche : ils veulent revenir à un système fiscal d’avant la guerre de Sécession, propice aux grands propriétaires terriens et aux premiers capitaines d’industrie, explique-t-il.
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