Finances publiques: comment la France en est arrivée là

Emmanuel Macron
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La crise politique et budgétaire française plonge ses racines dans les décisions prises il y a quelques années : des cadeaux fiscaux non financés, et des erreurs de prévisions.

Les finances publiques françaises se trouvent dans une situation chaotique. Ce n’est pas une nouveauté : la France a longtemps été l’enfant terrible des déficits chroniques dans la zone euro. Comme le souligne celui qui, au moment d’écrire ces lignes, était encore son Premier ministre, François Bayrou : “On n’a pas présenté, en France, un budget en équilibre depuis 51 ans”.

Toutefois, peu savent vraiment quand et comment le contrôle des finances publiques a été perdu. L’embardée est récente. La dette de la France ne représentait que 20% du PIB en 1980. Elle tournait encore aux alentours de 60% au début des années 2000. Mais c’est véritablement en 2008, avec la grande crise financière, que l’endettement dérape, dépassant 80% du PIB en 2010, et atteignant quasiment 100% en 2016, avant même la pandémie. Le covid, la guerre en Ukraine et la crise énergétique en ont rajouté une couche, avec une dette publique qui fuse à 115% en 2020, et qui ne redescendra pas vraiment de ce niveau depuis.

“On n’a pas présenté un budget en équilibre depuis 51 ans.” – François Bayrou, ex-Premier ministre français

Proche de l’effet boule de neige

On voit donc qu’il a suffi d’une dizaine d’années, entre 2010 et 2020, pour creuser le trou budgétaire. Nous sommes bien placés, nous, en Belgique, pour savoir qu’un dérapage de quelques années dans les finances publiques met des décennies à se corriger : la dette publique belge était encore de 76% en 1980. Elle a atteint un pic à 138% en 1993.

Lorsque la dette atteint de tels niveaux, le risque est de provoquer un “effet boule de neige”, c’est-à-dire un moment où la croissance des charges d’intérêt dépasse la croissance économique et provoque une expansion mécanique de l’endettement.

Certains ont tenté l’exercice, comme François Ecalle, ancien haut fonctionnaire français qui analyse régulièrement les finances publiques française sur son site Fipeco. Il estime qu’avec une dette pesant 110% du PIB et une croissance nominale de 3%, il ne faut pas dépasser un déficit de 3,3% du PIB afin de stabiliser la dette.

On en est loin. La détérioration des déficits publics a été particulièrement marquée, avec un déficit qui a grimpé de 3,4% du PIB en 2017 à un impressionnant 5,8% en 2024 et sans doute 5,4% cette année.

Mais d’où vient ce dérapage constaté à partir de 2017-2019 ? “On observe une trajectoire commune de hausse de l’endettement dans de nombreux pays, mais la singularité française, qui pose problème aujourd’hui, concerne son déficit – près de 6% du PIB – plus que sa dette, observait récemment, sur une radio française, Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse de l’Office national du commerce extérieur (ONCE). Ce déficit est important et est d’un tel niveau qu’il provoque une dérive de la dette publique.”

Une question de recettes

L’ONCE a décortiqué les comptes et il apparaît que, contrairement à ce que l’on clame urbi et orbi, ce n’est pas l’explosion des dépenses publiques qui a creusé le trou, mais plutôt la faiblesse des recettes. Une faiblesse qui n’est pas étrangère au mouvement des gilets jaunes, qui démarre en novembre 2018.

Face à la jacquerie, le gouvernement s’est en effet engagé plus encore dans une stratégie fiscale axée sur l’offre. L’idée était simple : réduire les impôts pour stimuler l’investissement et la consommation, et apaiser le mécontentement. Avec, pour équilibrer les comptes, sur papier du moins, la prise en compte d’”effets retour”. La France a donc, entre 2017 et 2024, quel que soit le gouvernement (celui d’Edouard Philippe, Jean Castex, Elisabeth Borne ou Gabriel Attal), diminué la ponction fiscale. En tout, les “prélèvements obligatoires” (l’ensemble des impôts et des cotisations sociales) ont baissé de 2,5% de PIB : 1,7 point au profit des ménages, via, par exemple, la suppression de la taxe d’habitation ou la baisse de l’impôt sur le revenu, et 0,8 point pour les entreprises, via notamment une réduction des cotisations patronales.

Toutefois, le clou du cercueil budgétaire, ce sont les erreurs embarrassantes du ministère des Finances. Si les baisses d’impôts ont préparé le terrain, les erreurs de prévision de “Bercy”, en 2022 et 2023, ont aggravé le problème.

Des prévisions à côté de la plaque

En 2022, Bercy a en effet sous-estimé les recettes fiscales, qui ont dépassé les attentes, atteignant des niveaux records avec l’impôt sur les sociétés, rapportant à lui seul 60 milliards d’euros. Cette manne, portée par une croissance post-covid plus forte que prévu (2,7% au lieu de 1,4%) et des profits d’entreprises exceptionnels, a maintenu le déficit à 5% du PIB. Les modèles, qui supposent que les recettes fiscales croissent à peu près au même rythme que le PIB, n’étaient pas préparés à cette “bonne nouvelle” alimentée par des exportations robustes et le plan de relance européen, Next Generation EU.

Mais 2023 a raconté une toute autre histoire. Bercy, conforté par les chiffres de 2022, s’est à nouveau trompé, mais dans l’autre sens, surestimant les recettes de 21 milliards d’euros. Le déficit a bondi à 5,5% du PIB, bien au-dessus de l’objectif de 4,9%. Les recettes de TVA, qui représentent près de la moitié des revenus de l’État, ont manqué la cible de 4 milliards d’euros (92 au lieu de 96 milliards attendus), et l’impôt sur le revenu a raté la prévision de 3 milliards. Les cotisations sociales ont également sous-performé, la croissance des salaires ralentissant.

Chute de l’inflation

Une des explications à ce joli plantage est que le ministère français des Finances avait parié sur un taux d’inflation stable de 4,2% en 2023, ce qui aurait dû gonfler les recettes de TVA et d’impôt sur le revenu, grâce à l’indexation des salaires et à la hausse de la consommation. Au lieu de cela, l’inflation a chuté plus vite que prévu, ce qui a réduit les bases taxables.

La Cour des comptes française n’a pas été tendre, dans son rapport de juillet dernier, sur ces erreurs à répétition, pointant l’absence de “marges de prudence” et estimant que les erreurs cumulées, de 2023-2024, ont ajouté 60 milliards d’euros à la dette. La conjoncture n’a pas aidé : la chute des transactions immobilières et des taxes énergétiques, en partie parce que le gouvernement avait mis en place un bouclier tarifaire pour faire face à l’explosion des prix de l’énergie, n’a pas favorisé non plus les récoltes fiscales.

On en est donc là aujourd’hui : la France, que ce soit avec un plan Bayrou ou un autre, doit absolument réduire son train de vie. Et cela fera mal. “Certes, la réduction du déficit risque de réduire la demande et la croissance à court terme, observe l’ancien chief economist du FMI, Olivier Blanchard. Mais si l’alternative est l’absence d’ajustement et des taux d’intérêt sur la dette bien plus élevés, ce sera pire. L’austérité budgétaire est, par nature, désagréable, mais ce n’est pas une raison pour ne pas la pratiquer. C’est comme la chimiothérapie. Elle n’est pas agréable et aggrave la maladie à court terme. Mais si elle élimine votre cancer, souhaitez-vous vraiment l’éviter ou la retarder ?”

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