Faut-il revoir notre opinion sur l’explosion des revenus des 1% les plus riches ?
Deux fonctionnaires américains remettent fondamentalement en question le discours selon lequel la part de revenu des ultrariches a explosés en 60 ans.
C’est un petit pavé dans la mare des discours sur les inégalités. Deux employés du gouvernement américain, David Splinter, qui travaille à la commission mixte du Congrès sur la fiscalité et Gerald Auten, qui est au département du Trésor, ont repassé à la moulinette les statistiques sur l’évolution des revenus des 1% les plus riches aux Etats-Unis. Et leur conclusion est que la part des revenus qui revient à ces 1% n’a pas beaucoup évolué depuis 1960.
C’est toujours 8%
Voilà qui vient remettre fondamentalementen question ce que nous pensions, surtout après avoir lu les travaux de Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Les deux économistes français qui avaient fait leur spécialité de l’étude des inégalités avaient popularisé l’idée d’une explosion des revenus des 1% les plus riches, qui représentaient à eux seuls 27% des revenus totaux des ménages américains en 2021, contre 8% « seulement » en 1980.
Une explosion qui avait suscité le fameux slogan « nous sommes les 99% » des mouvements qui, comme Occupy Wall Street, se battent contre les inégalités financières. Mais cette répartition est remise fondamentalement en cause par Auten et Splinter. Selon eux, la part des 1% des revenus (après impôts et transferts sociaux) les plus élevés est restée stable de 1960 à nos jours. Et elle avoisine toujours les 8%.
« L’augmentation des transferts publics et de la progressivité de l’impôt a entraîné une hausse des revenus réels pour toutes les catégories de revenus et peu de changements dans les parts des revenus les plus élevés après impôt », expliquent Gerald Auten et David Splinter dans leur étude (consultable ici : https://davidsplinter.com/AutenSplinter-Tax_Data_and_Inequality.pdf ) .
Des statistiques faussées
Nous n’entrerons pas dans les détails, mais Auten et Splinter pointent, dans les analyses de Piketty et Saez, une série de biais qui aboutissentà surpondérer sans raison les revenus des ultra riches par rapport aux autres. « Les estimations de la part des revenus les plus élevés basées uniquement sur les déclarations fiscales individuelles sont biaisées par les changements de l’assiette fiscale, les changements sociaux et les sources de revenus manquantes » expliquent les deux fonctionnaires américains.
Quelques exemples. Les études sur les 1% portent par exemple sur une tranche qui, en réalité, représente davantage que 1% de la population américaine. Pourquoi ? Parce qu’on se marie davantage chez les ultras riches que dans les ménages les plus modestes qui optent davantage pour la cohabitation. Le ménage modeste cohabitant comptera alors pour deux « unités » dans les statistiques alors que le ménage marié ultrariche ne comptera que pour une seule.
Et puis, en se basant sur les seules déclarations fiscales, on omet une série de revenus qui sont perçus par la classe moyenne. « Des sources importantes de revenus sont manquantes dans les données fiscales, notamment les transferts gouvernementaux et les avantages non imposables fournis par l’employeur. La part des revenus manquants dans les données fiscales a augmenté au fil du temps, de sorte que les revenus déclarés sur les déclarations de revenus ne représentent que 60 % environ du revenu national ces dernières années », disent Auten et Splinter.
On ne fraude pas uniquement chez les riches
Piketty et Saez n’ont en outre pas tenu compte des pertes commerciales dans leurs estimations de revenus, ce qui a eu pour effet de surestimer les parts des revenus des plus riches qui sont concentré dans les sociétés. Les économistes français estiment aussi que l’évasion fiscale est plutôt concentrée chez les ultra riches, alors que les audits du fisc américain montrent qu’elle est également bien répartie dans la classe moyenne libérale. Tout cela ne remet évidemment pas en cause le fait qu’il existe de grandes inégalités dans la société américaine, et pas seulement de revenus d’ailleurs (l’espérance de vie est très différente entre ménages modestes et ménages riches). Cela, ne remet pas non plus en question le fait que l’on assiste à une concentration de pouvoir chez les 0,01% les plus riches, avec des personnalités comme Elon Musk ou Bill Gates qui ont un pouvoir qui ressemble à celui des tycoon américains de la belle époque (Rockefeller, John Pierpont Morgan, …). Mais cela ébranle la certitude que les inégalités réelles de revenus, après impôts et transferts, ont explosé ces trente dernières années.
La part des 1% les plus riches
Source : Auten, Splinter
Ligne rouge : revenus après impôts
Ligne pointillée noire : revenus avant impôt mais après transferts
Ligne verte : revenus avant impôts corrigés (en tenant compte également des pertes, des recompositions de ménages, etc…)
Ligne bleue : revenus fiscaux bruts
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