Face à Trump, l’Europe a du mal à tenir un discours crédible

Ursula von der Leyen Davos
Ursula von der Leyen, à Davos. © Getty mages
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Face à la machine à décrets disruptifs enclenchée par Donald Trump depuis lundi, l’Union européenne a du mal à se faire entendre d’une seule voix, et surtout d’une seule voix crédible.

Certains dirigeants européens, en ordre dispersé, ont certes commenté les décisions américaines,  notamment à Davos puisque cette semaine s’y tient le Forum économique mondial. Mais ils ont parlé en ordre dispersé, en employant des arguments qui ne devraient pas détourner le nouveau président des États-Unis d’enclencher une guerre tarifaire avec le vieux continent qui affiche toujours un surplus commercial vis-à-vis de l’économie américaine. Donald Trump a redit que l’Union était « très, très mauvaise à notre égard », refusant d’acheter les produits américains. Les Américains ne s’y trompent pas : ces derniers jours, on assiste à une ruée sur les produits alimentaires européens qui risquent d’être les victimes de cette guerre tarifaire à venir, le vin et le fromage, notamment.

Le plus grand, le plus attrayant

A Davos, Ursula von der Leyen, la patronne de la Commission, a pourtant essayé de présenter l’Europe comme un partenaire incontournable, capable de dicter ses lois, et en meilleure santé que les Etats-Unis. L’Europe est « le marché le plus grand et le plus attractif » au monde et « possède l’espérance de vie la plus haute, des normes sociales et environnementales plus élevées, et des inégalités plus faibles que l’ensemble de nos concurrents mondiaux. » Bon, c’est vrai que le plus grand marché est le marché chinois et que l’espérance de vie est plus élevée au Japon qu’en Europe, mais l’Europe, sur papier du moins, surpasse les Etats-Unis dans ces domaines.

Ursula von der Leyen a également présenté l’Union comme un partenaire fiable. « Avec l’Europe, ce que vous voyez est ce que vous obtenez. Nous respectons les règles. Nos accords n’ont pas de conditions cachées. »

Et elle a brandi les statistiques montrant l’inanité de rompre la paix commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne. « Nos économies sont les plus intégrées au monde. Les entreprises européennes aux États-Unis emploient 3,5 millions d’Américains. Et un million d’emplois américains supplémentaires dépendent directement du commerce avec l’Europe. Ce sont des chaînes d’approvisionnement tout entières qui s’étendent d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Un avion américain, par exemple, est construit avec des systèmes de contrôle et des fibres de carbone en provenance d’Europe. Et des médicaments américains sont fabriqués avec des produits chimiques et des outils de laboratoire qui viennent de notre côté de l’Atlantique. Simultanément, l’Europe importe deux fois plus de services numériques des États-Unis que de toute la région Asie-Pacifique. Sur tous les actifs américains à l’étranger, les deux tiers se trouvent en Europe. Et les États-Unis fournissent plus de 50 % de notre gaz naturel liquéfié. Le volume des échanges entre nous s’élève à 1,5 trillion d’euros, soit 30 % du commerce mondial. L’enjeu pour les deux parties est énorme ».

Deuxième choc chinois

De manière assez peu diplomatique, Ursula von der Leyen a également  tancé la Chine. « Aujourd’hui, certains parlent d’un deuxième choc chinois — à cause de la capacité de surproduction soutenue par l’État […] Il est temps d’établir une relation plus équilibrée avec la Chine, dans un esprit d’équité et de réciprocité »,

Enfin, la présidente de la Commission a laissé entendre que si guerre commerciale il devait y avoir, l’Union commerciale avait d’autres partenaires vers qui se tourner, en Amérique latine, en Asie, …

Le seul problème est que quelques dizaines de minutes auparavant, la même présidente de la Commission avait rappelé tous les problèmes existentiels de l’Europe, bien décrits dans le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’économie européenne, à l’heure où « les grandes économies mondiales se disputent l’accès aux matières premières, aux nouvelles technologies et aux routes commerciales mondiales. De l’IA aux technologies propres, des technologies quantiques à l’espace, de l’Arctique à la mer de Chine méridionale – la course est lancée. »

Ordre dispersé

Face à ce grand écart entre les vœux pieux et la realpolitik, les responsables européens ont parfois semblé désemparés.  Lorsqu’il a appris que Washington se retirait de l’Organisation mondiale de la Santé, le ministre allemand de la Santé a dit assez naïvement qu’il allait essayer de convaincre les États-Unis de ne pas se retirer de l’Organisation.   D’autres ont fait preuve d’allégeance. « Votre victoire électorale est vraiment remarquable » a proclamé celui qui devrait être le prochain chancelier autrichien,  Friedrich Merz.

Certains sont déjà sous Lexomil. « Il n’y a pas grand-chose de plus que nous puissions faire », a commenté le vice-chancelier allemand, l’écologiste Robert Habeck, qui a rappelé que 90% du GNL allemand était déjà américain.

 « Nous entrons dans un monde où nous devons montrer les muscles de temps en temps » déclaré pour sa part Alexander De Croo, notre Premier ministre.  Soulignant le fait qu’une guerre commerciale entre les deux côtés de l’Atlantique serait une mauvaise chose, il a lui aussi rappelé que l’Europe avait d’autres options. « Il n’y a pas que les États-Unis dans le monde. Par exemple, l’accord avec les pays sud-américains du Mercosur est une bonne chose, y compris pour notre pays. Et il y a aussi le commerce avec l’Inde ». Il a également affirmé que face aux menaces d’annexion du Groenland, « nous aurions dû réagir beaucoup plus fermement en tant qu’Union européenne ».

Mais ici aussi, certains ont rappelé sans pitié que ces mâles propos  étaient peu crédibles de la part d’un Premier ministre en affaires courantes, dont le parti a subi une claque électorale et dont le pays ne parvient toujours pas à se doter d’un gouvernement…

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