Etats-Unis: une élection présidentielle sous forme d’Armageddon
Demandez aux électeurs américains ce qu’ils pensent de la politique et vous constaterez que l’état de l’Union est exceptionnellement sombre. Et tant Joe Biden que Donald Trump rivalisent d’impopularité.
En septembre 2023, lorsque le Pew Research Centre a demandé aux Américains de réfléchir à la politique de leur pays, 65 % d’entre eux ont déclaré qu’ils en avaient toujours ou souvent ras-le-bol ; 55 % ont dit qu’elle les mettait globalement en colère ; 10 % ont exprimé de fréquentes lueurs d’espoir ; et seulement 4 % ont reconnu qu’elle les enthousiasmait régulièrement. Et lorsqu’on leur a demandé de décrire la politique américaine en un seul mot, nombreux sont ceux qui ont opté pour des termes comme division, corruption, désordre ou méchanceté.
Dans la campagne présidentielle, tout indique que l’octogénaire Joe Biden et son prédécesseur, Donald Trump, s’affronteront à nouveau. Le principal enjeu de l’élection ne sera pas un sujet conventionnel, comme l’économie ou la politique étrangère, mais la question de savoir si l’un ou l’autre homme est apte à exercer sa fonction.
Le concours d’impopularité qui dure depuis un an verra Joe Biden soutenir que son prédécesseur est une menace existentielle pour la démocratie. Donald Trump, qui n’a pas eu honte de la tentative d’insurrection du 6 janvier 2021 ni des nombreuses inculpations pénales dont il fait l’objet, affirmera que le président actuel est trop vieux et trop faible pour affronter les vrais problèmes de l’Amérique. Chacun des deux hommes présentera donc l’autre comme le prélude à la fin du pays – et la plupart des membres de leurs partis souscriront à ces eschatologies concurrentes.
Le président actuel vantera les “Bidenomics” et affirmera que ses dépenses massives en infrastructures ont amélioré la vie des travailleurs. Donald Trump soulignera le mécontentement suscité par l’inflation, qui a rongé le revenu disponible réel des Américains depuis l’entrée en fonction de Joe Biden, et par la taille de la dette publique, qui a elle aussi considérablement augmenté. Il est toutefois peu probable que les propositions politiques de Donald Trump amélioreront la situation budgétaire du pays : le candidat entend ne pas toucher aux programmes d’aide sociale, compte réduire les impôts et déclencher une guerre commerciale avec le reste du monde en imposant des droits de douane de 10 % sur toutes les importations.
Classe ouvrière
Mais une chose réunit les deux hommes: ils considèrent chacun, et à juste titre, que le chemin vers la Maison Blanche passera par les électeurs mécontents de la classe ouvrière. Leurs discours économiques viseront donc tous deux à s’attirer les faveurs de ce bloc, indépendamment de la faisabilité réelle de leurs propositions.
La stratégie de Trump, qui n’a jamais été confondu avec un spécialiste de la politique, consistera à plonger les républicains dans un état de frénésie. Ses meetings de campagne feront écho au “carnage américain” qu’il avait invoqué dans son premier discours d’investiture : Biden menace de détruire les Etats-Unis en ne sécurisant pas la frontière sud, en ne réduisant pas la criminalité et en cédant au flanc gauche de son parti qui veut transformer le pays en un havre impie pour les avorteurs, les criminels, la bureaucratie de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, et les personnes transgenres.
Une augmentation des taux d’épuisement et de colère semble très probable.
Plutôt que d’accepter sa défaite en 2020, Donald Trump a réussi à convaincre la majorité de ses partisans que l’élection avait été volée. Lorsque l’alternative à la présidence sera probablement une cellule de prison, sa rhétorique sera encore plus extrême et corrosive pour la démocratie en 2024.
Il existe bien sûr de réelles différences de politique entre les deux hommes, mais dans des domaines que la plupart des électeurs américains ignorent souvent. On sait par exemple que les deux mèneraient la politique étrangère des Etats-Unis dans des directions extrêmement divergentes. Bien qu’ils soient tous deux de fervents protectionnistes, Joe Biden n’est pas aussi isolationniste que Donald Trump. Maintenant qu’il a été absorbé par le mouvement “America First”, le parti républicain semble en effet prêt à renoncer à financer l’effort de guerre de l’Ukraine contre la Russie. Et bien que les deux partis cherchent à se surpasser en matière de fermeté à l’égard de la Chine, il n’est pas certain que Trump engagerait des troupes américaines pour défendre Taiwan. Enfin, les alliés européens s’inquiètent de l’érosion permanente de la position centrale de l’Amérique au sein de l’Otan.
Angoisse existentielle
La lutte contre les assauts incessants de Trump exige une certaine vigueur qui semble manquer à Biden, et qui lui fera probablement défaut en plus grande quantité d’ici l’élection. Mais les partisans de ce dernier espèrent que Donald Trump parviendra à se vaincre lui-même – grâce au rappel constant du 6 janvier qu’apporteront les procès criminels et à l’impopularité des positions républicaines sur des questions telles que l’avortement. Les marges électorales américaines ont tendance à être minces, ce qui accentue l’angoisse existentielle que ressentent les membres des deux partis. Il est impossible de prédire le résultat d’une année à l’autre. Mais une augmentation des taux d’épuisement et de colère semble très probable.
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”.
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