Entre la “doctrine Gromyko” et le “contrôle réflexif”, comment Poutine compte manger Trump dans les négociations

Steve Witkoff est arrivé en Russie. Il est chargé de trouver une issue à la guerre entre la Russie et l'Ukraine - Belga Image
Baptiste Lambert

À la veille de leur rencontre en Alaska, Donald Trump et Vladimir Poutine abordent la négociation depuis deux univers stratégiques radicalement différents. L’un espère un deal. L’autre construit une victoire. Derrière l’arrogance diplomatique du Kremlin se cache un vieux schéma soviétique : la doctrine Gromyko. Mais il faut désormais y ajouter un levier d’influence plus moderne et insidieux : le contrôle réflexif.

Officiellement, le sommet du 15 août à Anchorage vise à trouver une porte de sortie au conflit ukrainien. Mais la rencontre repose sur un déséquilibre fondamental : là où Donald Trump cherche un compromis rapide, Vladimir Poutine travaille une stratégie de long terme. Cette asymétrie des objectifs structure le rapport de force. L’un veut clore un dossier. L’autre veut ouvrir une nouvelle séquence.

Sur le plan militaire, Moscou a marqué des points avec l’avancée des troupes russes dans la région de Donetsk. Un succès opérationnel qui reconfigure le cadre des négociations. Selon Alain De Nève (IRSD), trois issues sont plausibles : un accord favorable à la Russie, un gel conflictuel ou un compromis précaire. Aucun de ces scénarios ne satisfait les intérêts occidentaux.

Le piège de l’échange territorial

Face à cette dynamique, Trump multiplie les signaux d’ouverture. Il envisage un « échange de territoires » comme issue de crise. Une approche qui, sur le papier, paraît pragmatique mais qui, dans les faits, affaiblit la position de Kiev. Parce qu’elle va dans le sens de la rhétorique russe : la Russie considère comme siens les territoires occupés. Non seulement les régions de Louhansk et Donetsk, mais aussi celles de Zaporijjia et Kherson. L’idée d’une paix rapide séduit Washington, mais fait craindre à Kiev une forme de trahison diplomatique.

Si l’Ukraine n’est pas représentée à la table, toute décision prise sans elle pourra être interprétée comme une légitimation de l’occupation. Pour Moscou, c’est un terrain fertile pour asseoir un narratif de victoire sans tirer un coup de feu.

La méthode Gromyko : réclamer l’excès, engranger le possible

La doctrine Gromyko, du nom de l’ancien ministre soviétique des Affaires étrangères, structure depuis les années 1970 l’approche diplomatique russe. Cette doctrine repose sur un triptyque, rappelle le Grand Continent, qui en explique les racines historiques :

  1. Formuler des exigences maximales, même irréalistes.
  2. User de la menace pour imposer la négociation.
  3. Refuser toute concession pour obtenir des gains progressifs.

La logique est simple : épuiser l’adversaire, exploiter son besoin de sortir d’un conflit, et accumuler les petites victoires. Cette stratégie repose sur une certitude : l’Occident déteste les conflits longs. Poutine le sait. Chaque réunion est pour lui une étape, pas une finalité. En exigeant plus qu’il ne peut obtenir, il maximise ses chances de repartir avec des gains. Et en apparaissant rigide, il force l’autre camp à faire un pas. Ce n’est pas une négociation, c’est une usure calculée.

L’arme invisible : le contrôle réflexif

À cette logique s’ajoute aujourd’hui une tactique psychologique : le contrôle réflexif. Le principe est simple : manipuler l’environnement informationnel de l’adversaire pour le pousser à adopter, de manière autonome, une décision qui vous est favorable. Ce n’est pas de la persuasion. C’est une ingénierie des perceptions, explique Jais Adam-Troian, de l’institut Montaigne.

Moscou adapte ses narratifs en fonction des sensibilités politiques. Aux droites conservatrices, elle parle valeurs chrétiennes et rejet de l’« idéologie woke ». Aux gauches radicales, elle évoque l’anti-impérialisme et les abus de l’OTAN. En influençant ainsi les cadres de pensée, le Kremlin pousse ses interlocuteurs à devenir des relais – conscients ou non – de sa propre stratégie.

Trump, une cible idéale

Dans le cadre du sommet, cette stratégie pourrait se traduire par une série de propositions calibrées pour flatter les obsessions trumpistes : victoire symbolique, gains économiques immédiats, levée ciblée de sanctions. En échange ? Des concessions lourdes mais maquillées : maintien des positions russes dans l’Est ukrainien ou accès facilité à des ressources stratégiques.

Selon The Telegraph, des options sont sur la table : ouverture à des ressources en Alaska, levée partielle de sanctions, acceptation de zones d’influence. Présentées comme rationnelles et bilatérales, elles pourraient n’être que l’exécution d’un plan où Moscou maîtrise déjà le scénario. Une démonstration par l’exemple du contrôle réflexif à l’échelle diplomatique.

Les jeux sont-ils faits ?

Au total, Poutine dispose d’un double avantage : la supériorité tactique sur le terrain et la maîtrise du champ cognitif dans les négociations. Là où Trump cherche à se donner une bonne image, le Kremlin construit une dynamique historique. Chaque geste est pensé pour piéger, chaque message calibré pour séduire.

Si Washington ne se dote pas d’une grille de lecture adaptée, la rencontre risque de tourner au fiasco stratégique. Avec un schéma déjà redouté : Poutine convainc Trump avec un compromis maximaliste pour Moscou, Trump vient présenter “son” compromis à Kiev et à l’Europe, qui refusent. Trump accuse ses alliés de ne pas faire de compromis et leur fait porter le poids de la crise. Les velléités russes, elles, s’en retrouvent légitimées.

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