En surchauffe, l’économie russe ne tiendrait pas jusqu’à 2026

A Moscou , un panneau d'affichage pour le service militaire sous contrat qui indique « 5 200 000 roubles pour la première année du contrat » (environ 57 000 USD) . © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Inflation galopante, sanctions, manque criant de main d’œuvre, taux à 19%… la Russie doit gagner le conflit ukrainien l’an prochain, sous peine de terminer exsangue d’ici deux ans.

Des taux qui titillent les 20%, un risque de stagnation dès l’an prochain, un exode de la main d’œuvre qualifiée, une inflation galopante et un quasi-épuisement de ses capacités de production, voilà l’image de l’économie russe que donne …la Banque centrale de Russie.

Cette dernière vient en effet d’augmenter à nouveau de 100 points de base son taux d’intérêt directeur, qui atteint désormais 19%, afin de combattre une inflation qui dépasse les 9% (9,1% en juillet et en août).

Une économie à l’os

Parallèlement, la machine économique russe décélère sensiblement, même s’il est évidemment difficile d’avoir une idée précise. La Banque de Russie prévoit 3,5 à 4% de croissance cette année, puis 0,5 à 1% l’an prochain, avec une inflation qui serait retombée aux alentours de 4,5%.

L’économie russe semble chercher son souffle  pour plusieurs raisons, que souligne  la Banque centrale russe.

Tout d’abord, l’inflation. Elle est difficilement maitrisable parce que les capacités de production ont atteint leur maximum, à un moment de forte demande intérieure des consommateurs et surtout de l’État. Le budget de la défense pèse aujourd’hui 8,1% du PIB du pays.

Dans ce contexte de déséquilibre entre offre et demande, l’appareil productif russe est à l’os. Il est utilisé au maximum et ne peut plus s’adapter. L’approvisionnement en machines occidentales est largement freiné, et l’armée, pour laquelle Vladimir Poutine vient de signer un décret qui la fait passer de 2,3 à 2,5 millions de soldats, a avalé une grande partie de la main d’œuvre disponible. Une main d’œuvre déjà réduite par les conséquences des combats (on estime à 600.000 les pertes russes depuis le début de l’offensive) et par l’exil de nombreux jeunes qualifiés partis au moment de l’invasion de l’Ukraine, au printemps 2022. Environ 700.000 à 1 million de Russes ont fui la Russie à ce moment. Et même si un certain nombre sont rentrés au pays, la diaspora russe se chiffre encore aujourd’hui par centaines de milliers.

D’où le constat fait par la Banque de Russie que les graves pénuries de main-d’œuvre et les effets négatifs des sanctions occidentales vont continuer à freiner la production et la rentrée de devises, qui provenait surtout des ventes de pétrole et de gaz.  Alexeï Zabotkin, vice-gouverneur de la Banque centrale russe, a d’ailleurs admis cet été que « les pénuries de main d’œuvre se sont considérablement aggravées ». Cela contribue aussi à la hausse des prix puisque pour attirer la main d’œuvre, les entreprises russes  ont augmenté les salaires d’une vingtaine de pourcents sur un an.

Intensification des combats

Cet essoufflement économique et son aggravation probable l’an prochain expliqueraient d’ailleurs l’actuelle intensification des offensives russes sur l’ensemble du front ukrainien. « La Russie aurait pour objectif de remporter une victoire décisive en Ukraine d’ici 2026, avant que les contraintes économiques et de génération de forces à moyen et long terme ne commencent à dégrader de manière significative la capacité de la Russie à soutenir son effort de guerre en Ukraine », affirme un rapport de l’Institute for the Study of War (ISW), un centre de réflexion américain qui suit de très près le conflit russo-ukrainien. Le chef des services secrets ukrainiens, le lieutenant-général Kyrylo Budanov, aurait d’ailleurs confié lors d’une réunion stratégique avec les occidentaux cet été, que le Kremlin considérait 2025 comme une année charnière, car la Russie devrait connaître une détérioration de la situation économique et sociopolitique d’ici le milieu de l’année 2025, ainsi que des difficultés croissantes en matière de recrutement.

« L’armée russe s’est largement appuyée sur la remise en état des stocks d’armes et d’équipements militaires de l’ère soviétique, en particulier les véhicules blindés, pour soutenir le rythme de ses opérations offensives en Ukraine, analyse l’ISW. Le gouvernement russe devra probablement mobiliser davantage l’économie et l’industrie de la défense russes et investir dans le renforcement des capacités si l’armée russe entend maintenir son rythme d’opérations actuel à moyen et long terme, à mesure que la Russie épuise ses stocks soviétiques limités, mais il n’est pas certain que l’industrie de la défense russe soit en mesure de produire suffisamment pour soutenir le niveau élevé de pertes d’équipement que les forces russes subissent en Ukraine, même en cas de mobilisation économique accrue », ajoute le think tank américain qui estime que les efforts russes actuels ne sont probablement pas durables à moyen et long terme. C’est ce qui explique aussi les efforts actuels de la diplomatie russes auprès de l’Iran, de la Corée du Nord et de la Chine pour l’aider à nourrir son appareil militaire.

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