En France, des chasseurs d’épaves remontent le temps

Illustration © getty

Sous un soleil de plomb, une équipe d’infatigables chasseurs d’épaves bénévoles plonge dans une mer d’huile en quête d’indices sur l’identité d’un navire marchand du XVIIIe siècle échoué au large de l’île de Ré, dans l’ouest de la France.

A quatre kilomètres de la côte, en vue du phare des Baleines, sept membres de l’Association de recherche et d’étude du patrimoine maritime et fluvial (Arepmaref) se succèdent en palanquées pour scruter les fonds marins. A l’aide de deux aspirateurs à sédiments reliés à la surface par des motopompes, pour dégager le sable de la couche archéologique, ils dissèquent la zone délimitée en carrés pour extraire les restes d’objets ou de mobilier enterrés.

Car depuis que l’apnéiste Eric Le Gall, chassant le bar dans cette bande rocheuse peu profonde, a observé 16 canons alignés, une véritable chasse aux trésors s’est orchestrée avec de jolies découvertes à portée de palmes. Cloche du navire disloquée, boulets de canon et balles de mousquet, bougeoirs en bronze, matériel de navigation, médical et de pharmacopée, verre bleu bullé, couverts blasonnés, pièces de monnaies Louis XV en argent ou espagnoles… autant d’artefacts retrouvés lors de trois campagnes de fouilles estivales, dont la dernière s’est terminée cette semaine.

Plus rare encore, des grains de café pouvant provenir de la Martinique, dans les Antilles, ou de l’Ile Bourbon (Réunion), dans l’océan Indien. “C’est une découverte exceptionnelle en archéologie sous-marine, l’un des trois sites européens du genre”, assure Gaëlle Dieulefet, maître de conférences en archéologie à Nantes Université (ouest), qui collabore étroitement avec l’Arepmaref.

Epave mystère

“Pour nous, le trésor c’est l’identification de ce bateau et son rôle exact dans l’histoire. C’est comme un puzzle dont les pièces s’emboîtent les unes aux autres”, relate Félix Gomez, chef d’expédition de l’association. Les premiers indices nourrissent l’hypothèse d’un navire marchand hauturier, en activité entre 1740 et 1750, très lourdement armé dans un contexte notamment de guerres avec l’Angleterre qui pourchassait des navires marchands français tout près des côtes.

“On a affaire à une épave mystère. C’est un naufrage inconnu, qui a dû être particulièrement violent mais qui n’est répertorié nulle part. On n’a pas connaissance de bataille navale”, poursuit Gaëlle Dieulefet, spécialiste de la culture matérielle des équipages. “Le navire, certainement français, faisait de la navigation circulaire, qui consistait à apporter des marchandises aux colonies d’Amérique du Nord avant d’aller dans les Antilles pour s’approvisionner en produits exotiques”, ajoute l’archéologue nantaise.

La découverte également d’une pièce d’arme à feu, typique de fusils utilisés à l’époque en Amérique du Nord, accrédite l’hypothèse d’un voyage vers la Nouvelle-France, le Canada actuel. Après les fouilles, la recherche du nom de bateau se poursuit désormais en partie dans les fonds d’archives de l’Amirauté.

Histoire appliquée

“Pour certains, on était des ‘blaireaux’ en histoire à l’école mais la matière devient fascinante, on fait de l’histoire appliquée”, s’amuse Francis Clerin, autre plongeur-apnéiste, par ailleurs orthoptiste. Car ces chasseurs d’épaves sont graphiste, vétérinaire, fonctionnaire à la répression des fraudes, commercial dans l’édition, enseignants ou militaires retraités.

Cette association semi-professionnelle “très prolifique” est un “maillon indispensable à la recherche archéologique, particulièrement dans le domaine public maritime avec un patrimoine immense caché sous les eaux alors que les archéologues professionnels sont peu nombreux”, juge Sybil Thiebaud, responsable de la façade sud-atlantique au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), qui supervise les recherches en mer.

Une partie des vestiges remontés ont été traités et stabilisés au sein du laboratoire nantais Arc’antique avant d’être exposés sur l’île de Ré.

Outre les fouilles, l’Arepmaref est aussi chargée de l’inventaire d’autres sites archéologiques sous-marins dans la région, qui a connu plusieurs millénaires d’un intense trafic maritime.

Avec au moins 250 épaves recensées entre les îles de Ré et d’Oléron, la chasse aux trésors n’a pas fini de faire rêver les passionnés.

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