Elon Musk met la main sur le carnet de chèques de l’État américain
En contrôlant désormais tout le système de paiement de l’administration fédérale, Elon Musk gère désormais un flux de 6.000 milliards de dollars par an.
Le DOGE, le département d’efficacité gouvernementale dirigé par Elon Musk va bien plus loin que réduire les dépenses publiques. En exigeant d’avoir la main sur des outils comme le système de paiement de l’administration américaine, le milliardaire marche délibérément sur le système de « check and balance » (séparation des pouvoirs) et outrepasse le pouvoir du congrès, voire du président.
Mode commando
Depuis deux semaines, Elon Musk et son équipe de jeunes ingénieurs formant les troupes de choc du DOGE (Département pour l’efficacité gouvernementale) font exploser tout le système administratif fédéral américain, réalisant des incursions agressives dans plusieurs agences gouvernementales.
Les équipes du DOGE sont en mode commando, travaillant jour et nuit, sept jours sur sept, et sont composées de jeunes ingénieurs qui vont jusqu’à adopter le même style vestimentaire que leur patron – pantalon sombre, t-shirt blanc surmonté d’un blouson – et dorment sur des lits de camp dans un bâtiment à deux pas de la Maison-Blanche.
Ce personnel a un statut indéfini, mais un pouvoir d’incursion énorme. Le New York Times cite le cas d’un jeune ingénieur âgé de 23 ans, ancien stagiaire de SpaceX, qui a accès aux systèmes de l’USAID (l’agence d’aide au développement), qui est aussi désigné comme ingénieur au bureau du secrétaire à la santé et aux services sociaux, qui est dans la liste du personnel du GSA (l’administration générale), et qui demande l’accès aux systèmes qui gèrent Medicare et Medicaid qui contrôlent les contrats et les plus de 1 000 milliards de dollars de paiements annuels aux bénéficiaires de subvention.
Les attaques tous azimuts des équipes d’Elon Musk contre les agences fédérales sont vertement critiquées par l’opposition démocrate, qui paraît impuissante. « Devant nos yeux, un gouvernement fantôme non élu mène une prise de contrôle hostile du gouvernement fédéral », réagit Chuck Schumer, chef du groupe démocrate au Sénat. Mais cette frénésie devrait ébranler le système fédéral américain pendant des années. De nombreux actes du DOGE sont considérés comme outrepassant les compétences du département, mais les procédures qui seraient enclenchées devraient prendre énormément de temps.
Le carnet de chèques de l’État
Elon Musk semble par exemple remettre en cause l’existence même du système de paiement fédéral, qu’il considère comme illégal. Des hauts fonctionnaires du Trésor américain, et le premier d’entre eux, David Lebryk, qui œuvrait comme Secrétaire au Trésor (ad intérim) jusqu’à la nomination de Scott Bessent à ce poste voici quelques jours, ont démissionné. Selon le Washington Post, David Lebryk avait refusé l’accès aux équipes de Musk au système de paiement de l’administration américaine, système qui gère 6.000 milliards de dollars de paiement par an vers les ménages, les entreprises et d’autres à l’échelle nationale. Et c’est ce qui a précipité son départ.
“Des dizaines, voire des centaines de millions de personnes à travers le pays dépendent de ces systèmes, qui sont responsables de la distribution des prestations de sécurité sociale et de Medicare, des salaires des fonctionnaires fédéraux, des paiements aux entrepreneurs gouvernementaux et aux bénéficiaires de subventions, ainsi que des remboursements d’impôts, parmi des dizaines de milliers d’autres fonctions”, explique le journal.
Depuis, le DOGE a effectivement pris le contrôle de ce système de paiement, suscitant l’inquiétude de Mark Mazur, un ancien haut responsable du Trésor sous les administrations Biden et Obama : « la possibilité que des fonctionnaires gouvernementaux tentent d’utiliser le système de paiement fédéral — qui fonctionne essentiellement comme le carnet de chèques de la nation — pour mettre en œuvre un agenda politique est sans précédent », avertit-il.
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Le ver est dans le fruit
L’action des équipes de Musk a été tout aussi disruptive dans une autre agence, USAID, qui gérait un budget de 43 milliards de dollars par an, et qui s’occupait de l’aide au développement.
Depuis la décision de Donald Trump de geler pratiquement toute aide émanant de cette agence, ses équipes tournent au ralenti, et de nombreux fonctionnaires ont déjà reçu leur lettre de mise à pied. Parmi eux, ceux qui étaient responsables de l’aide à l’Ukraine. En attendant d’être fixée sur son sort, USAID est désormais passée sous la tutelle de Marco Rubio, le Secrétaire d’État, alors que les responsables d’USAID ont été démis. Ce qui a précipité leur démission est leur refus d’obéir à la demande d’Elon Musk qui désirait obtenir des informations classifiées, outrepassant clairement le mandat donné au DOGE qui ne peut demander que des informations non classifiées aux agences fédérales dont il est chargé de vérifier l’efficacité.
Depuis cette passe d’armes, gagnée par Musk qui est désormais en possession de ces informations secrètes, USAID est considéré par les républicains proches de Trump comme le repère d’une bande d’extrémistes qu’il faut éradiquer, une opinion partagée par Musk lui-même : « Ce n’est pas juste que le ver est dans le fruit […], c’est sans espoir. Il faut se débarrasser de l’ensemble (d’USAID) », dit-il, accusant l’agence d’avoir aidé au financement de la recherche d’armes biologiques à l’étranger et d’avoir été à l’origine du covid.
La prochaine cible du DOGE semble être l’aide aux PME.
Un gouvernement fantôme
Beaucoup, jusque dans les rangs républicains, critiquent le pouvoir dont Elon Musk s’est arrogé. Pour apaiser ces critiques, la Maison-Blanche a indiqué que le milliardaire dirigeait le DOGE en tant qu’employé spécial du gouvernement, relevant de la Maison-Blanche, et pour un mandat qui ne peut pas dépasser 130 jours. Donald Trump a souligné que c’était la présidence qui gardait la main : « là où nous pensons qu’il y a un conflit ou un problème, nous ne le laisserons pas faire », a-t-il dit.
On peut avoir des doutes sur sa capacité à gérer les conflits d‘intérêts. Selon le New York Times, Elon Musk aurait réussi à faire nommer Troy Meink au poste de secrétaire de l’Air Force. Troy Meink dirigeait le Bureau national de reconnaissance du Pentagone (le ministère de la Défense), soit le département qui a aidé Elon Musk à obtenir un contrat de plusieurs milliards de dollars pour SpaceX afin de déployer un réseau de satellites espions.
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