L’inquiétude, qui va en grandissant, concernant les performances économiques de la Chine, est infondée, affirme l’experte Dorien Emmers à nos confrères de Trends. L’Europe ferait mieux de se concentrer sur sa propre compétitivité. « La Chine ne cherche pas à nous transformer. Peut-être devrions-nous nous abstenir, nous aussi, de vouloir transformer la Chine. »
L’Europe perçoit fréquemment la Chine comme une menace. Cette perception n’est pas entièrement injustifiée. Dans de nombreux secteurs économiques, la Chine semble en effet en train de nous dépasser. Sur le marché des voitures électriques, par exemple, c’est déjà chose faite. Selon les critiques, ce succès serait le fruit de subventions massives octroyées par Pékin à son industrie automobile. Les partisans de la stratégie chinoise soulignent, eux, la vision à long terme minutieusement élaborée du pays en matière de mobilité électrique.
« Les deux camps ont raison », affirme Dorien Emmers, maître de conférences en études et économie chinoise à la KU Leuven. « Dès le début des années 2000, la Chine a compris qu’elle ne pourrait plus rattraper l’Occident dans le domaine des moteurs thermiques. Elle a donc décidé de se concentrer sur les véhicules hybrides et électriques, et elle a massivement subventionné ces secteurs », explique Dorien Emmers. « Ces plans étaient publics à l’époque. Mais nous ne les avons pas lus, et nous avons été pris de court par le succès chinois. À l’avenir, nous devons mieux nous préparer, afin de ne plus courir derrière les événements. »
Selon elle, l’Europe doit d’abord s’occuper de ses propres faiblesses. « Il faut arrêter d’espérer un effondrement de l’économie chinoise, et de croire que cela suffira à résoudre nos problèmes. Nous devons cesser de paniquer face aux avancées chinoises, ce que nous faisons parfois. Cette panique est en partie de notre responsabilité : nous n’étions pas préparés. Il est temps de nous concentrer sur notre propre compétitivité. »
Une illusion
Dans les années 1970, la Chine a entrepris de libéraliser son économie. En 2001, elle a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’intégrant ainsi au système mondial de libre-échange. L’Occident espérait alors que cette libéralisation économique mènerait à une libéralisation politique. Cet espoir s’est révélé illusoire. Et il faut en tirer des leçons, estime Emmers. « Tout changement en Chine, s’il vient un jour, viendra de l’intérieur. La Chine ne cherche pas à nous transformer. Peut-être devrions-nous aussi cesser de vouloir transformer la Chine. Il faut accepter la Chine dans sa différence. Et si la Chine accepte également notre altérité, il est alors possible d’imaginer une relation fonctionnelle, où l’on pourrait œuvrer à des intérêts communs comme la lutte contre le changement climatique ou la stabilité économique, même en période de guerre commerciale. »
Cela ne signifie pas pour autant que la Chine est irréprochable. Un exemple bien connu est celui de sa diplomatie de la dette : Pékin accorde d’importants prêts à des pays pauvres qui, souvent, ne peuvent les rembourser, et se voient contraints de céder des actifs stratégiques, comme des ports, aux Chinois. C’est ce qui s’est passé au Sri Lanka, entre autres.
Emmers propose néanmoins une lecture nuancée des relations entre la Chine et les pays en développement. Dans de nombreux pays africains, l’aide occidentale ne suffit pas à soutenir le développement économique, et les apports chinois sont donc les bienvenus. « Quand on interroge les populations locales, elles évoquent certes les aspects négatifs, mais aussi les retombées positives. Elles disent : ‘Sans la Chine, il n’y aurait pas de routes ici, pas de centrale électrique, ni de réseau 5G.’ »
La stratégie chinoise est habile, selon elle. « Pékin ne parle jamais d’aide au développement. Il est question de coopération ‘gagnant-gagnant’. Cela ne veut pas dire que les bénéfices sont partagés à parts égales : la Chine cherchera toujours à maximiser ses gains. Ce sont d’excellents négociateurs. Mais le pays partenaire en tire aussi un avantage. Ce n’est donc pas un tableau tout noir ou tout blanc. »
Le cas du Pirée
En Europe et aussi en Belgique, la Chine détient des actifs stratégiques importants. Le groupe d’État chinois Cosco, par exemple, possède un terminal à conteneurs à Zeebruges. Cosco détient également le contrôle total du port grec du Pirée. On ne peut rien reprocher à la Chine à ce sujet : le gouvernement grec a privatisé le port, Cosco a fait une offre, et les Européens pouvaient aussi soumissionner.
Mais cet exemple met en évidence le manque de vision à long terme de l’Europe, selon Emmers. « L’Europe aurait pu dire : ‘La Grèce n’a pas les moyens de conserver ce port. Mais d’un point de vue stratégique, il est essentiel qu’il reste en mains européennes.’ L’Union aurait pu racheter ce port. Elle ne l’a pas fait. La Chine a proposé l’offre la plus élevée, et aujourd’hui, le port est entre ses mains. »