L’été 2015 est entré dans l’histoire allemande comme « l’été des réfugiés ». Peu de choses subsistent aujourd’hui de cette culture de l’accueil, selon le magazine allemand Der Spiegel.
Der Spiegel a fait le bilan dix ans après le fameux « Wir schaffen das » d’Angela Merkel. En 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli 1,2 million de réfugiés, principalement venus de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. La chancelière Angela Merkel avait alors déclaré lors d’une conférence de presse, presque en passant, son fameux : « Wir schaffen das. » Cette phrase est devenue la plus célèbre de tout son mandat (2005-2021).
Au départ, l’enthousiasme était au rendez-vous. Une vague de travailleurs qualifiés – médecins, ingénieurs et techniciens expérimentés – devait stimuler le marché du travail allemand. Début 2015, 30 % des Allemands souhaitaient accueillir davantage de demandeurs d’asile, contre 21 % qui en voulaient moins. En 2025 les chiffres ne sont plus les mêmes: 68 % veulent moins de réfugiés, et seulement 3 % en veulent davantage.
Depuis 2016, l’État fédéral dépense chaque année entre 13 et 17 milliards d’euros pour sa politique d’asile, auxquels s’ajoutent les dépenses des villes, communes et de la sécurité sociale. Aujourd’hui, 44 % des réfugiés de 2015 perçoivent encore des allocations.
Emplois pour les peu qualifiés
Der Spiegel revient sur quatre grands thèmes : logement, emploi, éducation et formation, et sécurité. Les statistiques de l’emploi semblent correctes, du moins de premier abord. 86 % des hommes réfugiés de 2015 travaillent huit ans plus tard. Mais chez les femmes, ce chiffre tombe à 33 %. De plus, elles occupent principalement des emplois peu qualifiés, payés au salaire minimum. Parmi les demandeurs d’asile de 2015, 84 % étaient non qualifiés. Seuls 4 % avaient une expérience en entreprise et seulement 12 % un diplôme d’enseignement supérieur.
Six à huit ans plus tard, la situation s’est légèrement améliorée : 69 % restent non qualifiés, mais 11 % ont désormais une expérience en entreprise. Un cinquième des réfugiés a obtenu un diplôme d’enseignement supérieur. « Dans l’ensemble, ça se passe mieux que ce que nous avions prévu il y a dix ans », estime Herbert Brücker, économiste et spécialiste des migrations à l’Institut pour l’étude du marché du travail et des professions (IAB).
‘Wir haben es geschafft’ ? Pas vraiment non
Cependant, Der Spiegel a poussé l’analyse statistique plus loin et a relevé que tous les hommes qui travaillent n’occupent pas un emploi à temps plein. En Allemagne, une personne est considérée comme « active » dès qu’elle travaille au moins une heure par semaine. De Spiegel note également que les femmes travaillent encore très peu, en partie à cause des rôles traditionnels. Deux femmes réfugiées sur trois ne travaillaient pas non plus à l’extérieur dans leur pays d’origine. Par ailleurs, le manque de places en crèche limite la mobilité professionnelle.
La majorité des réfugiés actifs gagne à peine plus que le salaire minimum.
Tous ces facteurs expliquent pourquoi la plupart des réfugiés actifs n’ont que peu de revenus. Un sur cinq reçoit une aide supplémentaire de l’État. « Peut-on dire ‘Wir haben es geschafft’ ? Non », conclut Der Spiegel. « La majorité des hommes de 2015 ont trouvé un emploi, mais leurs salaires restent faibles. Beaucoup ont des problèmes de langue. De plus, l’éducation et la formation sont insuffisantes, surtout pour les femmes. »
D’autres problèmes subsistent. Les entreprises allemandes recherchent activement des travailleurs parmi les réfugiés, mais elles se plaignent de la bureaucratie, de procédures interminables et de décisions floues. Le Land de Bade-Wurtemberg a lancé un projet pour aider les migrants à trouver plus rapidement une place en entreprise pour se former. Cinquante fonctionnaires accompagnent 1 400 réfugiés, dont la moitié suit désormais une formation en entreprise.
Un système éducatif à améliorer
Le système éducatif allemand n’était déjà au mieux avant 2015. Il souffre d’un manque d’enseignants. L’arrivée massive de réfugiés en 2015-2016 a encore accentué ces difficultés. Le système dual, salué dans le monde entier, semble inefficace. Les jeunes suivent des cours à l’école, complétés par une formation en entreprise. En 2023, 44 % des élèves venus d’Afghanistan et d’Érythrée ont abandonné prématurément le système dual. Plus d’un quart ont échoué à l’examen. Les principaux obstacles étaient la maîtrise insuffisante de la langue et le niveau scolaire. Les critiques soulignent également que les enfants réfugiés sont trop facilement orientés vers la formation professionnelle, ce qui exerce une pression supplémentaire sur ces écoles.
« Une expérience à très grande échelle »
Le bilan que dresse le Der Spiegel est aussi cru que lucide. En 2013, le parti populiste de droite AfD a été fondé. Il n’avait alors pas franchi le seuil électoral de 5 %. Lors des élections fédérales de février dernier, l’AfD a obtenu près de 21 % des voix, devenant le deuxième parti après les chrétiens-démocrates. Les derniers sondages la voient au coude-à-coude avec l’Union CDU-CSU.
Peu de gens défendent encore la phrase « Wir schaffen das ». Parmi eux, Angela Merkel, qui l’a réaffirmée dans un entretien à Der Spiegel en novembre dernier. « L’immigration a évidemment apporté des problèmes. Mais nous avons aussi montré ce dont notre pays est capable. »
« Le bilan de cette gigantesque expérience migratoire commencée en 2015 est mitigé », conclut Der Spiegel. « Chaque année, près de 100 000 nouveaux réfugiés arrivent en Allemagne. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. La grande majorité des Allemands ne le souhaite pas non plus. L’optimisme a disparu. Il ne reste presque rien de la culture de l’accueil de l’époque. »