Désormais, les Chinois, plus exigeants, en veulent pour leur argent
La Chine connaît une récession économique majeure, mais des opportunités subsistent pour les entreprises occidentales, selon Pieter Verstraete, qui vit dans le pays depuis 16 ans et conseille les entreprises européennes désireuses d’investir sur le marché chinois. Ce n’est toutefois pas un marché facile. “L’époque où un Chinois achetait un produit européen uniquement parce qu’il était européen est révolue”, affirme-t-il.
Je ne vais pas mâcher mes mots. L’économie chinoise traverse la période la plus inquiétante que j’ai connue depuis que je suis dans ce pays”, lance Pieter Verstraete. Ce dernier vit et travaille en Chine depuis maintenant 16 ans et exerce la fonction de conseiller auprès d’entreprises européennes désireuses d’investir sur le marché chinois.
Ce marasme économique a commencé dans le secteur de l’immobilier, autrefois le pilier du miracle chinois. Aujourd’hui, il traverse une crise profonde. “Pendant des décennies, l’immobilier en Chine était comme un casino où l’on ne pouvait pas perdre, explique Pieter Verstraete. Le gouvernement local gagnait de l’argent en vendant des terrains à des promoteurs immobiliers, qui construisaient à leur tour des appartements qu’ils revendaient à bon prix. Les particuliers ont suivi le mouvement, car le boom immobilier a fait grimper la valeur des appartements. Ce type de biens est alors devenu la tirelire du Chinois moyen et l’immobilier représentait entre 60 et 70 % de la richesse des habitants.”
Une combinaison de facteurs a mis fin à cette manne. Une migration beaucoup moins importante des zones rurales vers les zones urbaines a notamment joué un rôle important. “L’urbanisation ralentit et les naissances diminuent, ce qui pèse sur les perspectives des promoteurs immobiliers, explique Pieter Verstraete. Le président Xi Jinping souhaite réorienter les flux de capitaux de l’immobilier vers des industries technologiquement avancées, afin de renforcer la position de la Chine dans le monde. La pandémie de covid et les fermetures brutales ont également eu un impact majeur dans l’effondrement de l’immobilier. Ainsi, les Chinois ont perdu la sécurité de leur emploi et ont eu peur d’acheter un appartement et de contracter le prêt qui va avec. Cela a eu pour résultat de voir les prix de l’immobilier chuter, ce que les Chinois n’avaient jamais vu de leur vie.”
“De nombreuses marques européennes peinent à s’adapter aux changements de consommation des Chinois.” – Pieter Verstraete
Bière de hipster
Celui qui voit ses revenus diminuer ne perd pas le nord. Ainsi, la confiance des consommateurs chinois n’a jamais été aussi basse. Cependant, pour les entrepreneurs occidentaux, la Chine reste encore un marché intéressant. En effet, malgré le ralentissement économique, la classe moyenne continue de grandir et de s’enrichir. “Cela signifie également que la Chine est devenue un marché plus difficile, explique Pieter Verstraete. L’époque où un Chinois achetait un produit européen uniquement parce qu’il était européen est révolue. Les entreprises chinoises parviennent de plus en plus à créer leurs propres marques. Elles deviennent ainsi de sérieux concurrents pour les entreprises occidentales.”
Ces dernières devront donc apprendre à développer des produits et des services adaptés aux nouveaux besoins et préférences des Chinois. “C’en est fini de la taille unique qui signifiait : c’est assez bien pour les Européens, alors nous allons le vendre en Chine aussi. Ce changement est déjà en cours. L’industrie alimentaire fabrique déjà de nombreux produits adaptés aux goûts des Chinois. L’industrie cosmétique se concentre sur la peau spécifique des Chinois. Quant à l’industrie automobile, elle conçoit et fabrique désormais des modèles adaptés au marché chinois”, détaille Pieter Verstraete.
Les Chinois ne se laissent plus tenter aussi facilement qu’avant. “Lors des années de croissance entre 2010 et 2020, ils choisissaient toujours une marque plus chère, presque aveuglément, qu’il s’agisse d’un téléviseur, d’un lave-linge ou d’une voiture, explique Pieter Verstraete. Aujourd’hui, les priorités ont changé car les Chinois en veulent pour leur argent. Un nouveau téléviseur est envisageable seulement si c’est une bonne affaire.”
Pieter Verstraete dresse ce constat dans les rues chinoises. “Les cafés qui vendaient leur India Pale Ale maison – qui passe ici pour une bière de hipster – à 8 euros le verre, ont tous retourné leur veste. De nombreux commerces ont été remplacés par des magasins discount.” Cependant, il n’y a pas encore de signe d’un malaise général de la consommation. “Les ventes de compléments alimentaires, de matériel de camping et d’équipements sportifs connaissent une croissance à deux chiffres, indique Pieter Verstraete. Cette année déjà, 19 % de Chinois supplémentaires ont voyagé à l’étranger par rapport à l’année 2019, avant la crise du covid. Les ventes de voitures sont aussi en pleine croissance. C’est pour cela que je ne parlerais pas de malaise.”
“Les Chinois ont le sentiment que l’âge d’or est passé. Mais ce sont les gens les plus résistants que je connaisse. Tout le monde cherche une solution pour soi.”
De petites pensions et des soins de santé onéreux
Les Chinois restent des épargnants assidus, notamment parce que le système de sécurité sociale n’est pas très développé. “Le cauchemar de tout Chinois reste qu’un cancer frappe l’un des membres de sa famille”, explique Pieter Verstraete. “L’assurance maladie chinoise ne couvre que les frais de base. Les traitements et les médicaments coûteux sont à leur charge. Ils doivent donc s’assurer que le montant nécessaire se trouve sur leur compte d’épargne. Il est également nécessaire d’épargner pour la retraite.” La Chine n’offre pas de pensions généreuses, décrit Pieter Verstraete. Le montant s’élève à 300 à 500 euros par mois dans les villes, et souvent à pas plus de 100 euros mensuel dans les campagnes. Il est difficile de vivre dignement avec de telles sommes.
Les Chinois sont-ils mécontents de cette situation ? “Il y a bien sûr des plaintes, raconte Pieter Verstraete. Les Chinois ont le sentiment que l’âge d’or est passé. Mais ce sont les gens les plus résistants que je connaisse. Tout le monde cherche une solution pour soi.” Les rues chinoises pourraient-elles être envahies par des manifestations en ces temps difficiles ? “Pas du tout. Parce que les Chinois ne voient pas d’alternative. Ou plutôt : ils deviennent de plus en plus occidentaux. Je veux dire par là que la possession de biens, en particulier de produits coûteux, n’est plus une priorité pour eux. Aujourd’hui, les Chinois se concentrent davantage sur l’expérience. Au lieu d’un sac à main coûteux, ils optent désormais pour des vacances en famille. Ils veulent passer plus de temps de qualité. Une valeur qui semble pourtant très occidentale, n’est-ce pas ?”
La fin de la fête du luxe
La santé financière en Chine de groupes de luxe comme LVMH, qui compte Louis Vuitton et Christian Dior, et Kering, le dôme de Gucci et Yves Saint Laurent, n’est pas au mieux. “Une crise réduit l’appétit d’achat et ce sont surtout les acheteurs dits ‘aspirationnels’ qui se désintéressent du marché, estime Pieter Verstraete. Les Chinois qui avaient l’habitude de dépenser le double de leur salaire mensuel pour des produits de luxe ne peuvent plus ou ont désormais peur de le faire. A cela s’ajoute un réflexe nationaliste des consommaturs chinois qui deviendraient plus enclins à acheter des produits locaux.
Par ailleurs, “de nombreuses marques européennes sont tout simplement trop lentes pour s’adapter au marché chinois, indique Pieter Vertstraete. Elles ne parviennent pas à proposer des produits que les Chinois peuvent apprécier. C’est pour cela qu’ils finissent par se tourner vers des marques locales asiatiques – et pas toujours chinoises. Celles-ci parviennent souvent mieux à séduire les consommateurs chinois”.
Il existe cependant toujours des marques occidentales qui restent attractives sur le marché. “Lululemon, un fabricant canadien de vêtements de yoga coûteux, est incroyablement populaire. Un pantalon de yoga coûte l’équivalent de 120 euros. Par rapport à un salaire mensuel moyen de 600 euros, c’est un montant énorme. Mais malgré cela, au premier trimestre, Lululemon a enregistré une croissance des ventes de 45 % en Chine par rapport au premier trimestre de l’année dernière.
Joseph Vangelder
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