« Qu’avez-vous fait la semaine dernière ? » : le bras de fer entre Musk et les agences fédérales vire au clash
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Elon Musk et le Département de l’Efficacité Gouvernementale ont-ils déclenché un effet papillon apocalyptique en s’attaquant à l’USAid ? S’agit-il du premier acte d’une série de réformes américaines aux conséquences mondiales incertaines ? Seule certitude, le bras de fer entre Elon Musk et les agences fédérales s’est encore durci d’un cran ce week-end.
Sous l’instigation de Donald Trump, qui lui a demandé d’adopter une attitude encore « plus agressive » dans sa réduction des dépenses publiques, Musk et le Doge (Department of Government Efficiency ou Département de l’Efficacité Gouvernementale) ont encore intensifié la pression ce week-end sur les organismes étatiques. “N’oubliez pas que nous avons un pays à sauver”, a ajouté Donald Trump.
Dans la foulée, la plupart des fonctionnaires fédéraux ont reçu samedi un courriel de l’OPM, le bureau chargé de la gestion des fonctionnaires, intitulé : « Qu’avez-vous fait la semaine dernière ? » Un message exigeant, pour ce lundi soir, un retour mentionnant cinq tâches accomplies la semaine précédente, avec copie adressée à leur supérieur. Musk a précisé, dans un tweet, que toute « absence de réponse » serait interprétée comme une « démission ».
Si plusieurs institutions fédérales, comme le Pentagone, le FBI et le Département d’État, ont refusé de se plier aux exigences de Musk, suspendant toute réponse à son ultimatum, toutes les agences ne sont pas en mesure de résister.
L’USAid, sous les coups de boutoir de Trump depuis les premières heures de son mandat, n’a eu d’autre choix que de réduire ses effectifs, comme elle l’a annoncé dimanche soir. Cette décision fait suite à la suspension, le vendredi 21 février, par un juge fédéral, de certaines mesures de l’administration Trump visant à démanteler l’agence. Concrètement, ce juge a donné son feu vert à l’administration Trump pour mettre dehors plus de 2.000 employés de l’Agence. En un mois, après une attaque d’une brutalité sans précédent, l’USAid, l’agence des États-Unis pour le développement international et symbole du soft power américain, est bel et bien à terre. Et son démantèlement a commencé.
Qu’est-ce que l’USAid?
L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAid) est une institution gouvernementale fondée en 1961 par John F. Kennedy, chargée d’administrer l’aide étrangère américaine. Avec un budget de 42,8 milliards de dollars en 2024, elle représente 42 % de l’aide humanitaire mondiale et finance des projets de développement, de santé publique et d’aide d’urgence dans environ 120 pays. Ses interventions incluent la lutte contre la malnutrition, le paludisme et Ebola, la distribution de nourriture et d’eau potable, ainsi que le soutien aux populations déplacées par des crises humanitaires. Depuis 2000, l’agence estime avoir sauvé 11,7 millions de vies et prévenu 2,1 milliards de cas de paludisme.
Pourtant, dès son retour au pouvoir, l’agence est devenue la cible principale de Donald Trump et d’Elon Musk dans le cadre de leur plan de purge de l’administration américaine.
Une USAid démantelée
Elon Musk ne s’en cache pas, il a « jeté l’USAid dans le broyeur à bois » et sa destruction ressemble à une véritable obsession. Dès les premières heures du mandat de Trump, le site Internet de l’agence avait déjà été fermé et son budget gelé pour une durée de 90 jours, le temps d’une évaluation. Nouvelle étape ce dimanche, l’USAid a annoncé le licenciement d’environ 1.600 employés aux États-Unis.
Tous les autres employés directement employés par l’USAid, à l’échelle mondiale, seront placés en congé administratif, avec une échéance à 23h59 dimanche soir (04h59 GMT lundi), à l’exception des responsables pour des “fonctions de missions essentielles, de la direction centrale et/ou des programmes spécialement désignés”. L’USAid a par ailleurs déclaré qu’elle informerait dimanche le “personnel désigné essentiel” qui devrait rester en poste, sans préciser leur nombre, mais on parle de 611 personnes. L’agence financera les coûts du rapatriement de son personnel déployé à l’étranger, assurant que les employés auront notamment accès aux ressources diplomatiques jusqu’à leur retour aux États-Unis.
Pourtant, plusieurs responsables régionaux, censés coordonner l’arrêt des opérations, ont eux-mêmes été mis à pied, laissant de nombreux projets d’aide à l’étranger dans une situation de blocage total. De plus, l’agence devait assurer le rapatriement de ses employés déployés à l’étranger, mais le manque de personnel et de financement complique cette mission, laissant plusieurs centaines de travailleurs dans l’incertitude.
Les effectifs de l’USAid dépassaient les 10.000 avant le retour au pouvoir du milliardaire républicain, et le risque est réel que ceux-ci soient bientôt réduits à néant. Ou, plus probablement, de moitié. Selon CBS, environ 4.200 employés seront mis en congé. Si l’on ajoute à cela les 1.600 licenciements indiqués sur le site de l’USAid, ce sont pas moins de 5.800 postes qui devraient être concernés.
Pourquoi un tel acharnement ?
Plus qu’une simple mesure d’économie, cette décision est aussi perçue comme une offensive idéologique : Musk et ses alliés considèrent l’USAid comme un “nid de bureaucrates marxistes”, ignorant son rôle central dans la diplomatie et la stabilité mondiale. Le démantèlement de l’USAid a des répercussions humanitaires immédiates. En arrêtant net ses financements, des millions de personnes dans le monde sont privées de soins médicaux et de nourriture. Au Soudan, des enfants en attente de Plumpy’Nut contre la malnutrition restent sans aide. En Haïti et en Afrique subsaharienne, des milliers de bébés risquent de naître avec le VIH faute de traitements préventifs. En Ukraine, l’arrêt des subventions menace l’indépendance de nombreux médias et ONG. De plus, la suspension des programmes de lutte contre les pandémies fait craindre une résurgence de maladies comme Ebola ou le paludisme.
Plusieurs alliés des États-Unis, notamment en Europe et en Afrique, ont exprimé leur inquiétude face à l’arrêt brutal des aides humanitaires et au chaos administratif qui en résulte. La France et l’Allemagne ont appelé à une réunion d’urgence avec l’ONU pour discuter des conséquences de cette décision, tandis que le secrétaire général de l’ONU a exhorté Washington à revenir sur cette politique qui “met en péril des millions de vies”.
Un bras de fer qui s’intensifie
Fin janvier, Elon Musk, par le biais de son département Doge (Department of Government Efficiency), avait déjà mis en place une initiative visant à réduire les dépenses publiques en incitant les fonctionnaires fédéraux à accepter des démissions “volontaires”. Seul 75.000 fonctionnaires auraient accepté l’offre, selon Washington Post.
Avec cette nouvelle passe d’armes, le bras de fer entre Elon Musk et les agences fédérales s’intensifie. L’opposition croissante ne semble pourtant avoir que peu d’impact sur Elon Musk. Dans une série de messages publiés sur X, il a fustigé les “bureaucrates résistants au changement” et affirmé que “d’autres coupes sont à venir”. Il a également suggéré que certaines agences pourraient être entièrement privatisées afin de “maximiser l’efficacité et éliminer les gaspillages”.
La méthode brutale utilisée pour l’USAid pourrait être transposée à d’autres pans de l’État fédéral américain. De quoi donner des sueurs froides aux autres agences américaines, mais pas seulement. La question centrale est désormais de savoir si le Congrès interviendra pour limiter ces décisions ou si la crise prendra une ampleur encore plus grande, menaçant jusqu’à l’équilibre des institutions fédérales américaines.
L’idée de Musk relève du “bon sens”, selon la présidente de l’Open VLD
La présidente de l’Open Vld, Eva De Bleeker, estime que le projet d’Elon Musk de demander par mail aux employés du gouvernement américain ce qu’ils ont fait la semaine précédente relevait du “bon sens”, indique-t-elle dans un message publié lundi sur X. “C’est une pratique courante dans le secteur privé”. Quelques heures plus tard, la présidente des libéraux flamands a toutefois retiré sa publication, précisant “ne pas être fan de Musk.”
Le milliardiaire de la tech et propriétaire du réseau social X fait régulièrement part, en tant que conseiller du président américain Donlad Trump, de ses idées controversées en matière de restructuration de la fonction publique. Il dirige le DOGE – le “Département de l’efficacité gouvernementale” – un ministère chargé de moderniser le gouvernement et de le rendre plus efficace. Le week-end dernier, Elon Musk a annoncé que tous les fonctionnaires fédéraux recevraient un e-mail leur demandant d’expliquer ce qu’ils avaient fait la semaine dernière. S’ils ne répondent pas, ils seront licenciés, a-t-il ajouté. Selon la présidente des libéraux flamands, il s’agit d’une bonne idée. “C’est du simple bon sens indépendamment de tout le reste qui est envisagé aux Etats-Unis”, a-t-elle initialement indiqué sur X. “Cest une pratique courante dans le secteur privé. Il me semble tout à fait normal que nous puissions obtenir des informations afin de savoir si l’argent des contribuables est dépensé de manière efficace.” Quelques heures plus tard toutefois, Mme De Bleeker a annoncé le retrait du message. “Le message était le suivant: nous devons lutter pour un gouvernement beaucoup plus efficace. Et cela inclut l’analyse du fonctionnement de notre personnel gouvernemental comme cela se fait dans le privé. Point final”, précise-t-elle sur X. “Pour mémoire, je ne suis pas fan de Musk. Au contraire.”
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