Débat Harris et Trump: temps fort d’une campagne hors normes

L’une est une ancienne procureure, connue pour sa fermeté, l’autre un célèbre tribun, friand des invectives: Kamala Harris et Donald Trump, qui vont s’affronter mardi lors d’un débat extrêmement attendu, sont deux orateurs aux styles diamétralement opposés.

Le débat entre Joe Biden et Donald Trump en juin avait changé la face de l’élection présidentielle américaine. En sera-t-il de même pour la confrontation mardi entre Kamala Harris et l’ex-président, l’un des rendez-vous les plus attendus de cette campagne hors normes? La vice-présidente démocrate et le candidat républicain ne se sont jamais adressé la parole. Ils s’affronteront à partir de 21H00 locales, soit une heure du matin (GMT) mercredi devant des millions de téléspectateurs mais sans public, sans notes, pendant 90 minutes.

Leur débat, le premier et peut-être le dernier avant le scrutin du 5 novembre, sera animé par deux journalistes de la chaîne ABC et il se déroulera à Philadelphie. Tous deux ont accepté des règles strictes, conçues pour empêcher les interruptions intempestives ou les interpellations directes. D’ailleurs, le micro du candidat qui n’a pas la parole sera éteint.

Des règles strictes
Le débat aura lieu au Centre national de la Constitution à Philadelphie, grande métropole de Pennsylvanie dans l’est des Etats-Unis. Cet Etat n’a pas été choisi au hasard: il est largement considéré comme le plus important des Etats pivots, ces Etats qui pourraient basculer démocrates comme républicains en novembre.
A la barre pour animer les discussions: les présentateurs Linsey Davis et David Muir d’ABC, dans une salle sans public.

La question des micros
La question de mettre ou non en silencieux le micro d’un candidat lorsqu’il n’a plus la parole a été l’objet de discussions houleuses ces dernières semaines.
L’équipe de Kamala Harris souhaitait garder les micros ouverts, dans l’espoir de voir son rival républicain l’interrompre de manière intempestive et se lancer dans les digressions dont il est coutumier – et qu’il se montre ainsi sous un jour peu présidentiel.
Mais l’équipe de Donald Trump a catégoriquement refusé, accusant les démocrates de vouloir changer les règles sur lesquelles ils s’étaient déjà entendus.
Chaque camp a donc accusé l’autre de faire preuve de poltronnerie sur cette question. Mais ABC a finalement tranché, et les micros des deux candidats ne seront ouverts que lorsque la parole leur sera donnée.

Qui parle quand?
Seuls les animateurs du débat seront autorisés à poser des questions, et aucun sujet ou question ne sera partagé en amont avec les deux camps.
Les candidats plongeront directement dans la partie questions-réponses. Chacun disposera de deux minutes pour répondre à une question, tandis que deux minutes seront réservées à l’opposant pour répliquer. Une minute supplémentaire sera possible pour tout “propos complémentaire, clarification, ou réponse”, selon les règles.
A la fin du débat, les candidats auront deux minutes pour exposer leurs conclusions. Après tirage au sort, Donald Trump a obtenu le droit de choisir de passer en dernier.

Pas d’accessoire
La vice-présidente et l’ex-président se tiendront derrière un pupitre pour l’ensemble du débat. Les accessoires pour appuyer les démonstrations comme les notes préparées à l’avance ne seront pas autorisés. Ils disposeront chacun d’un stylo, de feuilles de papier, et d’une bouteille d’eau.
Les conseillers des candidats ne seront pas autorisés à entrer en contact avec eux lors des pauses publicitaires.

Coup pour coup

Le camp du républicain aborde la soirée en roulant des mécaniques: “C’est impossible de se préparer (à débattre) avec le président Trump. (…) Imaginez un boxeur qui essaierait de se préparer pour combattre Floyd Mayweather or Mohamed Ali”, a dit lundi Jason Miller, l’un de ses proches conseillers.

Donald Trump, qui est poursuivi pour avoir cherché à inverser les résultats de la dernière élection, ne s’est pas engagé à concéder une éventuelle défaite. Le républicain avait prévenu qu’une fois de retour à la Maison Blanche, il imposerait de “longues peines de prison” à tous ceux qui, selon lui, prévoient de “tricher” en novembre.

La démocrate a, elle, averti, dans une interview radio diffusée lundi, que son rival n’avait “aucune limite dans la bassesse et nous devons être préparés à ça.” Kamala Harris a aussi dit s’attendre à “de nombreux mensonges”, et veut attaquer son adversaire comme un homme “qui se bat pour ses propres intérêts, pas pour les Américains.”

Avant ce temps fort annoncé d’une campagne hors normes, complètement chamboulée par le retrait en juillet du président Joe Biden, le camp démocrate a aussi diffusé lundi une nouvelle vidéo compilant de violentes critiques d’anciens grands noms de l’administration de Donald Trump, dont l’ancien vice-président Mike Pence, décrivant le milliardaire de 78 ans comme un “danger” pour le pays.

Atouts et stratégie de Trump

Donald Trump aura l’expérience pour lui. Le tempétueux septuagénaire, ancien présentateur de téléréalité, participe à son septième débat télévisé et a marqué les Américains par certaines de ses prestations passées. A commencer par sa célèbre pique, adressée à Hillary Clinton en 2016, lors de laquelle il avait affirmé que la démocrate méritait d’être “en prison”.

Son débat le plus mémorable est toutefois bien son dernier, contre Joe Biden en juin: il avait précipité le retrait du président démocrate. Comment Donald Trump se comportera-t-il face à une toute nouvelle adversaire, qu’il qualifie à tort et à travers de “marxiste” et de “communiste” ?

L’ancien magnat de l’immobilier a laissé très peu d’éléments filtrer sur sa stratégie. “Je vais la laisser parler”, a-t-il simplement déclaré lors d’une rencontre avec des électeurs début septembre. Avant d’ajouter: “Vous pouvez avoir toutes les stratégies que vous voulez, mais vous devez toujours vous adapter à ce qu’il y a en face.”

L’ancien président, qui se flatte de ne pas avoir besoin de préparation particulière, a reconnu: “J’ai des réunions à ce sujet, nous en parlons, mais il n’y a pas grand-chose à faire.”

Harris, loin d’être une débutante

Kamala Harris qui, d’une certaine manière, se trouve où elle est aujourd’hui grâce à un débat, est loin d’être une débutante et a, elle aussi, quelques punchlines à son actif. Nous sommes le 27 juin 2019, les candidats à la primaire démocrate, dont Kamala Harris et Joe Biden, se mesurent les uns aux autres.

Un échange retient l’attention. La sénatrice de Californie reproche à l’ancien vice-président de Barack Obama son opposition passée à une politique de déségrégation raciale qui consistait à transporter en bus certains enfants vers des écoles éloignées, et dont elle avait bénéficié. “La petite fille (dans le bus), c’était moi”, avait-elle lancé. Joe Biden, réduit au silence, lui avait lancé un regard presque admiratif.

Kamala Harris s’est illustrée lors d’un autre débat, entre les colistiers de Joe Biden et de Donald Trump, le 7 octobre 2020. Elle avait remis à sa place son adversaire, le vice-président Mike Pence, avec une calme autorité. “Monsieur le vice-président, je suis en train de parler”, avait-elle déclaré, à deux reprises.

Une campagne bouleversée

Depuis le premier débat télévisé de 1960 entre John F. Kennedy et Richard Nixon, ces duels avaient permis à l’un ou l’autre candidat de se distinguer par une saillie ou une réplique percutante, mais jamais ils n’avaient vraiment bouleversé la campagne.

Jusqu’au 27 juin 2024. Ce jour-là sur CNN, Joe Biden, candidat démocrate déjà fragilisé par les questionnements incessants sur son âge, avait perdu pied en direct face à Donald Trump.

La contre-performance avait débouché sur le retrait historique de sa candidature le 21 juillet. Depuis, Kamala Harris a relancé les espoirs démocrates.

Là où le président octogénaire était distancé, elle est au coude-à-coude avec Donald Trump dans les sondages, y compris dans les “swing states”, ces six ou sept Etats pivots qui pèsent si lourd dans le système américain d’élection au suffrage indirect.

La Pennsylvanie, avec ses 19 voix au collège électoral, a en effet cette tendance à basculer d’un camp à l’autre, et est l’un des “swing states” les plus convoités. Donald Trump avait remporté l’Etat de peu en 2016 et l’avait perdu d’un rien en 2020.

Les enjeux

Outre gagner des voix pour le scrutin présidentiel du 5 novembre, les enjeux ne seront pas les mêmes pour les deux candidats. Kamala Harris devra gagner en popularité auprès des indécis, tandis que Trump devra prouver être en pleine possession de toutes ses capacités cognitives.

Pour Kamala Harris
De nombreux Américains – 28% des électeurs qui comptent se rendre aux urnes, selon un sondage New York Times/Siena College – disent avoir du mal à cerner la vice-présidente de 59 ans, sa personnalité, ses idées, son programme.
Le premier objectif de la démocrate mardi soir sera donc de faire bonne impression auprès de ces indécis.

Pour Donald Trump
Donald Trump n’a lui nul besoin de se faire connaître, ni auprès de ses partisans extrêmement fidèles, ni auprès de ses détracteurs également fervents. Le milliardaire de 78 ans participe mardi à son septième débat présidentiel. Le républicain tentera de charger sa rivale avec tous les ratés, à son sens, du mandat de Joe Biden, en matière d’immigration et d’inflation notamment.

Et dans un renversement total par rapport au débat de juin face au président américain, ce seront cette fois les capacités cognitives de Donald Trump qui seront scrutées, face à une adversaire plus jeune de presque vingt ans.

Sondages fluctuants

Comme les deux précédentes présidentielles, celle de 2024 pourrait se jouer à quelques milliers de voix dans certains comtés stratégiques de six ou sept Etats pivots, en raison du mode de scrutin qui se joue au suffrage universel indirect.

A l’échelle nationale, les sondages donnent l’avantage tantôt à la démocrate, qui a réussi à galvaniser son parti mais qui doit encore se faire connaître d’une bonne partie de la population, tantôt au républicain, dont le socle électoral ne semble entamé ni par ses ennuis judiciaires ni par ses déclarations outrancières ou décousues.

Une enquête d’opinion rendue publique lundi par ABC crédite Kamala Harris de 50% des intentions de vote contre 46% pour son rival parmi les Américains inscrits sur les listes électorales, et de 52% contre 46% parmi les électeurs qui prévoient de se rendre aux urnes.

Une étude publiée dimanche par le New York Times donne l’ancien président, visé par une tentative d’assassinat en juillet, en avance d’un point sur la vice-présidente (48% contre 47).

Programmes
Voici les projets pour les Etats-Unis pour et le monde, des deux candidats à la Maison Blanche en cinq mesures emblématiques.

1. Economie

Harris : crédit d’impôt à la naissance

La démocrate de Californie se présente comme la candidate des classes moyennes et veut créer une “économie des possibles” (“opportunity economy”). Elle promet en cas d’élection un crédit d’impôt à la naissance, une aide à l’accession à la propriété immobilière et un coup de pouce à la création d’entreprise. Mais aussi une offensive, encore mal définie, contre les pratiques abusives des entreprises sur les prix.
Kamala Harris a repris certains engagements de Joe Biden sur la taxation des grandes fortunes, en les tempérant. Elle veut taxer à 28% les plus-values à long terme pour les ménages gagnant plus d’un million de dollars par an, un taux plus élevé qu’actuellement, mais que le président prévoyait de fixer à 39,6%.

Trump : Musk aux manettes, cryptos à gogo
Concernant l’économie, le milliardaire républicain envisage des droits de douane de “plus de 10%” sur toutes les importations. Il entend, avec ces recettes, financer une “large baisse d’impôts pour la classe moyenne, la classe supérieure, la classe inférieure, la classe business”.
Donald Trump s’est aussi engagé à faire des Etats-Unis “la capitale mondiale du bitcoin et des cryptomonnaies” et à confier au milliardaire Elon Musk la responsabilité d’un large audit de l’administration américaine.
L’ancien président, qui a mené une guerre commerciale féroce avec la Chine durant son premier mandat, prévoit aussi de révoquer la clause de la “nation plus favorisée” accordée à Pékin pour développer le commerce bilatéral.

2. Climat

Harris : volte-face environnemental

Kamala Harris n’as pas encore détaillé son programme environnemental, évoquant seulement lors de la convention démocrate “le droit de respirer un air propre, de boire une eau propre et de vivre sans la pollution qui nourrit la crise climatique”.
Elle a assuré qu’elle n’interdirait pas la fracturation hydraulique, ou “fracking”, une méthode d’extraction d’hydrocarbures dénoncée par les défenseurs de l’environnement, et à laquelle elle s’était opposée dans le passé. Selon le site Axios, elle a aussi fait volte-face sur l’interdiction des pailles en plastique, à laquelle elle n’est plus favorable, alors qu’elle avait soutenu cette idée.
Vice-présidente, elle avait soutenu le grand plan de transition énergétique de Joe Biden, le “Inflation Reduction Act”.

Trump : pétrole, pétrole, pétrole
Donald Trump avait claqué la porte de l’Accord de Paris sur le climat durant son premier mandat. S’il était réélu? “Je mettrai rapidement fin à la grande arnaque verte”, a promis l’ex-dirigeant, en référence aux centaines de milliards de dollars engagés par l’administration Biden pour le climat.
“On va forer (du pétrole) comme des malades!”, a-t-il aussi promis à ses partisans. Cela permettra selon lui de faire “baisser très rapidement” les prix de l’énergie. “Dans de nombreux cas, nous réduirons vos coûts énergétiques de moitié”, a assuré le milliardaire républicain.

3. Immigration

Harris : durcissement migratoire

C’est l’un des sujets les plus sensibles de la campagne. Kamala Harris a signalé qu’elle aurait une politique de fermeté, en estimant qu’il fallait des “conséquences” pour les personnes entrant de manière illégale sur le territoire américain.
Elle a soutenu un projet de net durcissement de la politique migratoire porté par Joe Biden, prévoyant en particulier d’investir dans des barrières physiques à la frontière avec le Mexique – le fameux “mur” voulu par Donald Trump, que la candidate de 59 ans avait vivement critiqué par le passé. Le texte, qui restreignait aussi l’accès au droit d’asile, n’a jamais vu le jour, faute de consensus au Congrès.

Trump : expulsions massives de migrants
Le candidat républicain à la Maison Blanche a promis de lancer “la plus grande opération d’expulsion” de migrants dès le premier jour de son mandat. “Nous allons les renvoyer aussi vite que possible”, a-t-il lancé, accusant les migrants “d’empoisonner le sang du pays”.
Le septuagénaire, connu pour son célèbre projet de mur à la frontière avec le Mexique, n’exclut pas “d’utiliser l’armée” et d’ouvrir de nouveaux camps de rétention afin de procéder à ces expulsions.
Il prévoit aussi d’annuler le droit du sol automatique “pour les enfants nés de migrants en situation irrégulière” et de “rétablir” son décret migratoire controversé ciblant des pays musulmans.

4. Droit à l’avortement

Harris : reprendre les dispositions de la jurisprudence Roe v. Wade

Voilà une thématique sur laquelle la position de Kamala Harris ne laisse pour le coup aucune place au doute. Elle a été aux avant-postes de la mobilisation démocrate après que la Cour suprême, modelée par l’ex-président républicain Donald Trump, a mis fin à la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement, une décision après laquelle de nombreux Etats du Sud ont interdit ou très sévèrement restreint les interruptions volontaires de grossesse.
Les démocrates appellent à reprendre les dispositions de la célèbre jurisprudence Roe v. Wade, celle que la plus haute juridiction américaine a dynamitée, pour les graver dans le marbre d’une loi fédérale, s’imposant à tous les Etats.

Trump : très ambigu sur l’avortement
Le républicain ne rate pas une occasion de rappeler qu’il est l’architecte de l’annulation du droit fédéral à avorter, décidée en juin 2022 par la Cour suprême. Mais il est bien plus ambigu quand il s’agit de parler de l’avenir des interruptions volontaires de grossesse dans le pays.
Le candidat ne fait pas campagne sur une très impopulaire promesse d’interdiction de l’avortement dans tout le pays au travers d’une loi fédérale, comme le voudrait la droite religieuse. “Il faut suivre son âme et conscience sur cette question, mais n’oubliez pas qu’il faut aussi remporter des élections”, a-t-il déclaré. Et de promettre: “Mon administration sera formidable pour les femmes et leurs droits reproductifs.”

5. Ukraine et Israël

Harris : aux côtés de l’Ukraine et d’Israël

La candidate démocrate a promis qu’elle se tiendrait “fermement aux côtés de l’Ukraine et (des) alliés de l’Otan” et ne ferait pas “ami-ami avec les dictateurs”, si elle était élue en novembre.
Dans une interview à CNN le 29 août, Kamala Harris a réitéré son soutien au droit d’Israël “à se défendre” et a répondu “non” à la question de savoir si, présidente, elle suspendrait les livraisons américaines d’armes à Israël, alors que la guerre à Gaza se poursuit. Dans ce même entretien, elle a aussi dit que “beaucoup trop de Palestiniens innocents (avaient) été tués”.

Trump : la guerre en Ukraine réglée en “24 heures”
Donald Trump ne cesse de dire qu’il réglerait la guerre en Ukraine “en 24 heures” s’il était élu — sans jamais expliquer comment. “J’ai un plan très précis pour arrêter l’Ukraine et la Russie. Et j’ai une certaine idée – peut-être pas un plan, mais une idée – pour la Chine”, a-t-il assuré lors d’une interview.
L’ancien président a toutefois refusé de s’épancher sur les détails de ces plans hypothétiques. “Si je vous les donne, je ne pourrai pas les utiliser”, a-t-il lancé, insistant sur la nécessité de garder un effet de “surprise”.
Donald Trump s’est posé en défenseur absolu d’Israël lors du déclenchement de la guerre avec le Hamas. Mais il s’est depuis montré assez flou sur l’inconditionnalité de ce soutien, affirmant ne pas être “exactement sûr d’adorer la façon” dont Israël mène son offensive à Gaza.

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