Conquérir l’Amérique: “Les Américains adorent ce qui est original et unique”
Professeur à l’université de Columbia, Matthew Lee Sawyer publie un livre pour conseiller les entrepreneurs désireux de conquérir les États-Unis. Les clés ? Connaître le marché et comprendre le caractère américain, bien choisir son timing et être prêt à investir du temps. L’élection présidentielle ne devrait pas abîmer le temps long du rêve de prospérité.
Matthew Lee Sawyer est professeur de business et de marketing à l’université de Columbia. C’est aussi le directeur de Rocket Market Development, qui aide les entreprises à trouver des opportunités de marché aux États-Unis. Petit-fils d’un Polonais venu réaliser le rêve américain, il vient de publier un livre, Make it in America (éd. Wiley), qui prodigue des conseils aux entrepreneurs étrangers et analyse des réussites légendaires ou… des flops historiques.
Par-delà les élections présidentielles ou les aléas de la conjoncture, le rêve américain demeure bien ancré. “Les États-Unis représentent la plus grande économie du monde, entame-t-il. Tant le système financier que la gouvernance ou le système légal sont pro-business. Cela semble parfois chaotique, mais cela encourage l’initiative et la compétition. Pour les entreprises qui sont prêtes à investir du temps et être présentes sur le terrain, je ne dirais pas que c’est évident, mais il y a de réelles opportunités.”
Construire sa crédibilité
Pour les entrepreneurs étrangers, cela peut sembler plus compliqué d’en profiter parce qu’il y a “énormément de choses à savoir, particulièrement en ce qui concerne le système légal”. “Mais en même temps, je pense que les gens venus de l’étranger possèdent un avantage, estime l’auteur. Ils peuvent répondre à des besoins auxquels on ne répond pas ou proposer une manière de faire différente. Les Américains adorent ce qui est original ou unique. On préférera toujours avoir la meilleure bière belge. Un jour, une entreprise a pris la licence d’une bière allemande pour la brasser dans le Wisconsin, mais le résultat a été un échec parce que les gens voulaient le produit authentique.”
Il s’agit d’innover, mais aussi de vendre un produit et ses racines. “Bien comprendre le consommateur américain et ses besoins, c’est une nécessité absolue.” C’est le moteur de la libre entreprise, mais ce n’est pas donné à tout le monde de réussir. Pour cela, il faut travailler le marché en profondeur.
Matthew Lee Sawyer cite dans son livre le cas de l’entreprise coréenne Hyundai, venue aux États-Unis avec un nom “amusant” et des voitures inconnues. “Pendant six mois, un travail intense a été effectué pour construire sa crédibilité. Lorsque vous abordez un marché aussi gigantesque, cela peut prendre du temps pour créer ce lien de confiance.” Cela nécessite d’investir “big” pour réussir “big” aux USA car les démarches à faire pour couvrir ce territoire immense sont nombreuses. Même s’il est aussi possible de démarrer “small” pour devenir “big”. Le professeur de l’université de Columbia cite un autre cas d’école, celui de l’entreprise belge Renson, qui produit des terrasses couvertes, des carports, etc. “Ils ont commencé leur approche du marché à Los Angeles, là où il n’y avait guère de concurrence, ils s’y sont installés et ont entamé leur croissance à partir de là. Cela permet d’investir progressivement. Si vous entamez votre conquête des États-Unis par New York, ce peut être plus difficile car c’est une des villes les plus chères du monde.” Ensuite, il convient de s’adapter aux situations très différentes d’un État à l’autre : l’Ouest et ses risques de tremblement de terre n’est pas la même terre que la Floride où il convient de se protéger contre les ouragans.
Le “made in Belgium” vu positivement
Si les Américains aiment ce qui est “original et authentique”, ils voient également d’un bon œil le “made in Belgium”, insiste Matthew Lee Sawyer. “Votre pays est réputé, que ce soit pour sa crédibilité, la qualité de sa production, son ingénierie, pour ne pas parler de votre chocolat ou de vos bières. La première impression est positive. Votre capacité à comprendre les autres cultures est un atout fondamental.”
Faut-il changer sa façon d’être ou de parler pour conquérir les États-Unis ? De nombreuses entreprises se posent la question, au vu de la capacité américaine à s’enthousiasmer à grands coups de “It’s amazing !” ou à envisager les choses de façon démesurée. “Cela revient avant tout à comprendre le consommateur américain, rétorque l’auteur. L’authenticité est essentielle. Autrement dit, il s’agit d’exposer l’aventure formidable qui motive votre entreprise. Ce qui ne fonctionne pas, c’est quand on essaie de mentir ou de survendre son produit.”
Aux États-Unis plus qu’ailleurs, il convient de se prêter au “jeu” de l’essai et de l’erreur. L’échec n’est jamais perçu négativement, il permet de comprendre ce que l’on peut améliorer pour réussir la fois suivante.
Aux États-Unis, l’échec n’est jamais perçu négativement.
Matthew Lee Sawyer
Rocket Market Development
Lire aussi| “Chaque entreprise a besoin d’un rebelle”
Investir du temps
Le fossé culturel entre l’Europe et l’Amérique se matérialise dans cette capacité de résilience nécessaire pour séduire le marché. Là où, chez nous, le soutien public permet de prendre le temps, de s’adapter et de nouer des contacts, la “jungle” US nécessite un investissement personnel important. “Il faut définitivement investir du temps, acquiesce ce consultant. Je me souviens d’un entrepreneur australien, à la tête d’une société nommée Rokt, qui a débuté à Sydney avec des softwares destinés à maximaliser les achats en ligne. Après avoir réussi dans son pays, il est venu aux États-Unis, et son entreprise d’e-commerce est désormais évaluée à 2,4 milliards de dollars !”
Tant pour Hyundai que pour Rokt, il s’agissait d’une seconde étape après avoir réussi sur leur marché domestique. Est-ce possible de réussir en étant au début de son histoire, comme ces start-up belges qui ont fait le déplacement à New York en octobre ? Peut-on tout abandonner, venir aux États-Unis et… échouer ? “Cela peut certainement être le cas si vous n’avez pas le bon produit, admet le professeur. Je pense à une entreprise canadienne venue me voir parce qu’elle avait inventé une nouvelle façon d’utiliser le téléphone afin de réaliser des études de marché. Nous avons constaté qu’il y avait déjà six sociétés américaines proposant un service similaire. Dans ce cas, nous avons conseillé de ne pas venir parce qu’il faut un argument parmi les suivants : être les premiers, les plus rapides, les moins chers ou toucher un autre segment de marché…”
Que faire lorsque les gestionnaires de capital-risque rencontrés manifestent un enthousiasme disproportionné lors de la première rencontre avant… de ne plus répondre aux sollicitations et aux mails ? “Ma recommandation, c’est de ne pas demander de l’argent en première instance. Vous devez d’abord faire vos preuves sur un petit marché dans un État ou trouver un partenaire. Une entreprise britannique a, par exemple, abordé le marché en signant un gros contrat avec Google. À partir de là, vous donnez des garanties aux investisseurs à risque… qui cherchent surtout à diminuer le risque.”
Faut-il insister auprès de vos interlocuteurs ? “Il faut insister, mais ne nouez des contacts qu’en donnant continuellement des informations positives sur l’évolution de votre projet. J’ai moi-même fait cela pendant un an et mon interlocuteur m’a remercié d’avoir insisté. Si vous ne donnez pas d’infos nouvelles, ces relances seront perdues.”
Les Américains individualistes
Dans le livre Make it in America, Matthew Lee Sawyer souligne l’importance de “bien connaître les Américains” en plus du marché. Leurs habitudes, leurs réflexes, leurs réactions… “J’ai grandi aux États-Unis et je suis moi-même trop proche pour le percevoir, sourit-il. Pour écrire ce chapitre, j’ai sollicité des experts finlandais réalisant des études cross-culturelles. Ils analysent les Américains comme étant les plus individualistes au monde, se préoccupant avant tout de ce qui est bon pour eux. Vous devez prendre cela en compte.” Une autre différence, c’est que les Américains sont plutôt égalitaristes dans le sens où chacun doit recevoir sa chance.
Si l’on ne comprend pas l’âme ou le mode de consommation américain, on s’expose à de sérieux risques d’échec. Un des exemples les plus frappants concerne Tesco, l’entreprise britannique d’épiceries urbaines. “Elle avait fait des études, mais est tout de même venue sur le marché américain avec des petits magasins proposant des produits emballés. Cependant, Tesco a installé cela à Los Angeles, où tout le monde conduit et où personne ne marche. D’autant que les consommateurs veulent de grands supermarchés où ils peuvent tout acheter et choisir eux-mêmes leurs tomates. Cela ne pouvait pas fonctionner. Ce fut un échec d’un milliard de dollars !”
Au contraire, les Danois de Too Good To Go ont réussi à faire des États-Unis leur marché le plus important en seulement un an de temps. Ils proposent une application mobile permettant de réduire les déchets alimentaires. “Ce que j’aime dans leur cas, c’est qu’ils veulent à la fois faire du profit, sans faire de compromis sur la qualité.”
L’importance du timing
“Le timing est primordial pour s’installer, insiste notre interlocuteur. Vous pouvez arriver trop tôt ou trop tard. Il y a une histoire célèbre d’une entreprise appelée Webvan, qui a démarré son site d’e-commerce à la fin des années 1990. Ils ont développé une flotte de livraison, mais c’était trop tôt car les clients n’étaient, à l’époque, pas prêts à confier les données de leur carte de crédit.” Quinze ans plus tard, Amazon s’est révélé au monde avec la même idée de départ !
Quoi que l’on dise, l’Amérique reste une terre d’immigrés.
Matthew Lee Sawyer
Rocket Market Development
Une entreprise étrangère doit-elle craindre le protectionnisme américain ? “L’administration Biden insistait beaucoup sur le ‘made in America’, mais le département américain au commerce se félicite chaque année du nombre record d’investissements étrangers et ne cesse de dire qu’ils sont les bienvenus. L’un n’est pas contradictoire avec l’autre. Donald Trump menace d’imposer des taxes à l’entrée, mais au-delà de ce que l’on dit durant cette période folle de l’élection, les choses ne changent guère. Vu sur une perspective de long terme, les économistes soulignent une forme de continuité. L’économie reste forte, elle représente 25% au niveau mondial, et les investissements étrangers y contribuent fortement.”
Matthew Lee Sawyer se remémore l’arrivée de ses grands-parents, venus de Pologne pour s‘installer aux États-Unis et y réussir leur vie. “Quoi que l’on dise, l’Amérique reste une terre d’immigrés, conclut-il. C’est cela qui renouvelle en permanence le rêve américain. Vous pouvez venir ici et décider ce que vous voulez devenir, y compris incroyablement riche. Ou professeur, ce que je ne pensais jamais devenir.” Une fois l’écume de l’élection retombée, l’esprit américain se perpétuera. Et le Make it in America restera de mise. Du moins est-ce son espoir.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici