“Condescendance”, “mépris”, “non concerté” : la lettre de Thierry Breton à Musk provoque un tollé… jusqu’en Belgique

Thierry Breton.
Baptiste Lambert

Le Commissaire européen à l’Industrie et au Numérique, Thierry Breton, a envoyé, préventivement, un courrier à Elon Musk, qui se préparait à interviewer en direct sur X le candidat républicain Donald Trump. L’objectif : le mettre en garde contre l’impact de cette interview sur les utilisateurs européens, sanctions à la clé. Elon Musk a ironisé, la patronne de X, Linda Yaccarino, s’est montrée scandalisée et y a vu un interventionnisme digne d’un autre temps. Même en Europe, certains ont montré leur incompréhension, y compris en Belgique, où Georges-Louis Bouchez y a vu une atteinte à la liberté d’expression.

Finalement, la seule surprise de cette “interview” a été d’ordre technique. Environ 1 million d’utilisateurs X ont dû poireauter près d’une heure avant d’entendre la voix hésitante d’Elon Musk et les gribouillis sonores de Donald Trump. La faute à “une cyberattaque DDOS”, selon le milliardaire entrepreneur. Pour le reste, deux heures de complaisance et de conversations décomplexées entre deux hommes que tout rassemble désormais : le danger de l’immigration, le danger de “l’extrême gauche” et la relativisation de la crise climatique. Elon Musk, libertarien ayant déjà voté démocrate, de son propre aveu, a choisi son camp : il est désormais trumpiste.

Mais cette position commune méritait-elle une mise en garde d’un Commissaire européen, à priori ? Le courrier de Thierry Breton adressé à Elon Musk a en tout cas fait beaucoup de bruit. Voici ce qu’on y lisait notamment : « Mes services et moi-même seront extrêmement vigilants (…) concernant d’éventuelles violations du Digital Service Act (DSA), et nous n’hésiterons pas à utiliser tous les outils à notre disposition, y compris des mesures temporaires, si cela s’avérait nécessaire pour protéger les citoyens européens », a menacé le Français. Thierry Breton justifiait son courrier par le fait que la plateforme comptait 300 millions d’utilisateurs dont un tiers étaient des utilisateurs européens. Dès le premier paragraphe de son courrier, il fait référence aux évènements au Royaume-Uni, alimentés par de fausses informations diffusées notamment sur X. Elon Musk avait par ailleurs écrit qu’une “guerre civile était inévitable”.

Liberté d’expression

Le sang de la CEO de X, Linda Yaccarino, n’a fait qu’un tour à la lecture du courrier : « Il s’agit d’une tentative sans précédent d’étendre une loi destinée à s’appliquer en Europe à des activités politiques aux États-Unis. Elle traite également les citoyens européens avec condescendance, suggérant qu’ils sont incapables d’écouter une conversation et de tirer leurs propres conclusions. » En dessous du post de Thierry Breton, de nombreux utilisateurs ont également épinglé un comportement digne d’un ancien empire colonialiste, indiquant que les États-Unis étaient indépendants depuis 1776.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Elon Musk, lui, a préféré mêler ironie et insulte, en partageant un mème provenant du film Tonnerre sous les tropiques, tout en feignant qu’il “ne ferait jamais quelque chose d’aussi rude et irresponsable”. En commentaire, il adressait un simple “bonjour!” au Commissaire européen. Bref, de l’Elon Musk pur jus.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Bouchez dégaine

En Europe, quelques comptes influents ont fustigé la lettre de Thierry Breton, dont la portée a quand même atteint 44 millions de personnes. Quelques personnalités politiques conservatrices, aussi, mais aucun politicien d’envergure.

Jusqu’à la sortie du président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui décide de voler au secours de la liberté d’expression : “L’Europe est confrontée à de nombreux défis, à commencer par inverser son déclin industriel, combler sa faiblesse militaire et développer une véritable stratégie énergétique et d’autonomie… Mais au lieu de cela, on a une commission qui veut déterminer le bien et le mal dans le mépris le plus total de la liberté d’expression. Pouvons-nous travailler à des choses plus sérieuses que le rétablissement de la censure ?”, a-t-il tweeté sur X.

Et de poursuivre : “Par ailleurs, si l’Europe faisait plus de place aux entrepreneurs, investisseurs, créateurs en lieu et place aux interdictions permanentes et aux taxes trop élevées, Twitter aurait peut-être été européen. Cette déconnexion n’est plus acceptable pour ceux qui aiment l’Europe.”

Le libéral estime “que le problème n’est pas le contenu du discours” qui doit être poursuivi s’il contient de fausses informations ou de la haine. “Ce qui pose problème, c’est le courrier préalable. Une action préalable relève de l’intimidation et donc de la censure potentielle. C’est ça le souci.

Bruxelles s’irrite

Ironie de la situation, le MR fait partie du même groupe politique que Renaissance dont Thierry Breton est issu. Le mois dernier, Emmanuel Macron a d’ailleurs redonné sa confiance au Commissaire pour qu’il poursuive sa mission à la Commission.

En coulisses, le courrier de Thierry Breton semble toutefois irriter à Bruxelles. Il n’aurait en tout cas pas du tout été concerté. « Le moment et la formulation de la lettre n’ont été ni coordonnés ni convenus avec la présidente de la Commission ni avec les [commissaires] », a indiqué une source européenne au Financial Times. Un responsable de l’UE, qui a requis l’anonymat, a aussi commenté : « Thierry a son propre esprit, sa propre façon de travailler et de penser. »

Ce qui promet d’autres joutes entre le Commissaire et Elon Musk, qui ne sont pas à leur coup d’essai. Depuis une rencontre au printemps 2022, à San Francisco, la relation n’a cessé de se dégrader entre les deux hommes. Avec un nouveau point chaud, en juillet dernier. Elon Musk accusait Bruxelles d’avoir tenté de négocier “un accord secret” pour “censurer des contenus sans le dire”. Le milliardaire espérait un “combat public au tribunal” pour tout révéler. Thierry Breton a nié, en y ajoutant une pointe de défi : “À vous de décider si vous souhaitez ou non proposer des engagements (contre la désinformation, ndlr)… À bientôt (au tribunal ou pas).” La plateforme X est actuellement sous surveillance des instances européennes dont le DSA est d’application depuis février dernier.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content