Ce n’est pas Trump qui a gagné, c’est Harris qui a perdu

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le nombre de voix en faveur des républicains, d’une élection à l’autre, est resté stable. En revanche, les démocrates ont perdu une bonne dizaine de millions d’électeurs. Contrairement à ce qu’on entend, il n’y a donc pas eu de basculement de démocrates vers les républicains. Simplement, un bon nombre d’électeurs démocrates ne sont pas allés voter.

Beaucoup ont tendance à expliquer la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines par un raz-de-marée conservateur, populiste, libertaire, ayant emporté avec lui l’électorat hispanique et afro-américain. C’est un peu plus compliqué que cela, car il faut se pencher aussi, à côté de l’évolution des pourcentages en faveur de l’un ou de l’autre, sur l’évolution du nombre d’électeurs qui ont vraiment voté. Et cela amène des commentaires très différents.


En pourcentage, Trump gagne

En pourcentage, on a assisté à un grand basculement vers le parti de Donald Trump qui récolte grosso modo (les comptes ne sont pas encore arrêtés) 52 à 53 % des voix, et Harris un peu moins de 47 %. On parle d’une marée rouge qui a emporté tous les États historiquement indécis, et permettra plus que vraisemblablement aux républicains de remporter la « trifecta », c’est-à-dire à la fois le Sénat, la Chambre des représentants et la présidence.
Mais certains expliquent cette large victoire par le basculement de tout un pan de la société américaine vers les conservateurs. Ce n’est pas le cas, même si, en effet, un pourcentage plus élevé que par le passé de votants d’origine hispanique, essentiellement des hommes, se sont tournés vers Donald Trump.


En nombre, Harris perd


Si l’on veut cependant avoir une image du basculement du corps électoral, ce n’est pas Trump qui a gagné, c’est Harris qui a perdu. Car la grande différence statistique qui a fait la différence entre les élections de 2020 et celle de 2024 est la forte démobilisation du camp démocrate, aidée par un système  électoral béotien de plus en plus taillé pour décourager l’électeur, face à un électorat républicain qui, en nombre, ne bouge pas. Obama l’avait bien vu , qui, ces derniers jours, incitait sur les réseaux sociaux à voter. Il y a quatre ans, en effet, Joe Biden a gagné grâce à l’apport de 81 millions de voix, alors qu’environ 74 millions s’étaient portées vers Donald Trump. Quatre ans plus tard, le républicain peut toujours compter sur à peu près 74 millions de voix. Mais cette fois, Harris n’en a récolté que 68 millions.
On n’a donc pas assisté à une immense vague conservatrice, mais plus clairement à une démobilisation démocrate, qui s’explique essentiellement par le fait que l’administration Biden, qui avait certes les mains liées par un Congrès dominé un moment par les républicains, n’a pas pu faire grand-chose pour aider la classe moyenne à lutter contre l’inflation.


Démobilisation générale

Mais plus largement, la démobilisation à l’égard de la politique est très claire : sur les 262 millions de votants potentiels, seuls 145 millions environ (si on compte les quelques voix attirées par les autres candidats), soit 55 %, ont exercé leur droit de vote ce 5 novembre. Trump a donc remporté la Maison-Blanche avec l’appui de moins de 30 % des électeurs. Ce n’est pas le seul. En France, Emmanuel Macron a également été élu par une minorité, mais cela relativise les considérations sur une évolution sociologique majeure des Américains.

Là où les commentateurs ont raison, en revanche, c’est quand ils expliquent que Donald Trump a pu remporter le scrutin grâce à l’alliance improbable de trois groupes : celui des évangélistes et des chrétiens fondamentalistes anti-avortement, qui ont noyauté le parti républicain et porté à la Cour suprême et au Sénat un grand nombre de leurs supporters, grâce à une alliance avec les républicains les plus durs, emmenés dès le milieu des années 90 par Newt Gingrich. Les libertaires qui ne veulent en aucun cas d’un État social, et dont le plus brillant représentant est Elon Musk. Et le grand groupe de la classe rurale blanche « déclassée », qui regarde avec hostilité les élites urbaines des côtes Est et Ouest. Les trois groupes veulent, pour des raisons différentes, faire exploser le système. Mais ils se retrouvent en ayant choisi la bombe la plus explosive, Donald Trump.

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