Le dernier rapport de la Cour des Comptes de l’Union européenne, qui porte sur les recettes et les dépenses de l’Union européenne, soit un budget de 191 milliards d’euros, vient d’être publié et il est à nouveau mi-figue, mi-raisin.
Le rapport, qui porte sur le budget de 2024, exprime une opinion favorable sur les comptes de l’UE et ses recettes. Mais il émet une opinion défavorable, pour la sixième année consécutive, sur les dépenses budgétaires globales en raison d’un niveau d’erreur, estimé à 3,6%, qui dépasse le seuil considéré comme en dessous du « seuil de signification », le seuil acceptable, qui est de 2%.
Le taux d’erreur est particulièrement élevé – il se situe à 5,7% – dans les dépenses relatives à la cohésion, qui constituent environ un tiers du budget de l’Union. Ces taux d’erreur sont des estimations, car ils sont calculés au travers d’analyses d’échantillons, et non sur une analyse exhaustive de chaque dépense.
Éligible ou pas
Mais qu’entend-on par « erreur » ? Pour la Cour des Comptes, une erreur consiste à imputer au budget de l’UE une dépense alors que les conditions requises pour ce paiement n’étaient pas remplies, que ces erreurs soient le fait des « opérateurs économiques » (les entreprises), les autorités nationales, régionales ou la Commission elle-même.
Les erreurs les plus fréquentes dans l’exécution du budget traditionnel sont toujours celles liées à des projets qui n’auraient pas dû être éligibles au financement européen, ou à des coûts également inéligibles, c’est-à-dire à des projets qui ne respectent pas les règles de la convention de financement ou qui sont entachés d’erreurs de calcul.
« Par exemple, nous avons eu un cas en Pologne où une subvention était conditionnée à la mise en place d’une plateforme d’éducation en ligne et d’un système de bibliothèque pour soutenir les étudiants en situation de handicap. Finalement, le bénéficiaire n’a pas fourni ces services. Les étudiants n’en ont donc pas profité comme prévu et les coûts du projet ont été jugés inéligibles », explique Annemie Turtelboom, membre belge de la Cour des Comptes européenne.
Les autres sources d’erreur sont les manquements aux règles en matière de marchés publics ou l’absence de pièces justificatives. « Les principaux types d’erreurs relevés sur les marchés publics étaient des modifications substantielles des contrats après l’attribution ou une sélection illégale ou discriminatoire. Un bénéficiaire en France a par exemple attribué les travaux de construction d’une usine de biogaz sans procédure concurrentielle. En justifiant cela par le fait que peu d’entreprises avaient la capacité requise. Toutefois, nous avons trouvé trois projets similaires, financés par la même autorité, où les bénéficiaires ont obtenu des devis auprès de plusieurs fournisseurs ».
À côté de ces erreurs, il y a aussi des fraudes. « En 2022 nous avions signalé, auprès de l’Office antifraude (OLAF) ou du Parquet européen (EPPO) 19 cas de suspicion de fraude, et 24 cas en 2023 », précise Annemie Turtelboom.
Taux d’erreur trop élevé
« Le taux d’erreur a certes diminué par rapport à 2023 (il était alors de 5,6%), mais il reste élevé. Il est encore plus élevé dans la politique de cohésion », souligne Annemie Turtelboom. Le niveau d’erreur dans les dépenses dépasse largement ce qui est acceptable », dit-elle, estimant à environ 7 milliards d’euros le montant de ces erreurs.
« Nous divisons le budget en domaines à haut risque et à faible risque, explique encore l’ancienne ministre belge de la Justice. Le paiement des salaires est une opération simple et donc une dépense à faible risque. Mais deux tiers du budget concerne des dépenses à haut risque. Les dépenses de cohésion, un tiers du budget, sont un exemple d’un budget à haut risque ».
Budget sous pression
Un autre point d’inquiétude, souligné par Annemie Turtelboom, est que le budget européen risque d’être mis sous pression en raison de la hausse de l’endettement et des engagements budgétaires.
La Cour avertit en effet que d’ici 2027, l’encours des emprunts de l’UE pourrait dépasser les 900 milliards d’euros, un montant près de dix fois supérieur à celui de 2020, avant le lancement du plan de relance NextGenerationEU.
Le total des paiements d’intérêts liés à NextGenerationEU et financés sur la période budgétaire actuelle pourrait excéder les 30 milliards d’euros, soit plus du double du montant initialement prévu par la Commission européenne (14,9 milliards d’euros). Et les estimations relatives à la prochaine période, celle de 2028-2034, laissent entrevoir une charge d’intérêt de près de 74 milliards d’euros.
Faible absorption
Et puis, un troisième problème qui préoccupe la Cour des Comptes est le faible taux d’absorption des fonds en gestion partagée, qui sont des fonds européens dont les États membres sont co-responsables de la mise en œuvre, aux côtés de la Commission européenne. Les plus importants de ces fonds sont le FEDER (le fonds de développement régional), le Fonds social européen et le Fonds de Cohésion.
Si l’enveloppe prévue pour la période 2014-2020 a été utilisée à 97%, celle pour la période 2021-2027 est encore largement sous-utilisée. Le « taux d’absorption », pour reprendre le jargon, est faible. La Belgique a ainsi dépensé 0,2 milliard sur une enveloppe de 2,6 milliards, soit 7%. L’ensemble des pays de l’Union ne fait pas mieux avec également 7% des montants déjà payés, soit 27,6 milliards et 367,4 milliards restant encore disponibles. Cet argent est perdu s’il n’est pas utilisé avant la fin 2029.
Superposition d’outils
Pourquoi ce faible taux d’absorption ? « Il y a fait plusieurs raisons, répond Annemie Turtelboom. Il y a d’abord des problèmes avec la superposition de fonds qui peuvent être utilisés par un même projet. Un Etat dira qu’il dépensera d’abord les montants de la FRR (Facilité pour la reprise et la résilience, dotée de 724 milliards d’euros et liée au plan de relance NextGeneration EU), qui arrive à échéance en 2026 avant d’utiliser l’argent du fonds de cohésion. »
La Cour des Comptes avait réalisé l’an dernier un rapport spécial sur ce faible taux d’absorption, rappelle Annemie Turtelboom. Ce rapport pointait notamment que « les raisons de ces retards varient d’un État membre à l’autre, les plus fréquentes sont une évolution des circonstances extérieures (par exemple l’inflation ou des pénuries d’approvisionnement), une sous-estimation du temps nécessaire pour mettre en œuvre les mesures, des incertitudes concernant certaines règles spécifiques de mise en œuvre de la FRR (par exemple le principe consistant à «ne pas causer de préjudice important») ainsi que des difficultés liées à une capacité administrative insuffisante ».
On ne peut pas oublier que ce sont souvent des investissements à venir, pour lesquels on a besoin de permis, ajoute Annemie Turtelboom. Il y a de temps en temps aussi un problème de capacité administrative, mais je ne crois pas que ça soit le cas pour notre pays », conclut-elle.