Bruxelles durcit le ton sur le e-commerce chinois: Shein et Temu dans la ligne de mire
Bruxelles passe à l’offensive contre Shein et Temu. Face à l’invasion de colis chinois, la Commission européenne annonce des taxes, des contrôles renforcés et des enquêtes pour stopper les abus et protéger le marché européen.
Les services des douanes sont submergés par un afflux toujours plus grand de petits colis importés en Europe, en provenance essentiellement de Chine. Environ 70% des Européens font des achats en ligne et chaque jour, 12 millions de petits colis entrent dans l’Union européenne. Cela représente plus de 4,6 milliards de colis par an, un chiffre qui a doublé en un an. Environ 91 % d’entre eux proviennent de Chine, principalement des plateformes Temu et Shein. Selon la vice-présidente de la Commission, Henna Virkkunen, cette vague d’importations “met une pression énorme sur les autorités des États membres de l’UE, en particulier nos autorités douanières qui sont la première ligne de défense”.
Selon Damien Jacob, spécialiste en e-commerce, ces sites étrangers d’e-commerce « posent un problème particulier, car ils opèrent souvent en dehors des juridictions européennes, ce qui rend difficile l’application des réglementations et des sanctions. De plus, les mécanismes de carrousel de TVA et les déclarations de valeur incorrectes des produits compliquent la taxation et le contrôle des importations » .
Cette explosion des importations pose plusieurs problèmes majeurs :
- Produits non conformes et dangereux : vêtements contenant des substances chimiques interdites, jouets dangereux, sièges auto ne respectant pas les normes… Les tests menés par des organisations de consommateurs ont révélé de nombreuses infractions aux réglementations européennes.
- Impact environnemental : ces produits bon marché finissent souvent sur le marché de seconde main ou dans des décharges à l’étranger, aggravant la pollution mondiale.
- Concurrence déloyale : les plateformes chinoises échappent à de nombreuses réglementations et submergent le marché avec des articles à bas prix, pénalisant les entreprises européennes qui doivent, elles, respecter les normes de l’UE. Cela crée un déséquilibre où les commerces européens sont pénalisés tandis que les acteurs non européens peuvent opérer avec plus de liberté, voire une certaine impunité.
Des mesures européennes pour encadrer ces dérives
Pour répondre à cette situation, la Commission européenne souhaite mettre en place plusieurs mesures:
- Suppression de l’exemption de taxes pour les colis de moins de 150 euros, afin d’empêcher les plateformes de fractionner leurs envois pour éviter les droits de douane.
- Imposition de « frais de traitement » sur les colis entrant dans l’UE pour financer des contrôles renforcés.
- Renforcement des douanes européennes, avec une meilleure coordination et un partage accru des données pour repérer plus efficacement les produits illégaux.
Ces nouvelles mesures doivent toutefois encore être discutées et validées par les États membres et le Parlement européen. Alors que les négociations entre eurodéputés et Etats membres n’ont pas encore débuté, l’exécutif bruxellois a par ailleurs appelé à accélérer les travaux sur une réforme douanière proposée en 2023 .
La mise en place constituerait un tournant majeur dans la régulation du e-commerce en Europe, avec l’objectif affiché de mieux protéger les consommateurs et de rétablir des conditions de concurrence plus équitables.
Enquêtes contre Shein et Temu
Dans le tour de vis souhaité par l’UE, l’Europe a par ailleurs confirmé le lancement d’une enquête contre le vendeur de vêtements en ligne Shein pour des violations présumées du droit européen sur la protection des consommateurs. L’exécutif bruxellois coordonnera les investigations avec le réseau de coopération en matière de protection des consommateurs (CPC) qui réunit les autorités compétentes des Etats membres de l’UE.
Fondé en Chine et désormais basé à Singapour, Shein est considéré comme un emblème des dérives sociales et environnementales de la mode à petits. En cas de violations avérées, Shein pourrait se voir infliger des amendes par les régulateurs nationaux.
Un autre site de e-commerce d’origine chinoise, Temu, est dans le collimateur pour des motifs similaires. Fin octobre, la Commission avait ouvert une enquête contre cette plateforme. Temu, qui connaît une progression fulgurante en Europe grâce à une stratégie de prix cassés, est la version internationale du mastodonte chinois du e-commerce Pinduoduo, né en 2015. Il propose un choix pléthorique de produits: vêtements, jouets, décoration, outils, high-tech.
Si Shein affirme vouloir collaborer avec Bruxelles, Temu se mure dans le silence.
Aux USA aussi, mais de façon très temporaire
Le timing de cette offensive européenne n’est pas anodin.
Les services postaux américains ont annoncé mercredi qu’ils continueraient à accepter des colis venant de Chine et de Hong Kong quelques heures après avoir dit le contraire en pleine guerre des droits de douane entre Washington et Pékin. La veille, l’USPS avait affirmé ne plus les accepter “temporairement” et “jusqu’à nouvel ordre”, sans donner de raisons, déclenchant l’ire de Pékin. Cette passe d’armes autour des colis survient également après l’imposition par Washington de 10% de droits de douane additionnels sur toutes les exportations chinoises vers les États-Unis, qui a lancé une nouvelle guerre commerciale entre les deux poids lourds de l’économie mondiale.
Dans le cadre de ses mesures commerciales, qu’il a motivées par la nécessité de juguler le trafic de drogue à destination des États-Unis, Donald Trump a aussi annoncé la fin de l’exemption de droits de douane pour les colis d’une valeur inférieure à 800 dollars en vigueur jusqu’ici. Celle-ci a largement bénéficié aux plateformes en ligne fondées en Chine. Dans un communiqué publié la semaine dernière, l’agence des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a précisé que la valeur des colis bénéficiant de cette exemption s’est élevée à plus de 1,36 milliard de dollars en 2024.
L’annulation de cette exemption pourrait porter un coup dur aux plateformes ultras populaires comme Shein ou Temu, qui vendent des produits à prix cassé. Il n’aura cependant qu’un impact limité sur le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de Pékin, ce dernier s’élevant à près de 300 milliards de dollars en 2024, selon les données publiées mercredi par le département américain du Commerce.
Bruxelles a de son côté souligné qu’il n’y avait eu aucune coordination avec Washington.
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