Bruno Colmant : “Je ne suis pas un capitaliste écoeuré”
Inspiré par une encyclique papale publiée peu avant guerre qui met en garde contre les périls à venir, l’économiste confirme dans son dernier livre sa théorie d’avoir des États stratèges face aux défis du monde.
“Une brûlante inquiétude”. Telle est le titre du nouveau livre publié par Bruno Colmant, en référence à l’encyclique à l’intitulé assez singulier du pape Pie XI rédigée en allemand dans les années 30. Un ouvrage que l’économiste, professeur à l’UCLouvain et à l’ULB, et membre de l’Académie Royale de Belgique, a rédigé cet été, expérimentant au passage un nouveau procédé d’écriture, à savoir “la mise en ligne de certains passage en chantier sur LinkedIn afin de nourrir sa réflexion grâce aux réactions des lecteurs”, confie-t-il à l’occasion de la présentation officielle du livre ce matin à une petite poignée de journalistes. Et ce, en présence de Thomas Dermine, le secrétaire d’Etat PS pour la relance et les investissements stratégiques, qui a préfacé l’ouvrage.
Dans ce nouvel opuscule édité à la Renaissance du Livre, Bruno Colmant critique assez fortement, pour ne pas dire met violemment en cause, le néolibéralisme anglo-saxon. Après deux autres précédents essais sur le sujet (Du rêve de la mondialisation au cauchemar du populisme et Hypercapitalisme : le coup d’éclat permanent), dit-il, “c’est l’aboutissement d’une trilogie sur le concept de l’Etat stratège“. Vraiment ? Lui qui, diront les mauvaises langues, a exercé des fonctions dirigeantes dans plusieurs institutions financières, dont la présidence de la Bourse de Bruxelles.
Je ne suis pas un capitaliste écoeuré. Simplement, je peux poser lucidement un regard qui exige confrontation.
“Je ne suis pas un capitaliste écoeuré, dit-il. Simplement, je peux poser lucidement un regard qui exige confrontation. Et les constats sont là. Les réalités socio-économiques et surtout climatiques constituent aujourd’hui des chocs sociétaux d’une envergure titanesque. La transition énergétique est trop importante pour être laissée à la logique du néolibéralisme et au dogme de Reagan alors qu’elle demande une vision à long terme.”
Rétablir l’État stratège
Pour faire face à ces défis systémiques, Bruno Colmant juge en effet indispensable de réhabiliter ce qu’il appelle les Etats stratèges. “L’économie de marché néolibérale a dépouillé l’État de ses attributs sous prétexte que les marchés étaient efficients.” Mais, dit-il, “cette efficience n’a jamais été prouvée de manière non équivoque”. Par ailleurs, “la frénésie capitaliste a été accélérée par la baisse structurelle des taux d’intérêt pendant 40 ans, jusqu’aux taux d’intérêt négatifs. En fait, on a profité d’un accroissement du présent au détriment du futur. Tout cela a été très néfaste pour les défis environnementaux et sociétaux.” A son sens, “l’économie néolibérale est une course mortifère. Il faut la recadrer sans l’étouffer. D’où le besoin, aujourd’hui, de retrouver non pas un État dirigiste, mais un État partenaire“, avance l’économiste, citant les exemples du Kenya (et son développement autour des fleurs), de la Pologne, de l’Allemagne et son modèle rhénan ou encore du Luxembourg, qui “a réussi à développer des avantages concurrentiels sans ressources naturelles”.
L’économie néolibérale est une course mortifère. Il faut la recadrer sans l’étouffer. D’où le besoin, aujourd’hui, de retrouver non pas un État dirigiste, mais un État partenaire
La parenthèse se referme
En fait d’État partenaire, Bruno Colmant estime que “toutes les grandes entreprises belges devraient entretenir un dialogue étroit avec l’Etat”. Selon lui, ce dialogue est capital. “Le néolibéralisme est dominant mais ce n’est pas une réussite partout. Les pays que l’on peut considérer comme des miracles économiques aujourd’hui présentent tous la même caractéristique : l’Etat a gardé un rôle important. Ils sont restés à l’écart du néolibéralisme et il y a un dialogue social de qualité. Ce dialogue est capital pour l’ancrage actionnarial, et donc ses interactions avec le défi climatique, les délocalisations et la sauvegarde de l’emploi, etc. Il permettrait à la Belgique de retrouver une cohérence entre les secteurs privé et public.”
Reste que tous les Etats stratèges ne sont pas tous des réussites sur le plan démocratique (songeons à Singapour, par exemple) ainsi que sur le plan de la gestion des deniers publics. Certes, reconnaît Bruno Colmant, l’Etat a été pour partie dans le passé un mauvais gestionnaire. “Il y a eu un rejet des pouvoirs publics. Mais ce sont les pouvoirs publics qui ont sauvé les banques. Et force est de constater que le retour vers une certaine forme étatique, apte à planifier avec le secteur privé, est aujourd’hui enclenché. La parenthèse néolibérale est en train de se refermer. La seule question est de savoir s’il n’est pas trop tard”, conclut-il.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici