Brève interdiction de TikTok : un simple sursis ?

L’interdiction de TikTok n’a duré que 14 heures dimanche. Si elle fut brève, elle n’aura pas été sans conséquence et montre comment Trump ne craint pas de court-circuiter une loi.

La rupture fut de courte de durée. Mais elle va laisser des traces. Elle montre aussi que, dès sa prise de pouvoir, le nouveau président ne craint pas de court-circuiter une loi pourtant votée à une très grande majorité par le Congrès, ni d’outrepasser une décision de la Cour suprême prise à l’unanimité. 

Pour rappel, la loi fixait à la maison mère du réseau social TikTok, ByteDance, la date limite du 19 janvier pour céder l’application à un autre propriétaire. Et s’il ne s’agit pour l’instant que d’un sursis de 75 jours, le dernier acte en date de cette saga aura déjà eu des conséquences très concrètes.

Les gagnants

Le principal gagnant semble être Shou Zi Chew, le PDG de TikTok. Vendredi, il semblait encore dans une impasse, espérant vainement que la Cour suprême déclare l’interdiction anticonstitutionnelle.  Les neuf hauts magistrats ont estimé que les inquiétudes du Congrès “en matière de sécurité nationale” étaient “bien fondées” et ne voyaient donc pas de raisons d’annuler la loi.

Coincé, le plan B de Shou Zi Chew s’est néanmoins avéré particulièrement brillant. En fermant temporairement l’application, il a rallié 170 millions d’utilisateurs. De quoi mettre un bon coup de pression contre les politiciens américains. Il aura tout de même pris soin d’épargner Trump en le flattant. Il serait le seul qui « comprenne TikTok », lui dont les vidéos auraient été visionnées « plus de 60 milliards de fois » toujours selon le PDG. Et cela a marché puisque Trump a cédé. Il a ainsi assuré aux fournisseurs d’accès à internet et boutiques d’applications qu’ils échapperaient aux lourdes pénalités prévues par la loi (jusqu’à 5.000 dollars par utilisateur pour les boutiques d’application) et promis d’adopter un décret dès qu’il serait officiellement investi. Chose promise, chose due. Trump a enjoint au ministère de la justice, en charge des sanctions, de ne pas intervenir durant deux mois et demi. Soit le temps de “consulter (ses) conseillers”, selon le texte du décret.

Donald Trump s’offre ainsi une victoire politique à peu de frais. Il est présenté comme le « sauveur » de TikTok et ce sans faire grand-chose. Le texte adopté en 2024 ouvre en effet la possibilité de repousser la mise en œuvre le temps de trouver un acheteur. C’est donc cette alternative qui a été offerte à la maison-mère de TikTok, la Chinoise ByteDance, en lieu et place de l’interdiction.

Le troisième gagnant du bref blocage est donc sans conteste ByteDance elle-même. ByteDance s’est jusqu’ici refusé à céder cette plateforme lancée il y a à peine dix ans et qui est devenue incontournable pour une large majorité de jeunes internautes. Elle a tenu sa position en pariant que les politiciens américains finiraient par reculer en premier. Un pari qui semble aujourd’hui payant. Elle n’a pas dû vendre et n’en a pas encore ouvertement manifesté le désir. Trump semble pourtant  aujourd’hui favorable à une coentreprise .

Plutôt que de trouver un acheteur, hypothèse à laquelle s’est toujours refusé ByteDance, le président a proposé, comme il l’avait fait dimanche, que le groupe chinois octroie aux Etats-Unis 50% du capital de TikTok en contrepartie de la non application de la loi.

Dans les faits Bytedance conserverait ainsi 50 % des activités américaines de TikTok tout en évitant une vente forcée. Et d’ici quelques mois, les finesses de l’accord ne seront peut-être plus scrutées avec autant d’attention.

Les perdants

Mark Zuckerberg (PDG de Meta) est l’un des perdants de dimanche. Il espérait capitaliser sur une interdiction complète de TikTok pour attirer ses utilisateurs vers Instagram Reels. Or l’interdiction s’éloigne et les utilisateurs qui ont cru qu’ils devaient abandonner TikTok ont opté en masse une autre application chinoise : Xiaohongshu. Ce qui signifie « petit livre rouge » en chinois et qui est souvent traduit en anglais par « REDnote »

Joe Biden est incontestablement l’autre perdant. Lui et son équipe ont tenté de minimiser leur implication en affirmant que l’application de la loi dépendrait de Trump. Mais Shou Zi Chew les a pris de court en suspendant temporairement TikTok plus tôt de sa propre initiative, transformant cela en camouflet.

Les autres politiciens américains ont aussi pris chers. Ils avaient, dans un rare consensus bipartite, décidé que TikTok représentait une menace pour la sécurité nationale en raison de ses liens avec la Chine. Et bien que la Cour suprême leur ait donné raison, un consensus politique favorable à la préservation de TikTok s’est imposé. De quoi saper encore un peu plus leur crédibilité.

Un levier pour X en Chine ?

Sauvé in extremis par Trump, TikTok n’est pas pour autant totalement sorti des eaux troubles.

Trump entend tout de même évaluer les risques que posent TikTok et son actionnaire chinois en matière de sécurité et “déterminer si les mesures déjà prises par TikTok sont suffisantes”. Lors d’un événement ouvert à la presse à la Maison Blanche lors duquel il a signé ce décret ainsi que de nombreux autres, le nouveau chef d’Etat a pourtant relativisé les risques que pose le réseau social sur le plan de la sécurité nationale.

“Il y a tant de produits qui sont fabriqués en Chine et le seul dont ils se plaignent, c’est TikTok”, a déclaré Donald Trump en référence aux élus du Congrès. “Soyons honnêtes, nous avons des problèmes plus graves que de voir la Chine récupérer des informations sur de jeunes enfants”, utilisateurs de TikTok, a-t-il ajouté.Le gouvernement pourrait ensuite attribuer cette participation à des intérêts privés américains, a déclaré le nouveau président. “Il nous faudrait peut-être l’accord de la Chine, mais je suis sûr qu’elle le donnerait”, a dit Donald Trump. “TikTok a une grosse valeur, mais s’ils ne l’approuvent pas, il n’en aurait plus.”

Interrogée lundi lors d’un point de presse, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a indiqué qu'”en matière d’opérations et d’acquisitions, les entreprises devraient décider de façon indépendante, en accord avec les principes de marché”. Si la Chine refusait de donner son feu vert, “nous leur imposerions des droits de douane”, a prévenu le président américain.

TikTok reste donc un objet de marchandage entre Trump et la Chine de Xi Jinping, mais aussi entre Trump et d’éventuels futurs acquéreurs de TikTok, précise Le Monde. La décision de Trump obéit donc surtout à une logique transactionnelle. D’autant plus qu’il s’agit, toujours selon Trump, de garder la plateforme « entre de bonnes mains ». «C’est-à-dire dans celles d’un proche du président » dit encore le quotidien.

Plusieurs candidats se sont d’ailleurs déjà présentés. L’homme d’affaires Frank McCourt s’est lui dit prêt à mettre 20 milliards de dollars sur la table avec d’autres partenaires, pour les activités américaines de l’application, sans son puissant algorithme. Samedi, la start-up d’intelligence artificielle (IA) Perplexity AI a soumis à ByteDance une proposition de fusion avec la filiale américaine de TikTok, qui valoriserait le réseau social au moins 50 milliards de dollars.

Elon Musk a lui suggéré dimanche que les négociations sur TikTok soient utilisées pour obtenir des concessions en Chine pour les services de médias sociaux américains, y compris sa plateforme X.

En attendant, Shou Zi Chew aura été l’”invité surprise” et très remarqué de la cérémonie d’investiture de Trump. Une présence qui vaut plus que n’importe quel discours.

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