La famille du milliardaire Thaksin Shinawatra a posé sa griffe sur la Thaïlande depuis les années 2000, entre élections triomphales et coups d’Etat, mais une série de procès attendus en juillet a remis en doute son avenir.
Le patriarche Thaksin, 75 ans, risque jusqu’à quinze ans de prison pour lèse-majesté, une accusation gravissime dans le royaume, qui fait écho aux années de tensions entre son clan et les partisans de la monarchie.
Son procès a débuté mardi dans un tribunal pénal de Bangkok; au même moment, la Cour constitutionnelle a suspendu sa fille Paetongtarn Shinawatra, Première ministre, le temps de délibérer sur des accusations de manquements à l’éthique brandies par des sénateurs conservateurs.
Ces procédures ont jeté une ombre sur le futur de la dynastie politique la plus puissante qu’ait connue le royaume, d’autant que la troisième Shinawatra la plus influente, Yingluck, vit en exil, et qu’aucun successeur ne semble se démarquer.
Les Shinawatra ont longtemps incarné le mouvement réformateur, par opposition à l’establishment conservateur aligné avec le roi et l’armée. Dans les rassemblements, les partisans de Thaksin portent le rouge, et ses adversaires le jaune, la couleur de la royauté.
“Berlusconi d’Asie”
Leurs querelles ont débouché sur deux putschs, d’immenses protestations, dont certaines ont été réprimées dans le sang, et une cascade d’actions en justice, qui ont forgé la réputation d’instabilité et de répression du système thaïlandais.
Tout a commencé avec l’arrivée au pouvoir du magnat des télécoms Thaksin Shinawatra en 2001, à la suite d’un raz-de-marée électoral, en se faisant le chantre d’une Thaïlande décomplexée après la crise financière de 1997.
Cet ancien officier de police a dynamité les codes de la politique thaïlandaise par son style à mi-chemin entre autoritarisme et libéralisme, salué sur le plan économique, mais qui lui a valu des accusations de corruption et de dérives autoritaires.
Adulé des milieux ruraux pour sa politique pionnière de sécurité sociale accessible pour 30 bahts (80 centimes d’euros) ou ses aides agricoles, l’homme d’affaires, un temps surnommé le “Berlusconi d’Asie”, est devenu la bête noire des élites royalo-monarchistes, qui le taxent de populiste.
Il est réélu en 2005, puis un coup d’Etat le chasse du pouvoir l’année suivante — le début d’une saga judiciaire toujours en cours, marquée notamment par ses condamnations pour corruption et abus de pouvoir, et la dissolution de deux partis qui lui étaient associés.
Thaksin, qui a possédé le club anglais de Manchester City entre 2007 et 2008, quitte le pays en 2008 pour échapper à une justice dont les visées sont motivées politiquement à ses yeux. Il ne reviendra qu’en 2023… en ayant conservé des leviers d’influence sur la politique du royaume.
Trahison
Entre 2011 et 2014, sa soeur Yingluck Shinawatra a occupé à son tour la fonction de Premier ministre. Durant sa période au pouvoir, elle n’a pas réussi à dépasser son image de marionnette de son frère, qui la surnommait “mon clone”.
Pour autant, elle s’est construit une image de femme d’Etat responsable, capable de jouer la carte de la modestie, loin de l’arrogance reprochée à Thaksin.
Une loi d’amnistie politique a mis le feu aux poudres à l’automne 2013, les élites traditionnelles redoutant qu’elle ne permette un retour de Thaksin au pays. Les tensions ont culminé jusqu’au putsch de 2014.
Yingluck part en exil en 2017, juste avant d’être condamnée pour négligence.
La dynastie a attendu les élections de 2023 pour faire son retour.
Le parti familial, le Pheu Thai, a gagné suffisamment de sièges pour former une majorité autour de son nom, mais doit composer avec le soutien contre-nature d’anciens rivaux issus des rangs de l’armée.
Si d’anciens partisans du milliardaire ont crié à la trahison, cette alliance fragile a permis le retour d’exil de Thaksin, et l’intronisation de sa fille, Paetongtarn, en août 2024, bien qu’étant novice en politique.
A son retour, Thaksin a bénéficié d’une grâce royale qui a réduit sa peine de prison, pour corruption et abus de pouvoir, de huit à un an. Mais il n’a passé en tout que six mois en détention, dans un hôpital de Bangkok, en raison de son état de santé et de son âge.
Ses adversaires l’ont attaqué sur les conditions de son séjour à l’hôpital – dans une “suite royale” au 14e étage d’un bâtiment avec vue sur un golf – qui laisse suggérer un traitement de faveur. Une autre procès est en cours à ce sujet, avec des auditions prévues tout au long du mois de juillet.