Barry Eichengreen: “Les États-Unis ne répareront pas leur dette tant qu’ils n’auront pas réparé leur politique”

Barry Eichengreen © (Photo by Abhijit Bhatlekar/Mint via Getty Images)
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

L’économiste américain Barry Eichengreen analyse le dérapage budgétaire américain, et cela fait drôlement penser à la situation belge.

Barry Eichengreen est un des économistes américains les plus célèbres. Ce professeur à l’université de Berkeley depuis près de 40 ans est particulièrement reconnu pour ses travaux en histoire économique, économie monétaire internationale et crises financières. On lui doit des analyses prémonitoires sur la crise de l’euro ou le Brexit, notamment.

Dans un entretien au magazine Fortune, il s’est penché sur le dérapage, depuis 30 ans, des finances publiques américaines, avec une dette publique atteignant désormais 38.000 milliards de dollars, soit 125% du PIB.

Un problème politique

Et l’analyse de Barry Eichengreen trouve un écho particulier chez nous, en Belgique, où nous ne parvenons pas à trouver un accord politique pour équilibrer le budget.  Fondamentalement, le dérapage budgétaire n’est pas dû à de mauvais calculs ou à une mauvaise gestion, explique l’économiste américain. Il n’est pas non plus nécessairement causé par les taux d’intérêt, le vieillissement de la population ou même une dépense publique démesurée. Certes, ce sont des obstacles, mais ils sont en théorie surmontables.  

« Le problème, dit Barry Eichengreen, c’est nous, ou plus précisément, c’est un système politique polarisé qui reflète, puis amplifie, nos divisions. Les États-Unis, ajoute-t-il, ont oublié l’importance de la discipline budgétaire. Aucun des deux partis n’est sérieux quand il s’agit de réduire le déficit budgétaire. Il y a beaucoup de gestes et de rhétorique, mais très peu d’actions concrètes ».

Même les actions musclées, et plus précisément celle du DOGE, le département pour l’efficacité gouvernementale piloté pendant six mois par Elon Musk, ne sont pas sérieuses. « Le président Donald Trump a bien tenté de tailler dans certaines dépenses avec l’aide de l’homme le plus riche du monde et ami-ennemi Elon Musk, dans le cadre du programme éphémère « DOGE ».

Musk a affirmé qu’ils étaient parvenus à couper 160 milliards de dollars du budget fédéral : une somme conséquente, certes, mais très loin des 2 000 milliards de dollars visés par l’administration. De plus, des experts estiment aujourd’hui que le chaos provoqué par ces coupes DOGE pourrait coûter aux contribuables 135 milliards de dollars rien que cette année, en pertes de recettes fiscales et en baisse de productivité », rappelle Barry Eichengreen.

DOGE et poudre aux yeux

Diverses études tendent en effet à montrer que la déstructuration de l‘administration américaine causée par DOGE a coûté très cher. Le chiffre de 135 milliards de dollars – principalement dû au chaos administratif, aux pertes de productivité, aux congés payés, aux licenciements suivis de réembauches et aux disruptions – provient d’une estimation publiée fin avril par la Partnership for Public Service (PSP), une organisation non partisane et respectée spécialisée dans l’étude de la fonction publique fédérale américaine.

Mais  d’autres estimations sont plus élevées encore. Le Yale Budget Lab parle d’une perte, sur dix ans, dépassant 320 milliards de dollars et certaines déclarations internes de responsables de  l’administration fiscale ou du Trésor, relayées par la presse américaine, évoquent un manque à gagner de 500 milliards de dollars sur la décennie, en raison, surtout, de la moindre capacité à percevoir l’impôt.

« La polarisation politique est plus élevée aux États-Unis que dans tout autre pays avancé pour lequel nous disposons de données comparables, affirme  encore Barry Eichengreen,  qui compare la situation budgétaire des États-Unis à celle de certains pays du sud de l’Europe, l’Italie où la Grèce d’il y a quinze ans. « La polarisation transforme une arithmétique simple en équation insoluble, ajoute encore l’économiste qui souligne que « les États-Unis ne répareront pas leur dette tant qu’ils n’auront pas réparé leur politique ».

Écho en Belgique

En lisant ce  constat, on ne peut s’empêcher de penser à la situation belge, où les astuces budgétaires pour boucler un budget se révèlent en effet pratiquement toujours décevantes,  car elles sont surtout des victoires politiques symboliques, sur les plus-values par exemple, mais ne constituent pas de véritables mesures budgétaires.

Mettons un bémol : l’Arizona a pris des mesures importantes, sur le marché du travail par exemple. Toutefois, et c’est le point de Barry Eichengreen, ces mesures deviennent cosmétiques en raison des désaccords politiques qui sapent leur efficacité. On limite ainsi la durée du chômage pour pousser les chômeurs à travailler, mais on favorise dans le même temps ceux qui ont déjà un travail, ou ceux qui sont étudiants, à travailler davantage.

Les propos de Barry Eichengreen rejoignent les conclusions d’une étude publiée cette semaine par la Banque Nationale, qui estime que parmi les pays industrialisés, la Belgique et les États-Unis, qui ne parviennent pas à abaisser leur déficit public, sont ceux qui éprouveront le plus de mal à redresser leurs finances publiques.

Le message de l’économiste américain est donc de nous dire que le véritable obstacle au redressement n’est pas économique. Il n’est pas lié au taux d’intérêt, à la démographie ou à la croissance, qui sont de réels problèmes, mais pour lesquels des solutions existent. Le véritable obstacle est que le monde politique ne parvient plus à trouver un accord pour mettre en œuvre de véritables mesures de redressement. Un message direct à Bart De Wever et Georges-Louis Boucher ?

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