Bainiaohe Digital Town, l’étrange ferme d’IA chinoise
Au fin fond de la Chine se cache l’un des endroits les plus étranges du pays. On y trouve des « fermes d’Intelligence artificielle ». Soit des bâtisses qui ressemblent à des chalets suisses dans lesquelles une armée s’attèle à nourrir l’IA et à faire du pays l’un des leaders dans ce domaine.
Bainiaohe Digital Town est un centre technologique sorti du néant il y à peine quelques années. Il est situé au cœur des verdoyantes collines de la province chinoise de Guizhou, dans le sud-ouest du pays. Plus connue pour sa culture de thé, la province cache pourtant aujourd’hui l’un des centres névralgiques de la recherche en Intelligence artificielle.
Au milieu d’une nature riante, l’ensemble se présente comme un incongru village alpin. Il est composé de bâtiments de style chalets et surplombé par une tour d’horloge néoclassique. Ce qui n’empêche pas la ville d’être dotée d’une infrastructure de pointe en matière de technologie de l’information et de la communication, avec une connectivité haut débit et une grande capacité de stockage de données.
Un projet, à la base, caritatif
Tout a commencé en 2011, avec la création d’un établissement d’enseignement professionnel supérieur. Il aurait été fondé à titre caritatif par un riche chef d’entreprise taïwanais. Et comme les étudiants devaient aussi faire des stages, l’homme a aussi ouvert une entreprise dans le village. Baptisé Mengdong, elle est spécialisée dans l’étiquetage des données.
Le choix du lieu ne doit rien au hasard puisque le data labelling est un travail répétitif et mal rémunéré. Il ne peut se déployer de façon rentable que dans des régions où il y a une main-d’œuvre bon marché et qui bénéficient de subventions gouvernementales pour lutter contre la pauvreté ou encourager la formation professionnelle. Deux conditions parfaitement remplies par la vallée de Bainiaohe. La preuve du succès c’est que Mengdong est aujourd’hui le neuvième data labelling center de Chine et peut se targuer d’avoir des clients de renommée mondiale comme Alibaba, Baidu ou encore Amazon dit le Volkskrant.
L’entreprise compte aussi quelque cinq cents “data-labellers”. Seuls deux cents sont des employés permanents et trois cents des stagiaires. Car les étudiants sont aussi une source de mains-d’œuvre bon marché. Ainsi les étudiants de deuxième année de l’école doivent passer quatre heures par jour à étiqueter des données à Mengdong, pour 136 euros par mois. Les étudiants de troisième année doivent travailler à temps plein pendant six mois, pour 328 euros, précise de Volkskrant. Soit beaucoup moins qu’un travailleur ordinaire qui a un salaire d’entrée de 546 euros par mois, et ce pour un intérêt éducatif somme toute très limité. Le travail ne demande en effet que deux jours de formation.
Une ville en plein boom, mais sous contrôle
Depuis 2022, la ville a prospéré. Cette année-là, le gouvernement local conclut un partenariat avec Zhongguancun E-Valley, un promoteur d’investissement très proche des autorités de Pékin. Il gère déjà 40 parcs de haute technologie à travers la Chine et amènera dans ses bagages de nouvelles entreprises. 9 selon le gouvernement, 22 selon le promoteur lui-même. Grâce au promoteur d’investissements, « il suffirait d’investir environ 13 000 euros pour se retrouver avec une entreprise avec une centaine d’employés », selon un travailleur de Bainiaohe. Ces nouvelles entreprises auraient engagé des centaines de nouvelles personnes et auraient réalisé un chiffre d’affaires de 6,7 millions d’euros au cours de leur première année d’existence.
Un miracle dans l’ombre de la censure
Un miracle rendu possible par un soutien, mais donc aussi un contrôle sur ces sociétés privées du gouvernement Chinois. En agissant ainsi, ce dernier s’assure que tout le monde s’emploie à poursuivre un même but. Soit faire du développement de l’AI l’une de ses priorités nationales. D’autant plus que le PCC ne fait pas mystère qu’il compte sur l’IA pour maintenir le contrôle et guider l’opinion publique. D’ailleurs, après des semaines d’enthousiasme suite à la sortie d’application se situant dans la lignée de ChatGPT par Baidu, Alibaba ou encore Sense Time, les autorités ont sifflé la fin de la récréation. L’administration chinoise a présenté ce 11 avril un projet de loi soumettant les services d’IA à un audit de sécurité avant leur mise sur le marché. L’audit va réguler l’IA en fonction de critères idéologiques. En gros les réponses fournies par ces outils devront « incarner les valeurs socialistes fondamentales et (…) ne contenir aucun contenu qui préconise le renversement du système socialiste, incite à diviser le pays ou porte atteinte à l’unité nationale » précise Le Monde. De quoi encore compliquer la tâche pour rattraper ChatGPT puisqu’ils travailleront sur des banques de données censurées, mais qu’importe.
Un véritable travail de fourmi
Aujourd’hui, ce sont donc plus d’un millier de personnes qui y travaillent à Bainiaohe Digital Town pour améliorer la fiabilité des logiciels d’IA. En les entraînants et en étiquetant toutes sortes de données. Ici une voix, là une image. Un véritable travail de fourmi. Un travail ingrat pourtant indispensable aux IA de plus en plus puissantes. Les algorithmes pouvant digérer de plus en plus de données, il faut de quoi les nourrir. Des petites mains étiquettent donc des millions d’images de choses en tout genre et prise sous tous les angles. Malgré le cadre pseudo bucolique, le bien-être des travailleurs n’y est pas vraiment une priorité et les employés ressemblent à des forçats. Coincés des heures durant devant leur ordi et plongés dans une lumière artificielle, ils cliquent comme des robots sur des images. Et mauvaise nouvelle pour les employés, on annonce une alliance entre les différentes entreprises pour uniformiser les salaires. Une augmentation n’est donc pas pour demain.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici