“Attendre une reprise économique en Europe, c’est attendre tranquillement Godot”
Le plus grand problème de l’économie européenne n’est pas l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, mais son manque de résilience économique. Avec des gains de productivité atteignant à peine 0,5 % par an, tout choc est un choc de trop pour l’économie européenne.
Il ne s’est pas passé une seule réunion de la Banque centrale européenne (BCE) cette année sans que sa présidente, Christine Lagarde, n’agite une carotte. Selon les modèles de la BCE, l’économie européenne est en train d’atterrir en douceur après une crise inflationniste et la reprise se profile à l’horizon. À partir de 2025, très certainement la relance devrait s’accélérer, sous l’effet de la hausse du pouvoir d’achat et de l’augmentation des exportations. La BCE prévoit une croissance de 1,3 % en 2025 et de 1,5 % en 2026, du moins selon les projections faites en septembre.
Trump et les tarifs douaniers
Cependant, les derniers indicateurs conjoncturels remettent en cause ce scénario. Dans les enquêtes réalisées en novembre, c’est-à-dire après la victoire électorale de Donald Trump, les responsables des achats se montrent plutôt moroses. L’industrie manufacturière européenne s’enfonce dans une récession, tandis que le secteur des services, qui a longtemps été le bastion de l’économie, est lui aussi en difficulté.
« Le résultat pourrait difficilement être pire », annonce Cyrus de la Rubia, économiste en chef à la Hamburg Commercial Bank. « Le plongeon du secteur des services est inattendu. Son activité est en baisse pour la première fois depuis janvier, même si la baisse de l’inflation et l’augmentation des salaires font espérer un petit coup de fouet à ce secteur. Une reprise n’est pas non plus attendue dans l’immédiat, car les carnets de commandes s’amenuisent », ajoute encore Cyrus de la Rubia, qui, avec S&P Global, recueille ces indicateurs PMI très suivis.
Lire aussi| Trump, un coup de semonce pour l’Europe
« Les chefs d’entreprise sont moroses. Ce qui se comprend, les hausses de tarifs annoncées par Donald Trump leur font perdre confiance », déclare, quant à lui, Koen De Leus, économiste en chef chez BNP Paribas Fortis. Il est vrai que l’élection de Trump n’a pas contribué à améliorer le moral en Europe. Les entreprises européennes pourraient être prises en tenaille si les exportations vers les États-Unis deviennent plus chères et si la Chine déverse, encore plus ses produits, sur le marché européen, en réponse à un accès plus difficile au marché américain.
Les choix politiques de Donald Trump, nouvellement élu, vont faire plus de mal que de bien, prévient Hans Dewachter, économiste en chef du groupe KBC. En effet, si le prochain président américain choisit une politique commerciale agressive, cela pourrait être l’un des choix politiques les plus dévastateurs… Il y aurait un droit de douane général de 10 % sur les importations, en plus d’un droit de douane de 60 % sur les importations chinoises. « Trump donnerait un coup de massue à la mondialisation. Le tarif d’importation moyen aux États-Unis passerait à 20 %, soit un niveau aussi élevé que lors de la guerre commerciale des années 1930. Pour l’Europe, ce choc Trump vient s’ajouter à une grosse pile déjà élevée d’autres inquiétudes. Nous avons réduit nos prévisions de croissance pour l’Europe de 0,9 % à 0,7 % en 2025. La reprise est donc une fois de plus retardée. Attendre une reprise économique en Europe, c’est attendre tranquillement Godot », déclare Hans Dewachter.
Reste à voir ce que Donald Trump sortira finalement de son chapeau. Va-t-il déclencher une guerre commerciale acharnée ? Ou cherchera-t-il plutôt à conclure des accords avec l’Union européenne, la Chine et d’autres partenaires commerciaux ? « L’incertitude n’a jamais été aussi grande. Dans le scénario le plus sombre du Fonds monétaire international (FMI), avec une forte augmentation des droits de douane, une incertitude commerciale croissante, une baisse des migrations et une hausse des taux d’intérêt, le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis et de la zone euro est amputé de 1,6 % d’ici à 2026. Dans un scénario plus optimiste du FMI, avec une reprise en Chine et une vague d’investissements en Europe, le PIB de la zone euro pourrait bénéficier d’une hausse supplémentaire de 3 % d’ici à 2030 », a déclaré M. De Leus.
La panique se propage
L’essoufflement de l’économie européenne n’est pas quelque chose de nouveau. Depuis 2019, le PIB de l’Union européenne n’a augmenté que de 5 %, tandis que les États-Unis se sont enrichis de 11 %. L’économie allemande stagne depuis quatre ans. Le secteur de l’industrie continue de souffrir des prix élevés de l’énergie en Europe, alors que la Chine est passée du statut de principal client de l’industrie européenne à celui de principal concurrent. Grâce aux aides d’État et aux avancées technologiques, la Chine a pris de l’avance dans la production de voitures électriques à bas prix. Celles-ci pourraient bientôt inonder le marché européen. Depuis 2020, le déficit commercial de l’Europe vis-à-vis de la Chine s’est creusé de manière spectaculaire.
« La panique en Allemagne s’étend des constructeurs automobiles aux fabricants de machines », a déclaré Koen Dejonckheere, PDG de la société d’investissement Gimv, qui investit également dans des entreprises allemandes. « Mais nous n’abandonnons pas l’Allemagne, qui traverse une période de crise. Nous voulons saisir cette opportunité pour investir dans les nouvelles entreprises. En fait, notre portefeuille allemand se porte déjà bien. L’Europe dépense 600 milliards d’euros par an en combustibles fossiles. Or cette facture est en baisse ; cela signifie que ces montants restent en Europe. Nous pouvons utiliser ceux-ci pour financer des investissements, par exemple dans l’électrification de l’économie.
L’essoufflement de la productivité
Cette reprise hésitante depuis la crise sanitaire est symptomatique de l’économie européenne, qui se débat en fait avec une faible croissance depuis les années 1990. « Ce n’est pas à cause de Trump que l’Europe est soudainement moins performante. Nous sommes à la traîne par rapport aux États-Unis depuis un certain temps déjà. L’écart de croissance avec l’Amérique est devenu la nouvelle normalité. À l’origine, il y a la croissance plus élevée de la productivité aux États-Unis. Depuis 2000, la productivité américaine a augmenté en moyenne de 1,5 % par an, contre 0,5 % en Europe », explique Koen De Leus.
Au début du siècle, les Européens étaient presque aussi productifs que les Américains, mais depuis, l’écart se creuse petit à petit. La productivité européenne est inférieure de 20 % par rapport à celle des États-Unis, soit un écart aussi important que dans les années 1970. Le PIB par habitant est inférieur de 25 % en Europe par rapport à celui des États-Unis, en partie parce que nous préférons avoir plus de loisirs en Europe, mais surtout parce que nous produisons moins par heure travaillée. Les États-Unis et l’Europe récoltent ce qu’ils ont semé, et les Américains investissent plus dans les actifs productifs que l’Europe.
Pris au piège de la technologie
« Les États-Unis encouragent les nouvelles technologies et investissent dans des secteurs où les gains de productivité sont potentiellement plus importants », peut-on lire dans l’analyse du rapport de Mario Draghi. « En Europe, l’essentiel des investissements des entreprises se fait encore dans des technologies plus matures et dans des secteurs où les gains de productivité sont limités. En 2021, les entreprises européennes ont dépensé deux fois moins en recherche et développement. Il en résulte un faible dynamisme, une faible innovation, un faible investissement et de faibles gains de productivité en Europe. C’est ce que nous appelons le « piège de la technologie intermédiaire ».
Ce n’est donc pas un hasard si les Nvidia de ce monde sont américains. En Europe, aucune entreprise, fondée au cours des cinquante dernières années, n’est passée de zéro à une capitalisation boursière de 100 milliards d’euros. Aux États-Unis, les six entreprises dont la capitalisation boursière dépasse les 1000 milliards de dollars ont toutes été créées au cours des 50 dernières années, voire souvent au cours des 30 dernières années. Les noms des trois premiers investisseurs dans la recherche et le développement sont également révélateurs. En 2003, aux États-Unis, il s’agissait de Ford, GM et Pfizer – deux constructeurs automobiles et un géant pharmaceutique. En 2022, il s’agit d’Alphabet, Meta et Microsoft, trois entreprises technologiques. En Europe, les trois premiers étaient Mercedes, Volkswagen et Siemens en 2003 ; en 2022, ils seront toujours Mercedes, Volkswagen et Bosch. Le secteur automobile domine donc toujours ici, et même là, l’Europe perd parfois la bataille.
L’Europe peut encore échapper à ce piège. Le vieux continent occupe une position assez forte dans le domaine de la robotique et des services d’IA. Toutefois, son potentiel est étouffé par la fragmentation des marchés finaux et des marchés de capitaux. Les entreprises européennes innovantes ne parviennent généralement pas à trouver le financement nécessaire pour faire un vraiment grand pas en avant. Outre des marchés de capitaux insuffisants et une réglementation étouffante en Europe sont également mis en avant. « Le principe de précaution domine la réglementation. Mais si vous évitez tout risque, vous étouffez également l’innovation et la croissance économique. Nous attendons du courage politique et des dirigeants capables de montrer la voie à l’Europe, mais pour l’instant personne ne se lève », conclut Koen De Leus.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici
BNP Paribas Fortis
-
Siège social:
Brussel
-
Secteur:
Banken