Après Venise, un ticket d’entrée deviendra-t-il bientôt la norme pour chaque destination populaire ?
Les touristes d’un jour devront désormais acheter un ticket d’accès s’ils veulent visiter Venise. La ville italienne, l’un des endroits les plus visités au monde, teste cette mesure dans l’espoir de limiter le tourisme de masse et d’éloigner la menace de son expulsion de la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. “Les conséquences seraient désastreuses”. Rencontre avec l’économiste du tourisme Jan van der Borg.
Le fait de payer l’accès aux villes touristiques deviendra-t-il bientôt la nouvelle norme ? Tous les touristes d’un jour visitant Venise devront payer 5 euros pour obtenir un ticket électronique qui leur permet de circuler dans Venise entre 8h30 et 16h. La mesure sera testée pendant 29 jours cette année : chaque jour jusqu’au 5 mai, puis les week-ends jusqu’à la mi-juillet. À la fin de l’année, la ville décidera si cette mesure devient pérenne.
En attendant, les touristes qui ne paient pas risquent une amende de 50 à 300 euros. Les touristes séjournant dans la ville devront également présenter un tel code, mais ils le recevront gratuitement de leur hébergement. Les résidents permanents, les navetteurs et les enfants de moins de 14 ans sont exemptés.
Actuellement, seuls des contrôles aléatoires sont effectués. De plus, la ville n’a pas l’intention de fixer une limite au nombre de touristes autorisés à entrer dans Venise. La ville utilisera les recettes des tickets d’entrée pour l’entretien des canaux, des rues et des bâtiments. Le professeur Jan van der Borg est un économiste du tourisme à la KU Leuven. Cette autorité mondiale dans son domaine vit et travaille à Venise.
Quelle est la situation actuelle à Venise ?
JAN VAN DER BORG : “Le surtourisme cause depuis des années de nombreux problèmes à Venise. Il y a la surpopulation, une infrastructure et des installations médiocres, et la situation sur le marché du logement et de la location est hors de contrôle. Il y a maintenant plus de touristes que les 50 000 habitants de la ville. Venise perd donc de plus en plus son authenticité et son statut de ville. Elle devient une attraction.
“Ce problème est connu depuis longtemps, mais il a longtemps été bagatellisé. Et ce jusqu’à ce que l’UNESCO menace de retirer Venise de sa liste des sites du patrimoine mondial. Cela aurait des conséquences désastreuses. En Europe, Venise est connue de tous, bien sûr. Mais 20 % des touristes, principalement ceux venant d’autre continent, aiment suivre une liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les intérêts économiques sont donc énormes, car ce type de touristes est prêt à dépenser beaucoup d’argent.”
La menace de l’UNESCO a-t-elle mis les choses en mouvement ?
“En raison de cette menace, la ville a rapidement mis en place le système. Mais il y a dans cette vélocité probablement plus que de simples enjeux économiques. Le maire de la ville, Luigi Brugnaro ambitionne de rejoindre la politique nationale. C’est une année électorale, et il veut absolument éviter que sa ville subisse un tel contrecoup pendant son mandat. Ce serait une disgrâce.
Et d’une certaine manière, l’approche de Brugnaro est déjà un succès, car les menaces de l’UNESCO ont été mise au frigo, pour le moment du moins. Suite à la mise en place de ce test, l’UNESCO se laisse jusqu’à janvier 2026 pour prendre une décision. Et, d’ici là, Brugnaro sera depuis longtemps parti.”
Vous semblez insatisfait du système. Où cela pêche-t-il ?
“Le système est trop complexe pour les touristes, et il y a trop d’exceptions. Il est également difficile à appliquer. Essayez seulement de vérifier tous les points d’accès possibles à une ville. Un bon début serait de vérifier à l’aéroport et à la gare, mais Venise ne le fait pas. Dans la ville, des stewards se promènent, interpellant les gens de manière aléatoire. Imaginez si les billets étaient vérifiés de manière aléatoire lors d’un concert de Coldplay ou de Taylor Swift !
Les jours de grande affluence, Venise reçoit 100 000 visiteurs. Bien sûr, cela ne fonctionne pas, et cela se voit déjà en pratique. Il n’y a presque eu aucune violation enregistrée la première semaine. Le système ne fait pas seulement perdre de l’argent, il ne pousse pas non plus à une réorganisation du tourisme. Venise veut privilégier une forme de tourisme plus qualitative, sauf que le nombre de tickets d’accès aux personnes visitant la ville pour une journée est illimité. La semaine dernière, il y avait 100 000 visiteurs en ville, alors que nous visons un maximum de 50 000. Seulement 10 000 personnes ont acheté un ticket d’accès. Comme de tels tickets coûtent moins cher qu’une bière en ville, le système échoue à rendre le tourisme durable.”
Pourquoi l’accent est-il mis sur la limitation du nombre de visiteurs d’un jour ?
“Les visiteurs d’un jour descendent du bus ou du bateau de croisière et se retrouvent tous ensemble pendant les heures les plus chargées. Ils prennent rapidement un selfie et passent à autre chose. Non seulement ils dépensent moins d’argent en ville, mais ils ont aussi une empreinte écologique importante. Ce genre de tourisme n’apporte généralement pas de visiteurs à valeur ajoutée qui s’immergent largement dans la culture et l’histoire de Venise.”
Quelle est l’approche pour s’attaquer au surtourisme et attirer les « bons » touristes ?
“Je crois en un système de réservation avec un nombre limité de places. Mais pour cela, il doit y avoir une analyse de la capacité touristique. Combien de visiteurs la ville peut-elle accueillir chaque jour ? C’est en se basant sur ce chiffre qu’on limiterait le nombre de réservations. Ceux qui n’ont pas réservé ne seront pas expulsés pour autant. Cela compliquera juste sérieusement les vacances pour ces visiteurs. La visite sera plus difficile et plus chère. Car ceux qui auront réservé recevront un grand ensemble d’avantages : non seulement des réductions, mais aussi, par exemple, plus d’expériences dans les musées et la possibilité de passer les files d’attente.
“Un tel système n’est pas nouveau. Il ressemble au pass touristique que nous connaissons déjà. Il combine l’utilisation des transports en commun avec des réductions et d’autres avantages. Ce principe est très simple. Il existe déjà suffisamment d’études allant dans cette direction, mais la ville les ignore.”
Quels sont les prochains pas pour le système de tickets d’accès ? Quelles sont maintenant les prochaines étapes ?
“Je ne m’attends pas à ce que l’approche actuelle soit ajustée dans l’intervalle. L’expérience prendra fin en juillet, et ensuite le plan devrait être abandonné. Qui sait combien de temps il faudra avant qu’une nouvelle solution soit trouvée ? C’est tellement dommage, non seulement pour la ville, mais pour le tourisme dans le monde entier. Car qu’on ne s’y trompe pas, ce qui est testé à Venise est scruté par le monde entier.”
Récemment, d’autres exemples de problèmes liés au surtourisme ont fait la une des journaux. Il y a eu des manifestations contre le surtourisme aux îles Canaries, et l’atmosphère était tendue. Les conséquences du surtourisme sont-elles les mêmes partout ?
“Il y a beaucoup de similitudes. Les nombreux hôtels mettent à rude épreuve l’approvisionnement en eau pour les résidents, et il est devenu difficile de trouver un logement abordable. Vous voyez ce genre de choses partout dans les destinations les plus touristiques : les résidents et l’industrie ne trouvent plus leur place dans la ville, il y a de la pollution, des problèmes sociaux, de l’intolérance, de la micro-criminalité, etc. C’est une liste bien connue.”
Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de solution à ce problème ?
On a mis très longtemps à reconnaître que c’était un problème et, ensuite, quand la réponse mondiale est venue, ce n’était pas la bonne. Les résidents doivent être les principaux intervenants dans la politique touristique. Cela semble peut-être évident, mais ce n’est absolument pas le cas. Dans la prétendue politique touristique durable de l’Organisation mondiale du tourisme des Nations unies, le résident arrive en dernier, après l’industrie et les visiteurs. Pourtant, c’est précisément le résident et l’authenticité qui donnent de la valeur à une destination de vacances sur le long terme. Une ville comme Venise se tire une balle dans le pied.
“Un problème important est que le tourisme n’est pas non plus pris suffisamment au sérieux. Nous avons du mal à convaincre les gens qu’il faut avoir étudié le tourisme pour accomplir un travail significatif dans le secteur. Il y a un problème d’image. Cela se voit aussi en politique. Là, le tourisme est souvent le portefeuille le moins important d’un poste ministériel. Il y a une grande disparité entre l’importance du secteur dans de nombreux pays et l’attention réelle qui lui est accordée.”
Vous parlez de politique, mais comment les voyageurs eux-mêmes perçoivent-ils le tourisme ? La prise de conscience augmente-t-elle ou les protestations comme aux îles Canaries sont-elles facilement ignorées ?
« La réaction varie. Les jeunes sont par exemple plus conscients du climat, ce qui fait qu’ils sont, en comparaison avec ma génération, également plus conscients du problème. J’ai 62 ans. Nous voyons aussi que les gens commencent à se détourner du surtourisme. Ils sont toujours prêts à payer pour la qualité, s’ils ne sont plus traités comme une sorte de troupeau. Cela donne des raisons d’être optimiste.”
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