Alberto Fujimori : celui qui a sauvé le Pérou de la faillite, mais divisa le pays
L’ancien président Alberto Fujimori a profondément marqué de son emprunte le Pérou, tant par ses réussites économiques que par “sa guerre contre le terrorisme” qui lui a valu une condamnation à 25 ans de prison pour violations des droits humains.
En accédant au pouvoir en 1990, l’ancien dirigeant décédé mercredi à l’âge de 86 ans, a hérité d’un Pérou en proie à une hyperinflation galopante et à des guérillas d’extrême-gauche. Voici quatre clefs pour comprendre comment “El Chino”, ainsi qu’était surnommé l’ancien dirigeant né au Japon, a profondément divisé le pays.
“L’outsider”
Alberto Fujimori était un parfait inconnu jusqu’à son accession au pouvoir en 1990. Cette année-là, contre toute attente, il bat le grand favori du scrutin Mario Vargas Llosa, futur prix Nobel de littérature. Agronome et mathématicien formé aux États-Unis et en France, il fait campagne sur un tracteur et habillé en samouraï avec un discours de centre-gauche promettant “honnêteté, technologie, travail”.
En rompant avec la classe politique, il devient l’un des premiers présidents outsiders d’une région jusqu’alors marquée par le règne des partis. Il a été “l’une des figures les plus importantes” des trois dernières décennies après “l’effondrement des partis”, note auprès de l’AFP l’analyste politique Augusto Alvarez, pour qui Alberto Fujimori a redéfini la politique péruvienne “en un système presque bipartisan entre fujimorisme et anti-fujimorisme”.
Auto-coup d’Etat
En 1992, Alberto Fujimori dissout le Parlement, s’allie aux militaires, prend le contrôle des institutions, puis convoque une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution taillée à sa mesure, permettant ainsi une réélection jusque-là interdite. Cet “auto-coup d’État” a bénéficié d’un large soutien populaire. Alberto Fujimori a ainsi eu les coudées franches pour faire de l’économie péruvienne l’une des plus ouvertes de la région en favorisant notamment les privatisations.
Il lance alors sa “guerre contre le terrorisme”. Mais les “excès” de l’armée face aux guérillas entraînent des abus. En 2009, il est condamné à 25 ans de prison pour avoir commandité deux massacres perpétrés en 1991 et 1992 par des escadrons de la mort dans le quartier de Lima “Barrios Altos” (15 morts dont un enfant) et à l’Université de la Cantuta (10 morts).
Après 16 années passées en prison, Alberto Fujimori a été libéré en décembre 2023 pour raisons de santé. Le conflit interne des années 1980 et 1990 a fait quelque 69.000 morts et 21.000 disparus au Pérou, civils pour la plupart, selon une commission de vérité et de réconciliation (CVR).
La fin avant les moyens
Le défunt dirigeant est reconnu pour avoir redressé l’économie du pays, plongée dans une hyperinflation dépassant les 7.000% en 1990, avec des réserves quasi inexistantes et une dette extérieure massive. “Nous avons hérité d’un pays en faillite, non viable, et nous l’avons rendu viable”, a déclaré l’homme d’affaires Maximo San Roman, vice-président de Fujimori de 1990 à 1992, avant de s’en distancier lorsque ce dernier a dissous le Parlement.
Alberto Fujimori “a vaincu le terrorisme du Sentier lumineux, jugulé l’hyperinflation” et orchestré “la grande réforme économique dont le Pérou bénéficie encore aujourd’hui”, souligne Augusto Alvarez. Lors de son second mandat, la résidence de l’ambassadeur du Japon à Lima a été prise en otage par le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru.
Après 122 jours de crise, Fujimori a ordonné une intervention des forces de sécurité dans le bâtiment diplomatique. Cette opération spectaculaire s’est soldée par la libération de 71 otages et la mort des 14 assaillants, d’un otage et de deux soldats.
Paix avec l’Équateur
L’ancien dirigeant a mis fin à l’un des rares conflits militaires liés aux frontières que la région avait hérité de l’ère coloniale, en concluant un accord qui a mis fin à plus d’un siècle de discorde entre Lima et Quito.
“La paix avec l’Équateur est sans aucun doute l’un de ses accomplissements majeurs. Ce conflit, le plus ancien entre pays latino-américains, n’avait pas de solution et alimentait le nationalisme dans chaque pays”, souligne le politologue José Carlos Requena.
La paix a été signée en 1998, à Brasilia, mettant fin à une longue période d’affrontements armés, le dernier datant de 1995.