Irangate: De Croo et Lahbib se défendent, Ecolo et PS chargent la ministre des Affaires étrangères

Hadja Lahbib et Alexander De Croo au parlement ce mercredi. BELGA PHOTO ERIC LALMAND
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le Premier ministre vient au secours de sa ministre des Affaires étrangères. Socialistes et écologistes sont furieux. “Il n’y a aucune harmonie dans votre histoire”, dit Ecolo à l’égard de Hadja Lahbib. “Vous avez fait de la Belgique le terrain de jeu de tortionnaires”, dit le PS. Cela tangue au sein de la Vivaldi, alors que l’opposition réclame une tête.

Cela tangue au sein de la Vivaldi. Une commission des Affaires étrangères sous haute tension a mis la coalition fédérale au bord de la rupture, ce mercredi après-midi. Après la démission du sécrétaire d’Etat bruxellois Pascal Smet (Vooruit), l’affaire des visas iraniens rebondit à l’échelle fédérale. Qui a décidé d’octroyer des visas à la délégation iranienne, avec à sa tête le controversé maire de Téhéran, pour assister au Brussels Urban Summit? Et dans quelle conditions? Si Alexander De Croo et Hadja Lahbib se sont défenus, Ecolo et le PS ont visiblement lâché la ministre des Affaires étrangères.

Une crise en vue?

Au fil des versions, la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, a fini par se retrancher sous le parapluie du Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD). En substance, une fois l’invitation lancée par Pascal Smet, il eut été injurieux et humiliant de refuser ces visas alors que la Belgique vient de négocier pour la libération d’Olivier Vandecasteel et, surtout, dans un contexte où d’autres prisonniers européens sont détenus en Iran.

L’opposition, N-VA en tête, réclame depuis plusieurs jours la démission d’Hadja Lahbib, qui partagerait avec Pascal Smet la responsabilité politique de cette décision. Mais PS et Ecolo ont également pris leurs distances, estimant que “des réponses devaient être apportées”. Quant à Vooruit, parti de Pascal Smet, il peste: “Se réfugier derrière le Premier ministre, c’est lâche.” En outre, les partis de la Vivaldi n’on pas été convaicuns par l’explication de ce mercredi.

Démission en vue? Ils sont nombreux à se demander pourquoi Pascal Smet a dû démissionner… et pas Hadja Lahbib.

“Pas de guerre diplomatique”

Alexander De Croo rappelle la toile de fond, en lien avec la négociation récente de la libération d’Olivier Vandecasteele. “Mon cabinet a examiné la demande d’octroi de visas en raisonnant de manière à continuer à traiter le cas des innocents détenus en Iran, insiste-t-il. Déclencher une guerre diplomatique n’est pas dans notre intérêt”.

“Une vie humaine vaut elle un visa ? Evidemment!”, souligne-t-il.

“Dépassionner le débat”

Hadja Lahbib invite a “dépassionner le débat”. Elle rappelle les démarches insistantes faites par le secrétaire d’Etat bruxellois, Pascal Smet, le coup de fil entre les deux cabinets et le fait que le refus de tels visas est du ressort de l’Office des étrangers. Le 8 juin, des visas ont été octroyés après toutes les vérifications d’usage, insiste-t-elle, en disant que tous les documents et échanges de mails sont à disposition des députés.

Deux éléments importants sont à retenir, dit-elle. Tout d’abord, l’invitation a bel et bien été faite par le secrétaire d’Etat bruxellois. “C’est la décision prise par Bruxelles qui implique l’ensemble des invitations.” La décision politique est prise à ce moment, souligne-t-elle.

“Vu l’absence de menaces”

Ensuite, l’octroi des visas a fait l’objet de tous les contrôles nécessaires par l’Office des étrangers et tous les contrôles nécessaires à la sécurité nationale ont été effectués, tant pour le maire que pour les autres membres de la délégation. Aucun ne faisait l’objet de sanctions. Une demande spécifique a été faite auprès de la Sûreté de l’Etat. “L’Office des Etrangers a demandé d’observer un visa VTL (un visa à durée territoriale limitée), utilisé pour respecter des obligations internationales. La délégation iranienne n’a pas reçu un visa à durée et territoire multiple, mais à durée limitée en territoire bruxellois.”

Cela concerne le maire et les treize membres de la délégation, insiste-t-elle. Pas d’autres Iraniens qui auraient eu des comportements inadéquats.

“La visite du maire de Téhéran ne fait en aucun cas partie des négociations que nous avons eues pour la libérer Olivier Vandecastelle. Mais cela aurait créé un incident diplomatique, une humiliation et la Belgique veut continuer à travailler à la libération d’Européens encore détenus en Iran. Cela implique ne pas rompre les canaux diplomatiques.”

Les invitations étaient inopportunés, insiste Hadja Lahbib, elles interviennnent dans un contexte délicat. “Vu l’absence de menace, il a été décidé d’octroyer ces visas.” La ministre des Affaires étrangères insiste longuement sur la nécessité de dialoguer, d’oeuvrer à la diplomatie, même avec des pays avec lesquels nous sommes en désaccord.

“Toute la transparence a été faite”, conclut Hadja Lahbib. “Les invitations aux villes iraniennes n’étaient pas désirables, mais refuser les visas aurait été vécu comme une humiliation.”

N-VA: “Chaotique”

C’est une affaire sérieuse et elle a été traitée par des amateurs“, souligne Peter De Roover, chef de groupe N-VA, qui parle de “chaos” ces derniers jours dans la communication. Toute la faute a été rejetée sur Pascal Smet, souligne-t-il, mais la responsabilité finale se trouvait bien au fédéral.

Le chef de file nationaliste flamand estime notamment que l’un des deux, Alexander De Croo ou Hadja Lahbib, a menti en disant qu’il n’y avait pas de lien avec l’affaire Vandecasteele. Il met en évidence les contradictions de l’argumentation de la majorité, se demande quel est le vrai rôle de l’Office des étrangers ou demande pourquoi certains éléments n’avaient pas été évoqués la semaine dernière en séance plénière de la Chambre. Dont le rôle du Premier ministre.

“Monsieur Smet a été conséquent en démissionnant”, souligne De Roover, en laissant entendre que le fédéral n’est pas conséquent. “Est-ce la politique de tout le gouvernement et de la coalition?”, demande-t-il en évoquant le rapport avec un “Etat voyou”.

Ecolo: “pourquoi ne pas avoir dit la vérité?”

L’écologiste Samuel Cogolati est très dur à l’égard d’Hadja Lahbib: “Le Premier ministre a dit la vérité, mais vous ne l’aviez pas fait lors de la séance plénière, jeudi dernier.”

“Je ne comprends pas que la vérité d’aujourd’hui ne soit pas celle de jeudi dernier, souligne-t-il. Le pire dans cette histoire, ce sont les éléments nouveaux qui surgissent chaque jour. Vous ne pouvez pas être plus floue qu’aujourd’hui.” Il épinlge de nombreuses contradictions dans le déroulé des faits et s’inquiètent de l’attitude à l’égard de cet Etat.

Il n’y a aucune harmonie dans votre histoire”, appuie Wouter De Vriendt (Groen), très dur lui aussi à l’encontre de la ministre des Affaires étrangères. “Il ne faut pas embêter l’Iran tant qu’il y a des prisonniers, c’est donc cela notre politique étrangère?”, demandent les verts.

“Madame la ministre, sur deux points essentiels, vous n’avez pas donné toute la version au parlement“, conclut Wouter De Vriendt. Notre étonnement sur la version d’aujourd’hui n’en est que plus grand.”

PS: “Mal à l’aise”

Les socialistes, eux aussi, taclent Hadja Lahbib. “La situation est confuse, délicate et me met fort mal à l’aise“, entame Malik Ben Achour. Le député insiste sur la responsabilité fédérale dans l’octroi des visas.

Le député PS demande pourquoi la ministre s’est positionnée de façon très morale jeudi dernier, avant d’insister sur l’importance d’une ligne diplomatique raisonnable. “Vous évoquiez le fait que la situation des otages n’était pas en jeu, vous dites aujourd’hui le contraire. Vous n’avez pas tout dit au parlement. Ce changement de narratif n’est pas acceptable.”

Jeudi dernier, dit le PS, c’était la voix “de votre président de parti” que l’on entendait.

Les socialistes lâchent la ministre “Si votre responsabilité est engagée, c’est sur deux points”, clame-t-il. Le fait de ne pas avoir dit la vérité au parlement et, “plus grave”, “vous avez donné carte blanche à des barbouzes, à des agents du régime iranien pour faire le sale boulot dans notre pays pendant trois jours.”

Avec ces visas, vous avez fait de la Belgique le terrain de jeu de tortionnaires et d’assassins”, clame le PS.

Vooruit, par la voix de Melissa Depraetere, est également très critique: “C’est vous qui êtes responsable et vous essayer d’échapper à votre responsabilité!”

MR: “Aucun mensonge”

“Il n’y a aucune contradiction, mais des compléments d’informations, défend Michel De Maegd, député MR. C’est malhonnête intellectuellement. Il n’y a aucun mensonge.” Il souligne que l’on ne peut en aucun cas comparer une réponse de cinq minutes en séance plénière, avec le long débat du jour.

Michel De Maegd reprend ces mots: “A partir du moment où une invitation avait été lancée, un refus aurait été reçu comme une humiliation. Non, nous ne pouvions pas refuser ces personnes sur notre sol alors qu’elles étaient invités depuis quatre mois. C’est la politique du fait accompli. La ministre des Affaires étrangères a respecté les procédures.”

Le MR pourra-t-il sauver sa ministre des affaires étrangères? En tout cas, avec Ecolo et le PS, la rupture est consommée.

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