Une fois digérée la mauvaise image d’une présidente de la Commission “avalée au petit déjeuner” par un Trump triomphant, l’accord douanier Europe/États-Unis conclu cet été donnerait un petit avantage compétitif à notre continent par rapport aux autres partenaires des Américains. Mais rien n’est encore fixé.
Le 27 juillet dernier, après un parcours sur le green de son golf écossais de Turnberry, le président américain Donald Trump rejoint la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Au terme d’une heure de discussion, un accord est conclu, portant à 15% les droits de douane auxquels les produits européens importés aux États-Unis seront soumis.
Humiliation
La manière dont ce “deal” a été scellé a suscité énormément de commentaires, insistant surtout sur la faiblesse européenne. “Donald Trump a mangé von der Leyen au petit déjeuner”, ironisait le Premier ministre hongrois Viktor Orban.
Si l’accord permet d’éviter une guerre commerciale immédiate, il révèle les limites de l’Europe qui a consenti à ce que ses produits soient tarifés, malgré un commerce sensiblement équilibré avec les États-Unis. En réalité, l’Europe a, à l’égard de l’Amérique, un excédent commercial en biens (environ 200 milliards d’euros en 2024), mais un déficit en services (150 milliards). Et cet excédent européen n’est que de 50 milliards d’euros.
En outre, cet accord fait, en passant, voler en éclats les principes de l’Union européenne attachée au libre-échange et à la bonne marche de l’Organisation mondiale du commerce. La clause générale, adoptée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qui réglait jusqu’à présent le gros des échanges commerciaux dans le monde était celle de la nation la plus favorisée. Elle signifie qu’un pays ne peut pas accorder d’avantages spécifiques à un partenaire commercial au détriment des autres. Une autre règle fracassée par Trump lors de son Liberation Day du 2 avril, qui fixait des tarifs différents pour chaque pays en fonction du déficit commercial que ces pays avaient avec les États-Unis.
“Tyran de cour d’école”
Un sentiment de malaise était d’ailleurs palpable au sein de la délégation européenne, le Financial Times rapportant qu’un diplomate européen a comparé Donald Trump à un “tyran de cour d’école”.
Après cette humiliation en mondovision, une deuxième phase, moins médiatisée, a eu lieu : il s’agissait d’expliciter cet accord de principe. Les administrations européenne et américaine ont donc, le 21 août, publié un communiqué commun qui détaille en quatre pages les points principaux de cet accord. À la lecture du document, il apparaît que finalement, l’Europe n’a pas si mal joué le coup, avec le peu de cartes qu’elle avait en main.
Précisions
L’accord americano-européen en vigueur depuis le 1er août instaure des droits de douane de 15 % sur la majorité des exportations européennes vers les États-Unis, tout en exemptant certains secteurs stratégiques comme l’aéronautique, la pharmaceutique ou les biotechnologies. À l’inverse, les produits américains qui étaient frappés de droits de douane en Europe en sont désormais exemptés.
Une précision qui vaut son pesant de milliards : ce taux de 15 % est un plafond appliqué à une grande partie des exportations européennes vers les États-Unis, contrairement à la plupart des autres accords commerciaux passés par le pays de l’oncle Sam, qui ajoutent un taux supplémentaire aux tarifs précédents. On a, par exemple dit, que le Royaume-Uni, était avec un taux de 10%, favorisé par rapport à l’Europe. C’était oublier que le pays subissait déjà des droits de douane entre 3 et 5%, et se retrouve donc au final avec un tarif semblable à celui de l’UE.
L’Europe a réussi à arracher deux autres avantages compétitifs. Le premier est que certains biens échapperont aux tarifs douaniers. “Des tarifs ‘zéro pour zéro’ sur un certain nombre de produits stratégiques, notamment les avions et leurs composants, certains produits chimiques, certains médicaments génériques, les équipements semi-conducteurs, certains produits agricoles, les ressources naturelles et les matières premières essentielles ont été instaurés, précise la cheffe économiste de BNP Paribas, Isabelle Mateo y Lago. Les travaux se poursuivront afin d’ajouter d’autres produits à cette liste.” Déception en revanche pour la France, l’Italie et l’Espagne qui ne sont pas parvenues à ajouter les vins et spiritueux à ces exceptions tarifaires.
Exceptions
Mais surtout, l’Europe échappe à la menace de l’article 232. Cet article du “Trade Expansion Act” de 1962 autorise le président des États-Unis, qui normalement n’a pas de compétence sur les tarifs douaniers (celle-ci revient au Congrès), à grever de droits de douane ou à limiter certaines importations, si elles menacent la sécurité nationale. Donald Trump ne s’est pas fait prier et a mobilisé cette exception, en imposant des droits de 25 puis de 50% sur l’acier et l’aluminium, et en cherchant à imposer des droits unilatéraux au Canada et au Mexique. Mais aussi, en imposant des droits (d’environ 25 à 30%) aux pièces et automobiles importées aux États-Unis.
L’article 232 est à nouveau mobilisé pour enquêter sur plusieurs secteurs – l’éolien, les semi-conducteurs, les minéraux critiques, les drones, l’automobile, la pharmacie, le bois – qui risquent, vraisemblablement, à la fin de cette année, de se voir imposer de lourds tarifs supplémentaires. Toutefois, et c’est là que l’Europe a marqué des points, les produits européens relatifs à ces secteurs sont protégés par le plafond de 15%.
L’acier et l’aluminium
La protection ne joue toutefois pas pour deux secteurs qui sont déjà lourdement taxés, à 50% depuis le mois de juin, au titre de cet article 232 : l’acier et l’aluminium. Là, les négociations se poursuivent entre Bruxelles et Washington pour arriver à un compromis qui pourrait par exemple fixer des quotas exemptés de droits.
L’accord supprime l’incertitude sur deux grands secteurs industriels européens : l’automobile et le pharmaceutique.
L’accord supprime en revanche l’incertitude sur deux grands secteurs industriels européens. D’abord l’automobile, qui s’était vu infliger des tarifs douaniers de 27,5%, passés à 15% depuis. Ensuite le secteur pharmaceutique, qui vend chaque année pour plus de 100 milliards d’euros de ses produits aux États-Unis. Certains produits ne subiront pas la taxe de 15% et les autres ne pourront pas êtres taxés à plus de 15%, malgré l’enquête en cours au titre du secteur 232.

Interprétation
Reste la part la plus nébuleuse de l’accord, celle concernant les investissements, l’énergie et le matériel militaire : l’Europe se serait engagée à acheter 750 milliards de produits énergétiques américains, d’investir 600 milliards aux États-Unis et d’acheter des montants importants de matériel militaire américain.
Mais là, les mots ont leur importance. L’Union européenne n’a rien “promis” à cet égard. Pour l’énergie, le texte original de la déclaration commune du 21 août indique que, “d’ici 2028, l’Union européenne prévoit d’acheter (‘intends to procure’) du gaz naturel liquéfié, du pétrole et des produits d’énergie nucléaire américains pour une valeur estimée à 750 milliards de dollars”. Cela n’implique donc aucun engagement ferme. De même, le communiqué du 21 août indique que l’on s’attend à ce que les entreprises européennes investissent 600 milliards supplémentaires aux États-Unis et que l’Union européenne “projette d’accroître de manière substantielle ses achats de matériel militaire américain”.
Aucun pouvoir d’obliger
De toute façon, la Commission européenne n’a pas le pouvoir d’obliger ses États membres à acheter du matériel militaire, de forcer des entreprises à investir aux États-Unis ou de faire en sorte que ces dernières préfèrent tels ou tels fournisseurs d’énergie.
Mais on imagine que les négociations vont se poursuivre sur ces points. Elles seront sans pitié. Le Japon avait, lui aussi, émis une vague promesse d’investir 550 milliards aux États-Unis. Or, on vient d’apprendre, par la bouche d’Howard Lutnick, le secrétaire au Commerce, que le deal aboutit à un racket en bonne et due forme: les 550 milliards de dollars de projets seront sélectionnés par le gouvernement américain et les États-Unis encaisseront dès le départ une moitié des profits. Et une fois que le Japon aura récupéré ses 550 milliards de dollars, la répartition passera à 90% pour Washington et à 10% pour Tokyo, précise Howard Lutnick.
Interrogations
Voici quelques jours, lors de son discours sur l’État de l’Union, Ursula von der Leyen a défendu son bilan. “Nous avons conclu un accord pour préserver l’accès à ce marché à nos industries et défendu le meilleur accord possible. (…) Nous avons doté nos entreprises d’un avantage relatif”. Certains des concurrents directs de l’UE faisant face “à des droits de douane beaucoup plus élevés. Leur droit de douane de base est peut-être inférieur, mais si l’on considère les exceptions que nous avons obtenues et les taux supplémentaires auxquels d’autres pays sont soumis. Nous constatons que nous avons le meilleur accord, c’est incontestable”.
“Nous avons doté nos entreprises d’un avantage relatif.” – Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne)
Le meilleur accord, peut-être, mais au prix de concessions majeures : de fait, l’Union européenne accepte la fin du libre échange et des accords de l’OMC. Et surtout, elle n’évacue pas, loin de là, les incertitudes. L’accord doit être précisé et ratifié par les deux parties. Et entretemps, tout peut encore arriver : un des grands points d’interrogation concerne les services, un domaine où les États-Unis, en raison des positions monopolistiques de leurs géants du numérique, les Gafam, sont largement excédentaires. Le droit européen, qui vise à limiter le pouvoir des Gafam via ses Digital Markets et Digital Services Acts, entre en collision frontale avec les vues de l’administration Trump. Pour ne rien arranger, l’amende de trois milliards d’euros imposée, après bien des hésitations, par la Commission, à Google a déclenché la fureur du président américain ces derniers jours.
“L’Union européenne doit IMMÉDIATEMENT arrêter ces pratiques contre les entreprises américaines”, annonçait Donald Trump sur son réseau Truth Social. Sinon, il sera “contraint” de répliquer par des droits de douane punitifs. Le dossier n’est donc pas clos. Loin de là.