Ce jeudi 22 mai, l’université Harvard a reçu un sacré coup de massue : l’administration Trump lui a signifié qu’elle lui retirait l’autorisation d’accueillir des étudiants étrangers. Elle somme l’institution de se conformer à un ultimatum de 72 heures. Cette décision affecte directement quelque 6.800 étudiants internationaux, soit plus d’un quart des effectifs de Harvard, qui sont désormais contraints de trouver un autre établissement ou de quitter dans l’urgence les États-Unis.
Le choc est grand sur le campus de l’Université de Harvard, située à Cambridge (Massachusetts) aux Etats-Unis. L’administration Trump a annoncé ce jeudi 22 mai qu’elle retirait le droit d’accueillir des étudiants étrangers à la prestigieuse université américaine membre de l’Ivy League. Elle prive d’un moyen de rayonnement important l’institution contre laquelle le gouvernement américain a lancé une vaste offensive. “La certification du programme Student and Exchange Visitor (Sevis) de l’université Harvard est révoquée avec effet immédiat”, a écrit la ministre de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, dans une lettre adressée à l’université et aussi postée sur X. Ce programme est le principal système de visas – assez strict dans ses critères d’octroit – par lequel les étudiants étrangers sont autorisés à étudier aux États-Unis.
Une action « outrageuse et horrible »
L’Université compte pas moins de 6.800 étudiants étrangers (27% du total). Ces derniers sont inquiets pour leur statut légal, mais refusent de parler ouvertement à la presse par crainte de représailles. Le professeur Vincent Pons, de la Harvard Business School, dont environ un tiers des étudiants de MBA sont étrangers, décrit dans Le Monde un climat de panique : « Je suis sidéré et en colère, tout cela est un prétexte pour cibler ce qui est perçu comme un contre-pouvoir. Ce qui est en jeu, c’est la liberté de parole, la liberté d’enseigner, la liberté de faire de la recherche. » Jason Furman, professeur d’économie et ancien conseiller de Barack Obama, évoque aussi dans le quotidien français une action « outrageuse et horrible ». « Les étudiants étrangers sont essentiels à l’université et enrichissent ce pays”, plaide-t-il.
“Un climat antisémite et pro-hamas”
La lettre de deux pages, signée par Kristi Noem, secrétaire à la sécurité intérieure, accuse Harvard de “favoriser un climat antisémite et pro-Hamas, hostile aux étudiants juifs, et de soutenir les politiques dites « woke » de diversité, d’égalité et d’inclusion”. Elle explique les raisons de la révocation de la certification pour le programme « Student and Exchange », principale voie d’accès pour les étudiants étrangers – « avec effet immédiat ».
“Un privilège”
« C’est un privilège d’accueillir des étudiants étrangers et c’est également un privilège d’employer des étrangers sur le campus, écrit la républicaine. (…) Au vu de vos refus de répondre aux nombreuses requêtes du département de la sécurité intérieure, tout en maintenant un environnement non sécurisé, qui est hostile aux étudiants juifs, qui favorise les sympathies pro-Hamas et qui défend les politiques racistes DEI (diversité, égalité et inclusion), vous avez perdu ce privilège. » D’après Kristi Noem, les étudiants étrangers déjà inscrits doivent « se transférer » dans une autre université, sous peine de perdre leur visa, ou bien, option encore plus radicale, rentrer chez eux.

(Photo de Joseph Prezioso / AFP) (Photo de JOSEPH PREZIOSO / AFP via Getty Images)
72 heures
L’administration exige des autorités d’Harvard, dans les 72 heures, la transmission immédiate d’une série de documents sur les cinq dernières années : activités jugées illégales, violences, participation à des manifestations, dossiers disciplinaires d’étudiants étrangers. Harvard dénonce une mesure illégale et annonce vouloir engager de nouvelles actions en justice.
« Cette décision du gouvernement est illégale », a immédiatement répondu un porte-parole de l’université, contacté par l’AFP. « Nous nous engageons pleinement à maintenir la capacité d’Harvard à accueillir nos étudiants et universitaires internationaux, qui viennent de plus de 140 pays et enrichissent l’université – et cette nation – de manière incommensurable », a ajouté l’institution. Celle-ci s’était distinguée il y a plusieurs semaines en attaquant en justice le gouvernement sur le dossier du retrait de ses aides fédérales. Pour l’université, c’est aussi son rayonnement international qui est en jeu, dans un contexte de compétition intense pour attirer les meilleurs talents.
Tension accrue entre l’université et le gouvernement
L’administration Trump a lancé depuis plusieurs mois une vaste offensive contre l’enseignement supérieur aux États-Unis, accusant les universités privées les plus prestigieuses, notamment Harvard et Columbia, d’avoir laissé prospérer l’antisémitisme et de n’avoir pas protégé suffisamment les étudiants juifs pendant les manifestations contre la guerre d’Israël à Gaza. Le camp républicain reproche plus généralement aux grandes universités américaines de promouvoir les idées de gauche jugées trop progressistes. Les associations de défense des libertés individuelles y voient une offensive contre la liberté d’expression et une tentative de museler toute critique contre la politique d’Israël.
Harvard est notamment accusée d’avoir minimisé les débordements antisémites lors de manifestations propalestiniennes, organisées après les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. La présidente de l’université, Claudine Gay, avait par ailleurs, dû démissionner en janvier, à la suite d’un scandale de plagiat et de critiques sur sa gestion de la crise. Ce n’est pas la première offensive : en avril, 2,2 milliards de dollars de fonds fédéraux avaient déjà été gelés.
Cette décision tombe alors que le campus se prépare aux cérémonies de remise des diplômes – “commencement” – de fin d’année. Personne ne sait encore si les étudiants étrangers pourront y participer, ni s’ils auront la possibilité de recevoir leur diplôme. « Nous travaillons pour fournir au plus vite des conseils et un soutien aux membres de notre communauté. Cette mesure de rétorsion menace de porter gravement atteinte à la communauté de Harvard et à notre pays, et compromet la mission universitaire et de recherche de Harvard », a commenté le porte-parole de l’université américaine.
Le CRef dénonce la révocation du programme Sevis à Harvard
Le Conseil des rectrices et des recteurs francophones annoncre “apprendre avec stupeur la révocation avec effet immédiat de la certification du programme Sevis (Student and Exchange Visitor) de l’université Harvard par le ministère de la sécurité intérieure des États-Unis”, a-t-il communiqué.
“Alors que l’université Harvard avait déjà fait l’objet d’un gel de plus de deux milliards de dollars de subsides pour des motifs d’ordre politique, le CRef constate que l’autorité politique fédérale des États-Unis amplifie ses ingérences dans la liberté académique en menaçant cette fois la liberté de circulation des étudiants, l’un de ses éléments essentiels”, poursuit le Conseil par voie de communiqué. Le CRef tient à exprimer sa solidarité à l’égard des institutions américaines visées par ces ingérences. Fortement préoccupé par ces évolutions, il continuera à suivre avec la plus grande attention la situation de la liberté académique aux États-Unis, comme partout dans le monde.
La princesse Elisabeth doit-elle quitter l’université d’Harvard ?
La décision de Donald Trump d’interdire les étudiants internationaux à l’université d’Harvard a un impact sur la princesse Elisabeth qui y a commencé un master en politiques publiques en septembre 2024. Doit-elle quitter l’université? Le Palais royal dit suivre ce dossier avec la plus grande attention.
« La princesse Élisabeth vient de terminer sa première année », déclare la porte-parole Lore Vandoorne. « L’impact de cette décision — s’il y en a un — ne sera clair que dans les jours ou semaines à venir. Nous examinons actuellement la situation. »« Il faut aborder cela avec calme et patience. Il peut encore se passer beaucoup de choses », ajoute Xavier Baert, directeur de la communication du Palais. « La décision sera-t-elle vraiment appliquée telle qu’elle a été annoncée ? L’avenir nous le dira. » Ce ne serait en effet pas la première fois qu’une mesure annoncée avec fracas s’avère moins sévère dans les faits. Harvard peut contester la décision de Trump devant les tribunaux. Le président américain pourrait aussi revenir sur sa position.
Cinq étudiants de la KU Leuven à Harvard : “Impact encore incertain pour eux”
Actuellement, cinq étudiants de la KU Leuven suivent un programme à l’université de Harvard, selon l’université flamande. L’impact de la décision d’interdire les étudiants étrangers à Harvard n’est pas encore clair pour eux
Au cours des deux dernières années académiques, treize étudiants de la KU Leuven ont étudié chaque année à Harvard, principalement en médecine. Pour l’instant, la KU Leuven ne peut pas encore mesurer les conséquences de la décision des autorités américaines. « En tout cas, nous contactons nos étudiants sur place, et nous les assisterons et les accompagnerons si nécessaire », indique le service de presse de l’université.
Cette situation de grande incertitude prévaut pour toutes les institutions universitaires belges.