500 milliards de dollars : le coût colossal de la reconstruction après 3 ans de guerre en Ukraine
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La guerre en Ukraine dure depuis trois ans déjà. Une issue rapide n’est pas en vue, malgré des mouvements sur la scène diplomatique. Dans quel état se trouve le pays ?
Après un appel téléphonique, le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine ont décidé d’entamer des discussions pour mettre fin à la guerre en Ukraine. L’Ukraine elle-même – et encore moins l’Europe – ne semble pas avoir de place à la table des négociations. Mais, au moins, les Ukrainiens ont une lueur d’espoir.
Sur le terrain, la paix est encore lointaine. S’il n’y a pas de bombardements, les sirènes d’alerte aérienne rappellent constamment la guerre aux Ukrainiens. À Kiev, l’alerte retentit trois à quatre fois par jour. « Généralement pendant les heures de pointe du matin ou du soir, ce qui complique encore plus les trajets domicile-travail. C’est aussi une forme de guerre économique », explique Luc Vancraen. Il travaille pour l’entreprise de logiciels Quadrox, qui possède une filiale à Kiev.
Puni pour désertion
Avec l’arrivée du printemps, le moral devrait remonter, selon Vancraen. Il constate cependant une diminution notable du nombre d’hommes dans l’espace public, les transports en commun et les lieux de sortie. « Ils évitent de se montrer par peur d’être mobilisés », dit-il. « Il y a des contrôles réguliers. L’un de mes employés travaille donc depuis Valence. Il dit qu’il reviendra après la guerre. En théorie, il pourrait être puni pour désertion. En pratique, l’Ukraine ne peut pas se le permettre. Chaque travailleur est essentiel ici. »
Le manque de main-d’œuvre n’est pas seulement dû à l’émigration, mais aussi à la mobilisation. Toutefois, Vancraen y voit un effet positif. « Un soldat reçoit une solde de 800 euros par mois. Pour l’Ukraine, c’est une somme importante. L’argent arrive sur le compte familial, permettant aux femmes et aux enfants de continuer à dépenser. Une partie de l’économie repose sur l’effort de guerre. »
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Une facture de plus de 500 milliards de dollars
Fin 2024, la Russie a lancé une nouvelle vague d’attaques contre les infrastructures énergétiques. L’année dernière, l’Ukraine a dû importer une quantité record d’électricité. « C’est un miracle qu’il y ait encore du courant, même dans des villes gravement touchées comme Kharkiv », affirme Vancraen.
Les Russes ont détruit non seulement les infrastructures énergétiques, mais aussi des routes, des bâtiments, des stations d’épuration et d’autres équipements. Les dégâts s’élèvent à 168 milliards de dollars, selon un rapport de la Kyiv School of Economics (KSE). Ce chiffre ne couvre que les pertes matérielles ; les pertes économiques, en termes d’activité et de création de richesse manquées, s’élèvent à des centaines de milliards supplémentaires.
La reconstruction physique nécessitera plus de 500 milliards de dollars, estime la KSE. La différence avec les 168 milliards de dommages s’explique par le principe du « Build Back Better ». C’est-à-dire une reconstruction conforme aux normes modernes, notamment en matière d’efficacité énergétique. À cela s’ajoutent les coûts de démolition définitive des infrastructures endommagées, l’élimination des débris et – point crucial – le déminage des terrains et des terres agricoles. Environ un cinquième des terres agricoles ukrainiennes sont inutilisables en raison de la guerre.
« Nous avons aidé l’Ukraine juste assez pour lui permettre de garder la tête hors de l’eau, mais pas assez pour lui donner une position de négociation forte face à la Russie. »
Jan De Pauw
envoyé spécial pour l’Ukraine
Sur les 500 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction, l’Ukraine ne pourra en financer que 100 milliards, laissant un déficit de 400 milliards, selon la KSE. En raison du retard des investissements, l’économie ukrainienne sera encore 10 % plus petite en 2027 qu’en 2021, même si un cessez-le-feu était conclu cette année.
Pour combler ce déficit, la KSE compte sur la confiscation des quelque 300 milliards de dollars de réserves gelées de la banque centrale russe. Une grande partie de ces fonds est détenue par Euroclear, basé à Bruxelles. « La Belgique s’oppose à une telle confiscation, car cela pourrait entraîner des poursuites judiciaires », explique Jan De Pauw, diplomate belge et envoyé spécial pour l’Ukraine.
« Ce serait aussi un précédent aux lourdes conséquences économiques. La confiscation de capitaux pourrait dissuader les investisseurs étrangers d’opérer en Europe. D’ailleurs, la confiscation n’est pas nécessaire : l’Union européenne et le G7 utilisent les intérêts générés par ces fonds comme garantie pour des prêts à l’Ukraine. Les réserves elles-mêmes doivent rester gelées jusqu’à ce que la Russie paie pour les dommages qu’elle a causés. »
Le budget
Le déficit budgétaire ukrainien atteindra cette année un niveau alarmant de 17,9 % du PIB, selon la KSE. L’État ukrainien survit grâce aux prêts étrangers. En 2024, ces prêts ont couvert 80 % du déficit budgétaire de 16,8 %, le reste étant financé par l’émission d’obligations.
Cette dépendance à l’aide étrangère restera essentielle dans les années à venir. Entre 2025 et 2027, l’Ukraine recevra 93 milliards d’euros de prêts et de subventions étrangères. Rien qu’en 2025, elle devra consacrer 72 milliards de dollars à la défense et à la sécurité, selon la KSE. Même si la guerre s’arrêtait cette année, le pays devra encore dépenser bien plus que la moyenne de l’OTAN en matière de défense : 22 % et 19 % du PIB en 2026 et 2027.
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L’économie tient bon en Ukraine
L’économie ukrainienne tient bon. L’an dernier, elle a connu une croissance de près de 4 %, et cette année, elle devrait atteindre 3,6 %, prévoit la KSE. En raison de la pénurie de main-d’œuvre, la hausse des salaires dépasse largement l’inflation : 21,5 % contre 7 % en 2024. Aucune amélioration n’est en vue, notamment parce qu’environ 7 millions d’Ukrainiens ont fui le pays. Les enquêtes montrent que de moins en moins d’entre eux envisagent de revenir.
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La situation des entreprises belges en Ukraine
Les entreprises belges ne se précipitent pas pour investir dans la reconstruction. Depuis décembre 2023, l’assureur-crédit Credendo a mis 100 millions d’euros à disposition pour garantir les transactions avec l’Ukraine. Mais aucun contrat n’a encore été signé. Une prudence compréhensible, selon Nabil Jijakli, directeur adjoint de Credendo : « L’Ukraine est toujours en guerre. Toute entreprise souhaitant y mener un projet de construction ou d’infrastructure court un risque financier et doit envoyer une équipe sur place. »
« Les Ukrainiens considèrent un cessez-le-feu comme une opportunité pour la Russie de reconstituer son arsenal et comme un prétexte pour l’Europe d’arrêter son aide militaire. »
Luc Vancraen
Quadrox
La diplomatie
Depuis le début de la guerre le 24 février 2022, la Belgique a fourni 2,2 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, selon le ministère des Affaires étrangères. Cette aide comprend du matériel militaire, de l’aide humanitaire et un programme de reconstruction de 150 millions d’euros dans les régions de Kiev et de Tchernihiv.
Pendant ce temps, des discussions se déroulent entre les États-Unis et la Russie, mais elles ne concernent pas uniquement l’Ukraine, selon Jan De Pauw. « La Russie considère l’Ukraine comme une pièce d’un nouvel ordre de sécurité international. Poutine veut convaincre Trump d’un accord global, mais les Ukrainiens ne laisseront pas cela se faire sans imposer leurs propres exigences. »
Et l’Europe ? « Si elle veut payer une partie de l’addition, elle obtiendra une place à la table des négociations », conclut De Pauw. Mais pour de nombreux Ukrainiens, un cessez-le-feu est inacceptable : soit ils gagnent la guerre, soit ils la perdent. Un armistice n’est pas une option. Un raisonnement que l’Occident ne semble pas toujours comprendre.
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