5 minutes pour comprendre la dollarisation d’une économie

BUENOS AIRES, ARGENTINA - NOVEMBER 19: Newly elected President of Argentina Javier Milei of La Libertad Avanza speaks after the polls closed in the presidential runoff on November 19, 2023 in Buenos Aires, Argentina. According to official results, Javier Milei of La Libertad Avanza reached 55,69% of the votes and Sergio Massa of Union Por La Patria 44,30%, with 99,25 of the votes counted. The presidential election runoff to succeed Alberto Fernandez comes as Argentinians have been hard hit by an annual 142,7% inflation. (Photo by Tomas Cuesta/Getty Images) © Getty
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Adopter le dollar quand on est l’Argentine, c’est comme emprunter la voiture du voisin. Ça a des avantages, mais cela a aussi beaucoup d’inconvénients.

Quelques jours ont passé et l’élection de Javier Milei à la tête de l’Argentine est déjà presque oubliée. Pourtant, l’anarcho-libertaire qui préside désormais aux destinées de l’Argentine a lancé une idée qui, si elle est adoptée, va être suivie de très près par tous les économistes de la planète. Javier Meili veut en effet abandonner le peso argentin, dissoudre la banque centrale et faire adopter par le pays le dollar américain (et peut être aussi le bitcoin) comme monnaie légale. C’est ce qu’on appelle donner un grand coup de pied dans la fourmilière monétaire.

Dollarisation

La dollarisation, c’est l’adoption du dollar comme monnaie nationale par un pays qui n’est pas les Etats-Unis. Cela ne pose pas de problème en soi, le dollar est très largement disponible, il représente encore aujourd’hui 55% des réserves en devises dans le monde.

 Le premier pays à en avoir fait l’expérience est le Panama, en 1904, qui était devenu un protectorat américain. Les autres expériences plus récentes, Equateur, Salvador et Zimbabwe, ont en commun des pays qui devaient faire face à une telle inflation que leurs devises n’étaient plus utilisées par les ménages et les entreprises. Il fallait donc en trouver une autre, plus stable, moins fondante, et le dollar, la principale devise internationale, s’est imposé quasi naturellement.

D’autres pays d’Amérique latine – Venezuela, Pérou, Uruguay, …- sans avoir adopté officiellement le dollar, pratiquent eux aussi une dollarisation de fait pour faire face à une trop grande instabilité de leur monnaie. Evidemment, adopter le dollar résout ce problème : dans un pays où, comme le Zimbabwe en 2008, vous avez une inflation de 98% par JOUR, plus aucun échange commercial n’est possible, à moins d’aimer nager dans du papier monnaie.

Les deux faces

Du côté des autorités monétaires du pays concerné, passer au dollar est également un soulagement : elles ne doivent plus accumuler de l’or et des réserves, et ne doivent plus monter les taux à des plafonds impossibles pour défendre leur monnaie. Cela, c’est la face positive de la dollarisation.

La face négative, quand un pays adopte la monnaie d’un autre, est qu’il perd une bonne partie de sa liberté économique. En fait, c’est un peu comme emprunter la voiture du voisin. C’est utile au début, mais cela devient très handicapant à la longue : on n’a pas toujours le véhicule quand on en a besoin, et le voisin aménage sa voiture comme il l’entend.

C’est un peu la même chose pour une devise, qui est le reflet de la force d’une économie. Pour que la dollarisation fonctionne, il faut que l’économie du pays qui adopte la devise de l’oncle Sam soit similaire à l’économie américaine. Car tout, le taux de change, les taux d’intérêt, la quantité de monnaie émise, …sera géré par la Réserve fédérale américaine, qui ne travaille que pour l’intérêt des Etats-Unis.

Sans convergence économique…

Donc, pour adopter le dollar sans douleur, il faut un système de prix et de salaire très proche de celui des Etats-Unis, et il faut une intégration financière et économique très importante avec eux. Si l’on prend l’Argentine, il faudrait que le gouvernement argentin calque sa politique économique, ses préférences en matière d’inflation et de croissance, sur celle des Etats-Unis. Il faudrait que les ménages argentins aient un niveau de vie qui se rapproche de celui des Américains. Il faudrait que travailleurs argentins puissent aller facilement travailler aux Etats-Unis pour trouver du travail s’il n’y en a pas dans le pays. Il faudrait éliminer les obstacles réglementaires et douaniers entre les entreprises argentines et américaines. Et si jamais il y a un choc devait secouer l’économie argentine, (une catastrophe économique ou naturelle), il faudrait  un système de soutien vers Buenos Aires, car aux Etats-Unis, quand un Etat américain subit une catastrophe, le système fédéral organise des transferts.

… point de salut

Sans cette imbrication, les problèmes commencent. Car quand apparaît une différence de compétitivité entre deux pays, la méthode la plus simple pour la résoudre est de dévaluer. Le pays en difficulté abaisse la parité de sa monnaie. Il peut alors vendre ses produits moins chers pour un acheteur extérieur, ce qui soutient l’exportation.

Mais évidemment, si on adopte le dollar ou l’euro, la dévaluation n’est plus possible. C’est pour cela d’ailleurs qu’il existe tous ces critères de convergences dans la zone euro : ces règles essaient de faire en sorte que tous les Etats membres marchent du même pied. Mais quand ce n’est pas possible, quand le pays est en difficulté et fait partie d’une zone monétaire unique, la solution qui subsiste consiste alors à pratiquer une « dévaluation sociale » : on baisse les salaires, on rabote les avantages sociaux, pour améliorer l’économie vis-à-vis de l’extérieur.

Mais c’est évidemment très douloureux pour la population, qui voit son niveau de vie chuter. Les Grecs ont vécu cette expérience de plein fouet. Il n’est pas certain que les Argentins aient voté pour cela.

Retrouvez tous les articles de la rubrique “5 minutes pour comprendre”

Partner Content