3% du PIB, bon Défense, aucune vente d’actifs : le grand plan d’Itinera pour la défense et son financement

Marc De Vos © PG
Baptiste Lambert

Le think tank s’est penché sur la question du moment : comment renforcer la défense belge, et surtout, comment le financer ? Les deux auteurs, Marc Devos et Julien De Wit, explorent plusieurs pistes dont l’emprunt. Notamment auprès de l’immense épargne des Belges.

“Bien plus que l’armement.” Itinera présente son rapport et plaide “pour une approche intégrée où la défense n’est pas seulement perçue comme une charge budgétaire, mais comme un levier d’innovation industrielle, de croissance économique et de résilience sociétale”.

Le think tank estime que 3% du PIB devraient être alloués au budget de la défense, soit bien au-dessus de la norme de 2%, “établie en temps de paix, sous l’administration Obama”, expliquent les deux auteurs. “Lors du sommet de l’OTAN en juin à La Haye, il est fort probable que cet objectif soit relevé à 3 % ou 3,5 %“.

3%, c’est 10 milliards d’euros supplémentaires par an. Une sacrée somme alors que le gouvernement se déjà creuse les méninges pour sortir 4 milliards d’euros de son chapeau. Mais le think tank a plusieurs pistes pour y arriver.

Capital privé

Parmi ces pistes, Itinera envisage de mobiliser le capital privé. “Les ménages belges détiennent collectivement plus de 1 600 milliards d’euros d’actifs financiers, dont environ 130 milliards sous forme liquide”, commentent les deux experts. Comment y arriver ? “L’une des options serait l’émission d’une obligation de défense ou d’une obligation de résilience, un emprunt d’État dont le produit serait destiné aux dépenses de défense.”

Ce bon Défense fait évidemment penser au bon d’Etat que le précédent gouvernement fédéral avait mis en place pour concurrencer les banques et les pousser à agir. Ce bon d’Etat disposait d’un précompte mobilier réduit, ce qui l’avait rendu fort attractif. Le nouveau gouvernement fédéral pourrait décider d’utiliser la même option.

Les pouvoirs publics ont aussi l’opportunité de rendre cet emprunt accessible, en déterminant un montant minimal faible, poursuit le think tank. Ce moyen de financer les dépenses militaires permettrait “d’éviter des arbitrages budgétaires trop stricts avec d’autres priorités publiques“.

Rendre les entreprises de la défense attractives

Le secteur de la défense, par sa nature, est un malaimé de l’investissement. Le gouvernement fédéral devrait remédier à ce problème en recréant un lien entre les investisseurs privés et l’industrie de la défense (et ses PME). On sait que l’accord de gouvernement prévoit une variante de la loi Cooreman-Declercq pour orienter l’épargne vers l’économie. “La défense devrait y être incluse”, plaide Itinera.

Le think tank y ajoute “une réduction des restrictions pesant sur l’investissement en défense par les fonds de pension, les assureurs et le secteur financier en général“. Mais aussi “un cadre ajusté pour les standards ESG“. L’objectif est de fixer un contexte sociétal favorable qui valorise la défense et la sécurité, plutôt que de les stigmatiser.

Une banque de défense

À l’échelle européenne, mobiliser les 650 milliards d’emprunts nationaux et les 150 milliards de prêts européens ne sera pas chose aisée. Les Etats membres ne sont d’ailleurs pas tous d’accord sur la marche à suivre. Certains plaident pour un emprunt commun, mais il n’y a pas d’accord entre les 27.

Dans tous les cas, chaque État devra recourir à l’emprunt. Itinera n’y est pas opposé, mais cela doit se faire de manière intelligente. Par exemple, en utilisant “la dette comme un levier pour des investissements stratégiques dans un pilier belge du complexe militaro-industriel européen, plutôt que pour des dépenses courantes telles que les stocks de munitions et d’armes”.

Il faudra aller plus loin, préviennent Marc Devos et Julien De Wit. En mobilisant un Fonds défense européen, voire une banque de défense. Cela pourrait se faire via une extension de la BEI, la Banque européenne d’investissement, et/ou de la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, comme le plaident certains Etats.

Les deux auteurs recommandent à la Belgique d’anticiper cette évolution. Elle peut déjà agir sur le plan national, notamment en utilisant la SFPIM, le bras financier de l’Etat belge. L’accord de gouvernement prévoyait déjà la création d’un fonds Défense, via la SFPIM. Ititnera pense qu’il faut y associer les sociétés publiques d’investissement régional, comme Wallonie Entreprendre et PMV, en Flandre.

Il devrait d’ailleurs y avoir du mouvement du côté wallon, entend-on, pour mobiliser l’industrie de la défense dans le redéploiement économique du sud du pays. WE devrait y jouer un rôle.

Pas touche aux actifs !

Ce qu’Itinera ne recommande pas, c’est de toucher aux participations de l’Etat. C’est une piste qui a souvent été évoquée avec la vente d’actifs au sein d’entreprises comme BNP Paribas, Fortis, Ethias ou encore Proximus.

La vente d’actifs “ne constitue qu’une ressource ponctuelle et prive l’État de revenus futurs, tels que les dividendes“. De plus, “la Belgique a déjà connu un précédent avec la vente des fonds de pension des entreprises publiques, sans que cela garantisse la pérennité des pensions publiques. Une répétition de ce scénario doit être évitée.”

Il en va de même pour les réserves d’or qu’il faut conserver. “L’or est une réserve stratégique et un amortisseur financier. Or, les réserves belges sont déjà à un niveau relativement bas et ont été fortement réduites au cours des dernières décennies.”

En prime, ces stratégies qui visent à vendre nos “bijoux de famille” constituent un frein au changement de mentalité indispensable au sein de la population, écrivent les deux auteurs. “Comme dans le débat sur le vieillissement démographique, cela pourrait créer l’illusion que nous pouvons relever un défi historique sans prendre de décisions fondamentales ni opérer de véritables transformations. Or, cela risquerait de nous faire perdre du temps et de compromettre une opportunité stratégique.”

Une taxe défense ?

Mobiliser le capital privé, faciliter les investissements, emprunter ou booster le fonds Défense… autant de solutions qui doivent intervenir avant d’éventuelles réductions des dépenses ou la levée de nouvelles taxes. “Mais il est évident que des arbitrages entre défense et autres postes budgétaires seront inévitables”, estiment les auteurs.

Pour ce qui est de la fiscalité, Itinera n’exclut pas la création d’une “taxe temporaire de guerre” pour financer la défense à moyen terme. Une taxe qui pourrait être créée dans le cadre de la grande réforme fiscale de l’Arizona.

Au niveau européen, le think tank plaide pour se servir de certaines taxes pour financer le budget défense, comme les droits de douane ou les taxes carbones.

Un sursaut nécessaire

Dans tous les cas, la Belgique ne peut rester immobile face à cet énorme challenge. “Notre comportement a été longtemps toléré”, écrivent Marc Devos et Julien De Wit, mais ce n’est plus le cas. “Notre image est ternie et la Belgique n’est pas prise au sérieux par les autres pays“. Pour preuve, la Belgique n’est pas invitée et “ne pèse pas dans les discussions internationales”.

C’est un problème qui va au-delà de notre propre sécurité. Si elle ne s’active pas, la Belgique risque de rater le coche des milliards d’euros d’investissement qui seront répartis au sein des grands pays. La France, l’Italie et l’Allemagne ne nous attendront pas pour en faire profiter leur propre industrie.

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