1000 milliards de dollars. Ce sont les bénéfices des multinationales qui ont échappé à l’impôt l’an dernier
Alors que pour les particuliers l’échange d’information a permis de réduire l’évasion fiscale, les multinationales elles réussissent toujours à éluder l’impôt en se réfugiant dans les paradis fiscaux, selon l’Observatoire fiscal de l’Union européenne.
L’Observatoire fiscal de l’Union européenne – un laboratoire de recherche créé en 2021 – vient de publier ce lundi son dernier rapport sur l’évasion fiscale. Il résume les travaux menés par plus de 100 chercheurs dans le monde entier, souvent en partenariat avec les administrations fiscales et ses conclusions sont contradictoires. Ce rapport ne s’attache pas à l’analyse de toutes les fraudes fiscales, mais il dépasse aussi la pure notion de fraude pour faire entre dans ses statistiques des mécanismes légaux d’évitement de l’impôt. « Nous nous concentrons sur les questions qui ont été au centre de l’élaboration des politiques internationales au cours de la dernière décennie, à savoir les défis posés par la mondialisation en matière d’imposition des sociétés multinationales et des particuliers fortunés, expliquent les chercheurs. Certaines des pratiques que nous couvrons sont clairement illégales, comme le fait de ne pas déclarer les revenus perçus sur des comptes bancaires offshore. D’autres se situent dans une zone grise juridique entre l’évitement et la fraude, comme le transfert de bénéfices vers des sociétés écrans sans substance économique. D’autres encore sont clairement légales, comme le fait de s’installer à l’étranger pour bénéficier de régimes fiscaux spéciaux conçus pour attirer les personnes fortunées », précise le rapport.
Le grand succès de l’échange d’informations
Alors, quelles sont les conclusions ? Elles sont mitigées.
D’une part, il y a un grand succès. Les chercheurs pointent l’efficacité, depuis dix ans, du système d’échange d’informations mis au point par l’OCDE. Le patrimoine financier que les ménages placent à l’étranger avoisine les 12.000 milliards de dollars, soit 12% du PIB mondial et selon les estimations de l’Observatoire, une fraction estimée à 27%, ou 3.200 milliards de dollars ou 3,2% du PIB mondial, échapperait encore à l’impôt. C’est beaucoup moins qu’avant l’échange d’information, ou la grande partie de ce patrimoine, soit 10% du PIB mondial, évoluait sous le radar des administrations fiscales.
Mais si l’échange d’information est un succès, le système mis au point par l’OCDE et qui vise à instaurer un impôt mimimum sur les multinationales est lui un relatif échec. « L’impôt minimum mondial de 15 % sur les multinationales, qui avait suscité de grands espoirs en 2021, a été considérablement affaibli. Alors qu’il devait initialement augmenter les recettes de l’impôt mondial sur les sociétés de près de 10 %, une liste croissante d’échappatoires a réduit les recettes escomptées d’un facteur 2 (et d’un facteur 3 par rapport à un impôt minimum global de 20 %) », dit le rapport.
Une évasion de 1.000 milliards
« Un montant important de bénéfices des entreprises est en effet toujours transféré vers les paradis fiscaux : 1 000 milliards de dollars en 2022, soit l’équivalent de 35 % de tous les bénéfices enregistrés par les multinationales en dehors du pays où se trouve leur siège social ». Dans l’état actuel des choses, l’impôt minimum mondial ne générerait qu’une fraction des recettes fiscales que l’on avait estimé au moment où il avait été décidé, en 2021. En fait, il générerait moins de 5% des recettes mondiales de l’impôt des sociétés, alors qu’au moment de l’accord, on tablait sur 20%.
Plusieurs causes à cela. La première est que le taux minimum a finalement été abaissé de 20 à 15%. Ensuite, on a permis de pratiquer de grands trous dans le filet. Ainsi, on a permis aux entreprises d’exclure 8 % des actifs et 10 % de la masse salariale de l’assiette de l’impôt minimum la première année. Les bénéfices nationaux des entreprises multinationales américaines sont désormais exonérés de cet impôt minimum. Et les crédits d’impôt remboursable font l’objet d’un traitement favorable (ils ne sont pas considérés comme des faveurs fiscales).
Les pertes de recettes fiscales causées par ce transfert sont considérables : l’équivalent de près de 10 % des recettes fiscales collectées à l’échelle mondiale, estime le rapport. Les multinationales américaines sont responsables d’environ 40 % des transferts de bénéfices au niveau mondial, et les pays d’Europe continentale semblent être les plus touchés par cette évasion.
Le taux d’imposition des milliardaires reste très bas
Un autre échec concerne la fraude ou l’évasion fiscale réalisée au niveau national. Les gens les plus fortuné réussissent encore à bénéficier d’un taux d’imposition bien inférieur à celui des classes moyennes, en raison de l’utilisation fréquente de sociétés écrans pour se soustraire à l’impôt.
Si l’on parle d’impôt sur la fortune mobilière, « dans un pays comme les États-Unis, le taux effectif d’imposition des milliardaires est proche de 0,5 %, alors qu’il est plus proche de 0 % dans un pays comme la France ».
Si l’on parle d’impôt sur le revenu, « en tenant compte de tous les impôts payés à tous les niveaux de gouvernement au-delà des impôts personnels (y compris les impôts sur les sociétés, les taxes sur la consommation, les charges sociales, etc.), les taux d’imposition effectifs des milliardaires semblent nettement inférieurs à ceux de tous les autres groupes de la population », note le rapport.
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