Huit mois après sa mise en place, le plafonnement du pétrole russe a-t-il fait ses preuves?
Outil inédit dans l’attirail des sanctions infligées à la Russie après l’invasion de l’Ukraine, le plafonnement du prix du pétrole brut russe a contribué à modérer les recettes pétrolières de Moscou, mais il entre dans sa véritable phase test alors que les cours montent au-dessus du seuil.
“Les revenus (pétroliers) de la Russie sont inférieurs de près de 50% à ce qu’ils étaient il y a un an“, a rappelé un haut fonctionnaire de l’administration américaine mardi lors d’un point presse à l’ambassade du pays à Londres. Pour mesurer le succès de cette politique, il faut regarder si “les revenus globaux de la Russie souffrent ou non par rapport à un marché sans restrictions”, a-t-il précisé.
Entré en vigueur début décembre 2022 et pensé par les pays du G7, le mécanisme impose que seul le pétrole vendu à un prix égal ou inférieur à 60 dollars le baril puisse continuer à être livré. Au-delà, il est interdit pour les entreprises basées dans les pays de l’UE, du G7 et en Australie de fournir les services permettant le transport maritime (négoce, fret, assurance, armateurs, etc.) du brut russe.
L’idée est de frapper la manne financière de la Russie en plafonnant ses recettes pétrolières, tout en gardant une incitation économique suffisante pour que le pays continue de vendre son pétrole à prix réduit – plutôt que de retirer ses barils du marché, ce qui entrainerait une flambée des cours. “Le plafonnement des prix du G7 a accompli ce pour quoi il avait été conçu: limiter les revenus de la Russie tout en maintenant le pétrole sur le marché“, résume à l’AFP Matthew Holland, analyste chez Energy Aspects.
Depuis la mise en place du plafond, “les volumes d’exportation russes ont été étonnamment stables”, abonde Helge André Martinsen, analyste chez DNB. Et pour inciter les acheteurs à ne pas se détourner du brut russe, Moscou “offrait des contrats de livraison de pétrole à long terme avec des rabais considérables, de l’ordre de 30% en dessous du prix du Brent, à des acheteurs d’Asie du Sud-Est et en Inde, juste en prévision du dépassement plafonnement des prix”, a ajouté le haut fonctionnaire américain.
Sur le versant des cours, depuis décembre, le Brent de la mer du Nord, la référence de l’or noir en Europe, s’est maintenu sous la barre des 90 dollars, quand son équivalent américain, le WTI, n’a pas dépassé les 85 dollars le baril.
Au-dessus du seuil
En huit mois, l’Oural, la variété de référence du pétrole russe, s’est en grande majorité échangé sous le prix fixé des 60 dollars le baril. Mais poussés par les tensions grandissantes sur le marché, notamment liées à de récentes réductions volontaires de plusieurs pays producteurs, dont la Russie, les prix du pétrole sont repartis à la hausse. Mi-juillet, la variété russe de brut a ainsi franchi la limite des 60 dollars, a rapporté la presse financière en se basant sur les données d’Argus Media.
Pour Stephen Innes, analyste chez SPI AM, la réduction de production russe se fait “en représailles à l’égard de l’Occident”, Moscou se doutant que “cela fera grimper les prix du pétrole” en période estivale marquée par une forte demande de carburant aux Etats-Unis, et alors que la Chine remplit à ras bord toutes ses raffineries. “Il pourrait s’agir du premier véritable test du plafonnement des prix”, souligne de son côté Helge André Martinsen. Pour M. Holland, le dépassement du plafond devrait surtout “réduire l’intérêt de certains acheteurs” comme l’Inde, en raison des risques liés aux sanctions.
Par ailleurs, le plafonnement force aussi la Russie à constituer sa propre flotte de tankers pour transporter son pétrole, une autre façon de peser sur les finances de Moscou en l’obligeant à “investir considérablement”, affirme le haut fonctionnaire de l’administration américaine. Il n’a cependant communiqué aucun chiffre sur les flux de pétrole se déplaçant en dehors des contrôles du G7, mentionnant un marché très “opaque”.
Pour Han Tan, analyste chez Exinity, “les véritables objectifs de ce plafonnement des prix, tels que souhaités par l’Occident, ne se réaliseront que si les efforts de guerre de la Russie diminuent de manière significative”.