Thomas Coune (CEO de Mega) : “Nous avons été les messagers de la crise”
Mega, le fournisseur d’énergie liégeois, fête ses 10 ans. L’occasion de revenir sur son évolution, d’évoquer les difficultés rencontrées lors de la crise énergétique, mais aussi ses projets à venir.
Guerre en Ukraine, inflation,…le marché de l’énergie a vécu des moments difficiles ces derniers mois. Le fournisseur d’énergie Mega a aussi été frappé par l’explosion des prix. « La crise n’a eu aucun impact sur notre rentabilité », confie pourtant son CEO Thomas Coune. Elle n’a pas non plus entravé ses projets de développement, notamment aux Pays-Bas. Entretien à bâtons rompus à l’occasion des 10 ans du fournisseur low cost.
TRENDS TENDANCES. Quelle a été votre évolution depuis votre arrivée sur le marché en septembre 2013?
THOMAS COUNE. Nous avons commencé il y a 10 ans, à quatre dans un bureau dans le centre d’affaire Natalis à Liège qui faisait à l’époque 15m2. Notre siège social et notre centre d’appels francophone y sont d’ailleurs toujours basés. Aujourd’hui, nous comptons environ 120 collaborateurs, dont une quarantaine à Louvain, pour une base de clients qui tourne autour du demi-million. Cela fait 10 ans que nous relevons notre mission de challengeur sur les prix, afin d’offrir l’énergie la moins chère aux consommateurs. Pour eux, mais aussi pour nos actionnaires, l’énergie doit rester abordable. Notre positionnement est assez unique sur le marché belge. Nous avons maintenant plus de clients en Flandre qu’en Wallonie et nous venons de nous lancer aux Pays-Bas.
Parlez-nous de ce développement récent chez nos voisins…
Maintenant que le pire de la crise énergétique semble maîtrisé, nous nous engageons pleinement sur ce marché. Il est pour nous plus facile que le marché belge. Les Pays-Bas constituent en effet un seul marché, tandis qu’en Belgique, nous avons trois marchés dans un seul pays, chacun ayant ses décideurs politiques et ses régulateurs, puisque l’énergie relève principalement des compétences régionales. Concrètement, cela signifie que davantage de ressources peuvent être investies dans l’innovation. Nous espérons que ce marché deviendra, à terme, tout aussi important que le marché belge pour Mega.
De nombreuses synergies existent aussi. Nous y disposons d’une équipe néerlandophone, ce qui nous permet d’avoir une équipe centralisée. Nous employons actuellement environ 25 personnes dans nos bureaux de Rotterdam. Mega compte déjà près de 70.000 clients là-bas. Nous souhaitons en détenir entre 100.000 et 150.000 dans notre portefeuille d’ici la fin de l’année prochaine. À terme, nous visons 500.000 contrats néerlandais.
Vous vous profilez comme un fournisseur low cost. Comment arrivez-vous à maîtriser vos coûts dans un marché de l’énergie chahuté ?
Le coeur de notre métier, ce sont les achats d’énergie sur les marchés. Dès le début, nous nous sommes focalisés sur l’internalisation de nos différents métiers : nos services clientèle, financier, marketing, trading, ou encore notre système informatique. Grâce à cette stratégie de maîtrise des coûts, nous avons une structure plus légère qui nous permet de grandir tout en conservant une approche compétitive. Aujourd’hui, nous travaillons avec des marges brutes de fonctionnement qui sont inférieures à la concurrence. C’est vraiment sur les prix les plus bas que nous continuons à nous démarquer.
Comment avez-vous traversé la crise ?
En tant que fournisseur low cost, nous sommes beaucoup plus exposés quand les prix de l’énergie explosent. Notre agilité est une de nos forces, elle nous permet de nous adapter à toute éventualité et de profiter des opportunités du marché. Mais en pleine crise énergétique, notre réactivité nous a aussi joué des tours et nous a valu mauvaise presse.
Nous étions en effet les premiers à adapter nos tarifs pour faire face à l’explosion des coûts d’équilibrage sur le réseau et des coûts d’approvisionnement. Nous avons été les premiers à arrêter les contrats fixes et à proposer des augmentations d’acompte sur les contrats variables. Notre position avant-gardiste a engendré davantage de plaintes de clients. Nous étions en quelque sorte les messagers de la crise, ce qui s’est répercuté négativement sur notre image. C’était un engrenage compliqué à gérer mais qui, aujourd’hui, est derrière nous. Ce qui est rassurant, c’est de voir que le marché nous a suivis à chaque fois.
La crise vous a-t-elle fait perdre des clients ?
Oui, on ne va pas le cacher, on a perdu environ 20% de notre clientèle, soit environ 100 000 clients pendant cette crise. La crise nous a évidemment touchés comme elle a touché tous les autres acteurs du secteur de l’énergie. L’explosion des prix nous a tous pris à la gorge. Au plus fort de la crise, les factures d’achat explosaient avec les volumes et l’augmentation des prix. Les factures d’acompte des clients ne suffisaient plus à couvrir la consommation. Il a fallu préfinancer des sommes parfois astronomiques. On s’est retrouvés dans un contexte absolument absurde qui a engendré des besoins de financement démesurés auprès d’institutions bancaires ou de partenaires financiers. Heureusement, nous avons toujours pu compter sur la confiance et le soutien de nos partenaires financiers avant et pendant la crise.
Oui, on ne va pas le cacher, on a perdu des clients pendant cette crise.
Des rumeurs de faillite ont circulé… Vous avez quand même subi une perte de 5 millions d’euros en 2022 ? Comment vont vos finances aujourd’hui ?
Perdre des clients pour une organisation comme la nôtre, qui maîtrise assez bien ses coûts, ne nous a pas empêchés d’avoir une rentabilité opérationnelle. Mega a toujours eu des fonds propres positifs. La crise n’a eu aucun impact sur notre rentabilité parce que, in fine, le client a payé sa consommation. Même en 2021, nous avons dégagé un bénéfice financier. Nous sommes de nouveau en croissance depuis janvier 2023. Et cette croissance est stable et rapide. On estime revenir dans les six prochains mois au niveau de clients d’avant la crise.
Vous avez été un des premiers fournisseurs à imposer un surcoût tarifaire aux propriétaires de panneaux solaires. Cela vous a aussi valu une volée de bois vert. Pourquoi avoir fait ce choix impopulaire ?
Je dois avouer que le timing était vraiment mauvais (en août 2022, en pleine explosion des prix de l’énergie, Ndlr) mais c’était un dispositif qu’on préparait depuis un bout de temps. C’est un choix commercial. Le constat est le même chez tous les fournisseurs. Ce forfait doit couvrir les frais d’équilibrage liés à une installation photovoltaïque. Le propriétaire de panneaux solaires qui a un compteur qui tourne à l’envers – et c’est le cas principalement en Wallonie – engendre d’importants surcoûts pour le fournisseur. Le souci, c’est qu’ils ne sont pas facturables.
Etre fournisseur low cost revêt aussi une dimension sociale. Mutualiser les coûts sur tous nos clients signifie favoriser une minorité d’entre eux, les 20 % qui ont des panneaux solaires. Et cela au détriment de ceux qui n’ont pas les moyens d’en installer. On a donc voulu appliquer les tarifs les plus justes. On constate que peu de clients nous ont quittés à cause de ce forfait. Parce qu’il est compensé, entre autres, par nos prix très compétitifs du gaz et de l’électricité.
Il faudrait vraiment un hiver extrêmement rude combiné à des ruptures d’approvisionnement pour que les prix augmentent à nouveau fortement.”
Vous déclarez que ce forfait disparaîtra lorsqu’il n’y aura plus de compteurs qui tourneront à l’envers. En quoi le compteur intelligent est-il crucial dans la transition énergétique ?
Avec le compteur « qui tourne à l’envers », les citoyens ne sont pas forcément incités à autoconsommer au bon moment. Ce problème peut se régler en installant un compteur intelligent. Il incite les clients à mieux gérer leur autoconsommation et à utiliser leur énergie quand elle est au prix le plus bas.
Vous critiquez la lenteur du développement du compteur intelligent en Wallonie…
Je ne vais pas qualifier cette situation de « dramatique » car c’est un terme un peu trop fort, mais elle devient insoutenable à l’heure de la transition énergétique, à l’ère des mutations des comportements de consommation, alors que les voitures électriques se multiplient et que de plus en plus de batteries doivent être chargées… La lenteur d’installation des compteurs intelligents au sein des ménages est un réel frein en Wallonie. En tant que fournisseur, nous n’avons aucun impact là-dessus.
Vous êtes un distributeur, vous ne produisez pas d’énergie. Quelle est votre politique en termes de durabilité ?
En tant que « détaillant » en énergie, nous avons une image neutre, dans le sens où nous n’avons pas d’activité polluante. Nous avons toujours privilégié au maximum des approvisionnements auprès de producteurs locaux. Nous multiplions les sources directes d’énergie verte, via des éoliennes ou des champs de panneaux solaires. Nous avons, par exemple, depuis des années un contrat avec une éolienne de Modave. Aux Pays-Bas, nous avons aussi cette philosophie de production locale d’énergie, principalement solaire et éolienne. Ces contrats nous évitent d’acheter sur le marché belge un mix énergétique composé en majorité de nucléaire et d’électricité produite à partir de gaz.
La prochaine étape serait d’investir davantage dans notre production propre. Avec nos actionnaires, nous avons déjà investi dans une éolienne il y a une dizaine d’années. Ces investissements sont passés un peu au second plan dans un contexte de crise, mais ils restent une priorité.
La prochaine étape serait d’investir davantage dans notre production propre.
Pour avoir un impact sur notre neutralité carbone, nous achetons aussi des labels de garantie d’origine verte. C’est un système de compensation. Pour chaque mégawatt-heure acheté qui est produit par des sources d’énergie grise, nous pouvons le verdir en achetant un certificat obtenu par tout producteur vert en Europe.
Vous proposez à nouveau des contrats fixes. Le marché s’est calmé, le prix du gaz a baissé. Faut-il passer au contrat fixe avant l’hiver ?
Les contrats fixes sont de retour, on n’est plus sur des contrats à 3 ans, mais plutôt sur un an. On vit une période de stabilité depuis 6 mois. Le prix du gaz a bien baissé, entre mars et aujourd’hui. Il tourne autour de 50 euros le mégawattheure. Maintenant, est-ce qu’il faut opter pour un contrat fixe ou un contrat variable ? Une réponse tranchée est difficile à donner. Elle varie en fonction du profil de chaque client. Il faut savoir que les primes de risque qui sont incluses dans les contrats fixes actuels sont forcément beaucoup plus importantes qu’avant la crise, parce qu’elles sont basées sur la volatilité qu’on a connue. Il ne faut pas perdre de vue que nous restons dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe, tout peut encore arriver.
Il ne faut pas perdre de vue que nous restons dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe, tout peut encore arriver.
Comment s’annonce d’ailleurs cet hiver ?
Nous sommes optimistes parce que la situation du marché de l’énergie est beaucoup plus équilibrée. Nous nous sommes quasiment totalement affranchis du gaz russe, qui ne représente plus que 5% de l’approvisionnement. Le flux est stable avec des partenaires solides telle la Norvège. Sur le marché du gaz liquéfié, on a des partenaires sérieux comme les Etats-Unis, l’Australie et le Qatar.
Les stocks sont aussi pleins à 94%, alors que les deux années précédentes ils étaient remplis aux alentours des 70% et, de surcroît, dans un contexte géopolitique beaucoup plus compliqué. Le niveau du stock européen est comparable à 2019-2020 qui était une période où les prix étaient extrêmement bas. Nous observons aussi une réduction de la consommation des ménages de 15 à 20% depuis l’été dernier. Les gens ont tiré des leçons de la crise, ils ont changé leurs habitudes. Cette tendance perdure. Je n’ai pas de boule de cristal, mais il faudrait vraiment un hiver extrêmement rude combiné à des ruptures d’approvisionnement pour que les prix augmentent à nouveau fortement.
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