Ørsted, un géant de l’énergie verte, annule son projet d’usine de carburant renouvelable

This handout photograph made available by German start-up Ineratec on April 18, 2023 shows samples of synthetic fuels (e-fuels) made of hydrogen and CO2, in Karlsruhe. - Synthetic fuel, also known as electrofuel or e-fuel (Power to Liquid, PtL) is created by combining hydrogen produced from low-carbon sources like nuclear or renewable energy, and carbon dioxide (CO2) extracted from the air or from industrial exhaust. (Photo by Handout / Ineratec Gmbh / AFP) / RESTRICTED TO EDITORIAL USE - MANDATORY CREDIT "AFP PHOTO / HO / INERATEC Gmbh" - NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS - DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS

Ørsted, géant de l’énergie verte, a annulé son projet de construction d’une usine de carburant renouvelable. Qu’est-ce que cela veut dire pour le secteur et la transition énergétique ?

Le 15 août, Ørsted, entreprise danoise et numéro 1 mondial de l’éolien off-shore, a annulé son projet de construction d’usine de production de carburant synthétique, e-méthanol. Alors que la décision finale d’investissement avait déjà été prise, et que les travaux avaient même déjà commencé.

“Le marché des biocarburants liquides en Europe se développe plus lentement que prévu, et nous avons pris la décision stratégique de réduire la priorité de nos efforts sur ce marché et de cesser le développement de FlagshipONE. Nous poursuivrons nos efforts de développement dans le domaine de l’hydrogène renouvelable, qui est essentiel pour la décarbonation des industries clés en Europe et qui est plus proche de notre cœur de métier”, s’est justifié l’entreprise. L’usine, située en Suède, devait produire plus de 50.000 tonnes d’e-méthanol par an, mais ne trouve donc pas de clients pour ces quantités.

Un doute sur l’avenir

Une annonce choc, qui a poussé de nombreux experts et observateurs à se demander si ce carburant synthétique a encore un avenir. Vu que même un des acteurs clés de l’énergie verte jette l’éponge.

Le carburant synthétique est en fait un mélange d’hydrogène et de carbone. Il est une piste pour décarboner les secteurs où l’électrification semble encore compliquée, comme l’aviation ou le transport maritime. L’opération doit être neutre en émissions, à terme : l’hydrogène, vert, est produit avec de l’énergie renouvelable (éolien ou solaire) et le carbone est capté dans l’air ou lors de la production d’autres éléments. Les avions ou porte-conteneurs n’émettent ainsi pas de nouvelles particules de CO2 dans l’atmosphère et leurs émissions sont récupérées et réutilisées. Pour certains, c’est une utopie, mais c’est en tout cas l’objectif et l’enjeu de ce carburant.

“Pour nous, l’annulation elle-même n’est pas la plus grande surprise, car nous avons déjà montré que le carburant à base d’hydrogène est beaucoup plus cher que le carburant fossile dans tous les secteurs où il est utilisé. Dans l’aviation et le transport maritime, il pourrait être jusqu’à 10 fois plus cher. Ørsted est largement considérée comme l’entreprise énergétique la plus verte au monde. Le fait que même cette entreprise ait du mal à réaliser l’investissement est le signe le plus clair de la complexité de l’étude de rentabilité du carburant synthétique”, écrivent les économistes d’ING dans un rapport publié ce mardi. C’est aussi “signe on ne peut plus clair d’un parcours semé d’embûches qui attend les carburants synthétiques dans l’aviation et le transport maritime.”

“Un mois plus tôt, Shell a décidé d’arrêter la construction d’une usine de biodiesel à Rotterdam. Cependant, le PDG de Shell, Wael Sawan, s’est montré très ouvert quant à l’objectif de l’entreprise d’accroître la valeur actionnariale et de se débarrasser des projets d’énergie renouvelable peu rentables”, comparent-ils. D’autres projets ont donc déjà été annulés, mais c’est celui-ci qui a le plus d’ampleur.

Leçons

Qu’est-ce qu’on apprend de ceci, se demandent les économistes. La première chose, qui n’en devient que plus claire, est que la transition coûte de l’argent. L’autre, c’est qu’il faut mieux prévoir cela dans les études d’opportunité et de rentabilité : “Une leçon importante pour toutes les personnes impliquées dans la transition vers une économie net zéro est que la viabilité économique est souvent négligée dans les études de rentabilité. C’est le cas dans de nombreuses stratégies de transition, tant au niveau sectoriel qu’au niveau de l’entreprise. En règle générale, ces plans présentent la transition comme une progression rapide et sans heurts, vers les années 2040 ou 2050. Cependant, le parcours réel s’avère plus tumultueux que prévu”, notent les économistes.

La transition se fait par étapes. La première étape, c’est l’invention d’un carburant alternatif à l’énergie fossile, de le développer et de le tester. Cette étape est accomplie. La deuxième, c’est d’amener ce produit sur le marché et faire en sorte que ceux qui suivent la tendance et adoptent le carburant soient récompensés, et que les retardataires soient punis. Mais c’est là que cela coince. Il serait préoccupant que même des leaders du marché comme Ørsted n’arrivent pas à passer ce cap. Voilà un autre élément à en retenir.

Mais tout ne serait pas à jeter, il reste des perspectives positives pour l’e-carburant. “Heureusement, des entreprises comme Maersk forment activement des alliances pour étendre l’utilisation du méthanol et de l’ammoniac comme carburant. En outre, les commandes précédentes de navires bicarburants commencent à être opérationnelles, ce qui est crucial à ce stade de la transition,” poursuit ING.

Une correction plus qu’un abandon ?

La question est maintenant de savoir ce que cette décision d’Ørsted a comme impact à plus long terme. Va-t-elle appeler une plus grande tendance d’annulations de projets ? Cela pourrait alors mettre en péril le passage à la troisième phase, qui est l’expansion du secteur et les soutiens publics. Puis le passage à la quatrième phase, qui est que le carburant renouvelable devient le “nouveau normal”. Mais les économistes ne sont pas pessimistes à ce point, écrivent-ils. Il pourrait surtout s’agir d’un retour en arrière pour mieux repartir en avant, en résumé.

“Les effets à long terme de ces récentes annonces restent à voir. S’il s’agit simplement d’une correction de routine, alignant les attentes exagérées sur la réalité – un processus souvent ignoré – nous restons optimistes. En fait, ce recalibrage pourrait être bénéfique s’il redirige l’attention des décideurs politiques et des cadres vers des politiques qui soutiennent des actions tangibles plutôt que de fixer des niveaux d’ambition plus élevés. Le fait de mettre davantage l’accent sur des politiques de soutien à des études de rentabilité viables, et de les soutenir davantage, pourrait constituer un soulagement bienvenu. Toutefois, on ne peut écarter la possibilité que cela indique une tendance émergente et inquiétante, potentiellement annonciatrice d’autres développements et reculs négatifs. Cette situation n’est pas sans précédent ; après tout, le parcours initial des panneaux solaires et des éoliennes a également été semé d’embûches”, réfléchissent-ils.

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