Pourquoi la Belgique investit dans des centrales au gaz ? “C’est un mal nécessaire”

La centrale TGV d’Engie à Flémalle entrera en service le mois prochain (cliché pris sur le chantier en août dernier). © Belgaimage

Épaulées par l’État belge, Engie et Luminus construisent des centrales au gaz pour compenser l’arrêt de certains réacteurs nucléaires. Une étape intermédiaire incontournable, selon le professeur à l’École polytechnique de Louvain, Hervé Jeanmart.

Lors de la précédente législature, le gouvernement fédéral avait instauré le mécanisme de rémunération de la capacité (CRM). Le principe ? Offrir un soutien financier aux producteurs, en échange de la garantie de disposer d’électricité au moment où le réseau en a le plus besoin. Ce mécanisme avait vu le jour pour contrebalancer la sortie progressive du nucléaire. C’est dans ce contexte que des projets de construction de centrales TGV (pour turbine-gaz-vapeur) sur le territoire belge ont été approuvés.

En novembre, le ruban rouge devait être coupé pour célébrer la mise en service de deux unités : ce sera bien le cas pour la centrale construite par Engie à Flémalle, ce ne le sera pas pour la centrale construite par Luminus à Seraing, qui sera finalement opérationnelle en octobre 2026.

Pourquoi des centrales au gaz ?

Si Luminus n’a pas dévoilé les raisons de ce report, son porte-parole évoque “le rôle indispensable des centrales au gaz flexibles dans le système électrique belge, comme alliées des énergies renouvelables”. Son homologue d’Engie bombe le torse : “La centrale de Flémalle est l’une des plus efficaces au monde, avec un rendement électrique net de 63%, ce qui représente une économie de plus ou moins 20% de consommation de gaz par rapport aux centrales à gaz existantes.”

Comment expliquer que les autorités soutiennent des projets liés à l’énergie fossile, alors que la Belgique s’est engagée, comme les autres pays de l’Union européenne, sur une trajectoire de neutralité carbone en 2050 ? “Pour le moment, on ne peut pas se passer du gaz, ce n’est pas positif, mais c’est un mal nécessaire”, commente Hervé Jeanmart, professeur à l’École polytechnique de Louvain (EPL). “Le gaz est une énergie fossile de transition, sans doute celle qui restera le plus longtemps dans le mix belge”, complète le spécialiste en systèmes énergétiques et en machines thermiques.

Une étape intermédiaire

Hervé Jeanmart estime que cet apport est incontournable, alors que l’on se dirige vers une société de plus en plus électrifiée. Il précise que, dans ce cadre, les centrales TGV incarnent la meilleure option pour transformer le gaz en électricité.

La mise en service de ces centrales au gaz incarne une étape intermédiaire dans le processus de décarbonation de l’électricité belge, indispensable pour compenser l’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires intervenu ces dernières années. L’électricité produite par les centrales au gaz s’ajoute à celle issue des énergies renouvelables, qui ne suffit pas à assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique de notre pays jusqu’ici. L’électricité produite via ces centrales au gaz doit permettre de réduire les importations en provenance de la France (plus de 1.000 GWh en septembre dernier, selon le SPF Économie), des Pays-Bas et de l’Allemagne.

“Les centrales au gaz sont essentielles pour produire de l’électricité en hiver et garder les lumières allumées pendant les semaines sans soleil et sans vent. Elles contribuent également à la flexibilité exigée par le réseau électrique pour en assurer le bon fonctionnement”, indique Luminus.

Un investissement peu risqué

L’investissement financier consenti pour la construction de centrales au gaz TGV est moindre que pour la construction de réacteurs nucléaires. Cet investissement privé – qui atteint 650 millions d’euros dans le cas de la centrale de Flémalle – est soutenu par un incitant public, le CRM (mécanisme de rémunération de la capacité). D’une durée de 15 ans, le contrat offre à Engie et Luminus la garantie d’un financement stable et pluriannuel, permettant de compenser des prix trop bas sur le marché. Le CRM inclut une obligation de remboursement de ces entreprises à l’État, en cas de prix trop hauts, pour éviter que celles-ci ne fassent des profits excessifs. D’après les données de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz en Belgique (CREG), le CRM s’élève à près de 183 millions d’euros pour 2025-2026, à répercuter sur les factures des ménages et des entreprises.

“Les retombées économiques proviennent donc de la rémunération de capacité perçue d’Elia (le gestionnaire du réseau électrique, ndlr) et par ses prévisions de marge sur la vente d’électricité produite par la centrale”, résume le porte-parole d’Engie Belgique. “Le coût de ces centrales au gaz pourra être amorti sur 20 ans, si le prix du gaz est raisonnable”, relève Hervé Jeanmart.

Une vision à moyen terme

Que se passera-t-il quand le contrat passé entre l’État belge et les fournisseurs d’énergie prendra fin, dans 15 ans ? Luminus et Engie sont conscients que la durée de vie de leurs centrales risque d’être limitée. “Les centrales à gaz sont amenées à tourner un nombre d’heures réduites de par la production croissante des énergies renouvelables”, précise le porte-parole de Luminus. “Le phasing out du gaz adviendra entre 2040 et 2045, pour se diriger vers le 100% renouvelable en 2050″, reprend Hervé Jeanmart.

Une partie des centrales devront être démantelées. Une opération compliquée ? “Beaucoup moins que pour les centrales nucléaires, répond le professeur à l’École polytechnique de Louvain. Il n’y a pas d’éléments contaminés, c’est comme si l’on démontait le réacteur d’un avion ou, toutes proportions gardées, une chaudière.”

Des centrales au gaz “durables”

Les centrales au gaz les plus performantes pourraient continuer à fournir de l’électricité, mais de manière durable. D’après Engie, la centrale de Flémalle a été conçue pour pouvoir s’affranchir du fossile. “Elle pourra à terme fonctionner avec une part d’hydrogène vert ou gaz de synthèse issu de la combinaison d’hydrogène vert et de CO2 récupéré.”

Une manière de s’assurer de pouvoir compter sur une autre source d’énergie que celle issue des panneaux solaires et de l’éolien. Car, même si l’investissement dans le renouvelable s’accélère, Hervé Jeanmart juge que la Belgique restera dépendante des importations d’électricité après 2050, “à moins qu’on ne consacre l’ensemble des surfaces disponibles aux panneaux solaires et aux éoliennes”.

Nathan Scheirlinckx

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