Les réacteurs à sels fondus, une énergie nucléaire moins chère et surtout plus sûre
Cette semaine, l’organisme canadien, qui réglemente la sécurité nucléaire, a achevé sa première analyse, en vue d’approbation d’un nouveau réacteur à sels fondus (MSR – Molten Salt Reactor). Depuis des décennies, les réacteurs à sels fondus sont considérés comme des innovations potentiellement révolutionnaires dans le monde de la technologie nucléaire. Ils permettraient, par exemple, de prévenir d’un risque de fusion. Mais qu’est-ce qui rend cette technologie si prometteuse ? On a posé la question à Nathal Severijns, physicien nucléaire à la KU Leuven.
Le concept de réacteur à sels fondus intégral (Integral Molten Salt Reactor, IMSR en anglais) du constructeur Terrestrial Energy a passé avec succès l’examen préalable à l’octroi d’une licence par la Commission canadienne de sécurité nucléaire. Les Canadiens investissent énormément dans cette innovation, réputée moins chère et plus sûre que la technologie nucléaire “standard”.
Alors que les réacteurs nucléaires standard utilisent l’uranium, un combustible solide, la technologie MSR utilise un combustible liquide, souvent de l’uranium, mais cela peut être aussi de plus en plus souvent du thorium, dissous dans du sel fondu à des températures de plus de 600 degrés. Le sel agit dès lors comme agent de refroidissement : il n’est donc pas nécessaire d’utiliser de l’eau comme c’est le cas dans les réacteurs actuels.
Pourquoi la technologie MSR est-elle considérée comme une innovation si prometteuse ?
NATHAL SEVERIJNS. “Le réacteur MSR dans son ensemble est intéressant parce qu’il solutionne certains problèmes qu’ont rencontrés les grands réacteurs actuels.
En raison des catastrophes de Fukushima et de Tchernobyl, les exigences en matière de sécurité pour les grands réacteurs ont été renforcées au point qu’il est extrêmement difficile d’en construire de nouveaux. Ces exigences sont très complexes, et si on les augmente encore, le temps pour la construction d’un réacteur, et les coûts, augmentent sérieusement (prenez l’exemple de ce nouveau réacteur nucléaire en Finlande, opérationnel après plus de 18 ans, ndlr). En Europe, le problème est que nous n’avons pas construit de nouveau réacteur depuis 30 ans. Ainsi, il y a aujourd’hui une perte de connaissances effectives (savoir-faire) qui joue contre nous. En Chine, par exemple, on construit en permanence, et les nouveaux réacteurs européens et américains y sont déjà opérationnels.
Mais revenons aux avantages : les réacteurs MSR sont des réacteurs plus petits, et donc beaucoup plus intéressants pour cette seule raison. Si vous construisez des réacteurs plus petits, l’avantage est que chaque réacteur n’est pas un prototype. Il est ainsi possible d’améliorer sa technologie. Avec ces petits réacteurs, les inconvénients de la première version disparaissent dès la cinquième. De plus, si vous fabriquez un réacteur plus petit, il comporte moins de composants et donc moins d’éléments susceptibles de tomber en panne”.
Pas de fusion
Quels sont les avantages économiques de travailler avec des sels fondus ?
SEVERIJNS. “Les sels sont fondus à une température comprise entre 600 et 700 degrés, c’est chaud et on peut donc utiliser cette chaleur à différentes fins. Vous pouvez l’envoyer vers un site industriel proche, par exemple une entreprise chimique qui en a besoin.
Il est également possible d’exploiter cette chaleur, générée par la combustion du sel, afin d’utiliser le réacteur comme une batterie. S’il y a beaucoup de vent et de soleil pendant la journée, vous faites fonctionner votre réacteur nucléaire, mais vous utilisez alors la chaleur de votre réacteur pour chauffer et faire fondre le sel, stocké juste à côté. Ce sel reste chaud pendant 10 à 12 heures. Lorsque le vent tombe ou qu’il n’y a plus de soleil, vous pouvez utiliser la chaleur de cette réserve de sel fondu, qui se trouve sur le côté, pour continuer à produire de la vapeur et faire tourner une turbine classique.
En fait, un tel réacteur à sels fondus peut être utilisé de trois manières : pour convertir immédiatement la chaleur de la fission en électricité, pour envoyer de la chaleur vers l’industrie et pour servir de batterie. Le réacteur fonctionne en continu, il est toujours possible de faire quelque chose avec la chaleur issue de la fission et cela peut parfaitement fonctionner avec les énergies renouvelables.
Le sel présente également un meilleur bilan en matière de sécurité.
SEVERIJNS. “Il n’y a pas de risque de fusion, car dans ces réacteurs à sels fondus, le combustible (généralement de l’uranium légèrement enrichi) se présente sous forme liquide, dissous dans du sel fondu. Le combustible ne peut donc pas fondre puisqu’il est déjà liquide. En cas de fuite, le sel et le combustible qui s’échappent se solidifient rapidement et forment une roche. Cette roche est plus facile à décontaminer que l’eau ou la vapeur d’eau radioactive libérée en cas de fuite dans un réacteur sous pression. Il n’est donc pas possible d’avoir un nuage radioactif, comme à Tchernobyl.”.
Obstacle
Mais il existe un obstacle majeur : “Le problème du réacteur à sels fondus est qu’il implique des températures élevées et du sel”, explique Joost van den Broek, du groupe de conseil nucléaire NRG, sur le site technologique Tweakers. “Cela signifie qu’il y a de la corrosion et des contraintes dues à celle-ci, ce qui exige beaucoup des matériaux.
SEVERIJNS. “Tous ceux qui travaillent avec des sels fondus sont confrontés à ce problème de la corrosion. Terrestrial le résout en renvoyant le module en usine après sept ans. Le fabricant vient chercher le module et un nouveau module est mis à sa place, l’usine y apportant des modifications.
“Les sels fondus commencent à réagir avec le chrome, qui est attaqué chimiquement. La solution utilisée par la plupart des fabricants de réacteurs consiste à appliquer une couche de zirconium sur les métaux en contact avec le sel. Cette couche fait office de protection entre le sel et l’acier qui serait attaqué par celui-ci. Mais d’autres recherches sont actuellement en cours afin de trouver de nouveaux moyens d’arrêter cette corrosion”.
Conception intégrée
La réussite de cette analyse préalable à l’octroi d’une licence est-ce une grande nouvelle pour le monde ou plutôt une infime étape vers une exploitation commerciale ?
SEVERIJNS. “C’est une bonne chose que cette deuxième phase ait été franchie, même s’il reste encore une troisième phase en principe. Il s’agit d’une étape importante, car c’est la première fois qu’une technologie de réacteur de « génération 4 » franchit cette étape. Une étape qui le met sur la voie d’une approbation pour la construction effective du réacteur. En substance, l’Autorité de sécurité canadienne déclare qu’il n’y a pas de problème essentiel sur le plan technologique. Elle demande plus de détails, notamment en ce qui concerne les aspects liés à la sécurité. Mais le prototype du réacteur est largement approuvé. Il est possible qu’elle demande plus de détails sur certains aspects de sa technologie. Mais c’est la première fois que la technologie des sels fondus va aussi loin.”
Qu’est-ce qui rend cette “IMSR” si spéciale ?
SEVERIJNS. “Il s’agit d’une conception intégrée. Cela signifie que la cuve du réacteur, le régulateur de pression et l’échangeur de chaleur se trouvent dans une seule et même cuve. Dans les réacteurs actuels, tous ces éléments sont séparés. Dans ces mini-réacteurs nucléaires, ces composants sont généralement intégrés dans la cuve même du réacteur, qui mesure généralement 5 mètres de large et 15 mètres de haut. Par conséquent, il y a beaucoup moins de connexions entre ces différents composants. Il y a donc moins de problèmes, moins de tubes susceptibles de se fissurer. C’est un énorme avantage de ces réacteurs MSR”.
Cette technologie fait-elle également l’objet de recherches chez nous ? Où en est-on ?
SEVERIJNS. “Un projet à long terme est en cours en Europe dans divers instituts de recherche, bien qu’il n’y ait pas de projet de développer un réacteur avant 2050. Entre-temps, des développements technologiques importants sont en cours pour résoudre le problème de la corrosion. En Belgique, le centre de recherche SCK-CEN développe un réacteur qui utilise un mélange de plomb et de bismuth en fusion au lieu de sels fondus. Il s’agit de métaux lourds qui sont également fondus, et ayant la même fonction que le sel dans le réacteur de Terrestrial ou celui de Moltex. Il présente également les mêmes avantages que les réacteurs de Terrestrial ou de Moltex, de sorte qu’il peut également limiter les déchets nucléaires et même les utiliser comme combustible. Ainsi, on peut résoudre par la même occasion la problématique des déchets nucléaires”.
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