Le gaz deviendra-t-il moins cher grâce à l’excédent de GNL ?

Un méthanier de GNL. © GETTY

Le marché du gaz semble être à un carrefour. Alors que les hivers précédents, l’Europe observait avec une certaine nervosité ses stocks de gaz, certains analystes énergétiques prévoient aujourd’hui un excédent structurel. De nouveaux projets aux États-Unis, au Qatar et en Australie, ainsi que des dizaines de méthaniers supplémentaires, pourraient mettre fin à la pénurie de gaz naturel liquéfié (GNL). Une bonne nouvelle, mais est-ce que cela garantit pour autant une énergie moins chère pour les ménages et les entreprises belges ?

Selon l’économiste Johan Albrecht (UGent et Itinera), il est encore trop tôt pour parler d’une tendance structurelle. « Cette affirmation, que nous passons de la rareté à l’abondance, doit encore être confrontée à la réalité. Il est vrai que le Qatar et les États-Unis ont investi massivement dans de nouvelles capacités d’exportation et que l’Europe a construit davantage de terminaux de GNL. Mais si le prix devait chuter fortement, une partie de l’offre pourrait être retirée volontairement du marché. »

De plus, l’Asie joue à nouveau un rôle prépondérant. Pendant la crise énergétique de 2022-2023, des pays comme le Pakistan, l’Indonésie et le Bangladesh ont dû réduire drastiquement leur consommation de gaz. « Si les prix baissent maintenant, ils reviendront sur le marché », explique Albrecht. « Nous nous concentrons trop souvent uniquement sur l’Europe, alors que la demande mondiale se rétablit plus rapidement qu’on ne le pense. »

Il est indéniable que les prix du gaz ont chuté depuis l’an dernier. Les stocks européens sont bien remplis et les prévisions hivernales sont clémentes. Toutefois, Albrecht avertit que cette accalmie reste fragile. « La pression sur le marché est moindre, mais cet équilibre reste précaire. Si le prix chute fortement, la demande asiatique repartira à la hausse. Et si ce n’est pas le cas, les producteurs pourront retarder le lancement de nouveaux projets. » Autrement dit, la détente du marché peut se retourner rapidement si l’économie mondiale ou la météo déçoivent.

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Marché en surchauffe

Les Européens paient encore plus cher leur gaz que les Américains, faute d’alternatives. « Nous ne pouvons pas simplement cesser d’acheter du gaz. La demande d’électricité augmente fortement en raison de l’électrification des transports, des centres de données et des pompes à chaleur. Les énergies renouvelables ne suivent pas ce rythme, ce qui augmente la demande pour les centrales à gaz. »

Selon Johan Albrecht, le marché de ces centrales est actuellement en surchauffe. « Il n’existe que quelques grands fournisseurs, comme Mitsubishi et Siemens, et leurs carnets de commandes sont pleins. Aujourd’hui, quiconque commande une centrale à gaz doit attendre trois à quatre ans, voire plus. Cela montre que le monde continue de prévoir une demande croissante en gaz. Autrement, ces centrales ne seraient tout simplement pas commandées. » Ce délai d’attente souligne, selon lui, que le gaz reste une composante durable du mix énergétique. « L’histoire du gaz n’est pas terminée, même pas en 2030, l’année cible pour la transition énergétique européenne. »

Les stocks de gaz européens dépassent les 80 %, et sont donc bien avancés pour l’hiver. La Belgique en bénéficie également : « Le stockage est coordonné au niveau européen. Chaque pays n’a pas à constituer d’énormes réserves. Le véritable test ne viendra qu’en janvier, lorsque l’hiver se fera réellement sentir. »

Le prix du gaz est déterminé sur les marchés de gros, où les acteurs européens opèrent via des contrats à terme et au comptant. En période de tension, les prix augmentent dans toute l’Europe ; en cas d’abondance, ils chutent simultanément.

Les ménages belges ressentent ces fluctuations uniquement s’ils ont un contrat à tarif variable – les tarifs fixes amortissent les variations.

Une illusion de sécurité

Selon le dernier World LNG Report de l’International Gas Union, la flotte mondiale de méthaniers GNL devrait croître de près de 20 %. Cela devrait réduire les goulets d’étranglement liés au transport et atténuer les variations de prix. Albrecht nuance toutefois : « Plus de capacité est quelque chose de  positif, mais cela reste un marché dominé par des traders cherchant le profit. Des navires supplémentaires ne garantissent pas des prix plus bas. Pendant les années de crise 2022 et 2023, les traders ont réalisé des fortunes. »

Une capacité de transport accrue ne signifie donc pas automatiquement plus de stabilité, car le jeu entre offre, demande et spéculation continue de dominer.

Le fait que l’Europe mise aujourd’hui fortement sur le gaz en provenance du Qatar et des États-Unis n’est pas, selon Albrecht, une préférence volontaire, mais une nécessité. « Nous avons peu de choix. La Norvège produit déjà à pleine capacité et ne peut pas doubler ses exportations. Même si nous préférerions travailler avec des partenaires européens, nous restons dépendants de pays comme le Qatar. »

Une normalisation du prix du gaz est une bonne nouvelle pour les consommateurs, mais comporte aussi une ombre. « Si le gaz devient moins cher, une partie de l’incitant à économiser disparaît… Les ménages prêtent déjà moins attention à leur consommation qu’en 2022. C’est humain. Mais nos entreprises restent vulnérables : elles doivent concurrencer des régions où le gaz est structurellement moins cher, comme les États-Unis et l’Asie. » Selon lui, le véritable risque n’est pas la rareté du gaz, mais l’autosatisfaction de l’Europe une fois la pression de la crise retombée.

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Avertissement

L’analyste énergétique Mathieu Blondeel (Vrije Universiteit Amsterdam) prévoit également que le monde sera bientôt confronté à un excédent de gaz naturel liquéfié (GNL). « Un surplus d’offres est clairement en vue », affirme-t-il. « Même Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, l’a récemment souligné. » Bien que son entreprise mise elle-même sur l’extension de la capacité de GNL sur la côte américaine du Golfe, il reconnaît que tous les projets prévus ne trouveront pas nécessairement le financement ou les acheteurs à long terme.

Blondeel cite le récent suivi du GNL par l’Agence internationale de l’énergie, qui cartographie l’ampleur des projets d’exportation américains. « Ce qui est actuellement en préparation est franchement impressionnant. Mais je crains que cela ne conduise pas à des prix structurellement plus bas à court terme. Tant qu’une grande partie du GNL américain est vendue sur les marchés au comptant, les prix restent volatils. Les contrats à long terme, comme les récents accords de Venture Global avec SEFE et ENI, peuvent apporter un peu de stabilité à terme, mais il s’agit toujours d’un marché à forte volatilité. »

Du prix record à la normalisation

Le prix du gaz en Europe oscille aujourd’hui autour de 33 euros par mégawattheure. À titre de comparaison, lors de la crise énergétique de 2022, le prix TTF avait culminé à 343 euros par mégawattheure, soit plus de dix fois plus.

Le marché s’est depuis calmé grâce à des stocks pleins, des hivers doux et l’essor du gaz liquéfié en provenance des États-Unis et du Qatar. Toutefois, le prix reste bien au-dessus de la moyenne historique d’avant 2021, lorsque le gaz se négociait généralement entre 15 et 25 euros par mégawattheure.

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