La politique de l’hydrogène brasse des milliards et beaucoup d’air, mais…

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La Cour des Comptes européenne s’est penchée sur les efforts réalisés pour faire de l’Europe une économie de l’hydrogène vert. Résultat, on a dépensé pas mal d’argent, mais sans vraiment réfléchir à un plan d’ensemble et les objectifs fixés sont inatteignables.

C’était un des thèmes phares du « Green Deal », le plan européen destiné à développer une économie européenne décarbonée : créer une filière de l’hydrogène vert, qui devait alimenter en énergie la sidérurgie, la chimie, le transport lourd et tous ces secteurs fortement émetteurs de carbone.

« Hautement improbable »

Mais quatre ans après le lancement de cette stratégie, qui prévoyait la production de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert dans l’UE elle-même (supposant de bâtir dans six ans une capacité d’électrolyse de 140 GW) et l’importation de 10 millions de tonnes supplémentaires d’ici à 2030, il est « hautement improbable » que ces chiffres soient atteints, déplore aujourd’hui la Cour des Comptes européenne. Les auditeurs européens notent que si tous les plans de production d’hydrogène vert qui n’en sont encore qu’au stade d’étude de faisabilité  aujourd’hui étaient concrétisés demain, nous n’aurions encore que 2,7 millions de tonnes. Mais si l’offre ne suit pas, des questions se posent aussi sur l’état de la demande. Selon l’Agence internationale de l’énergie, elle ne devrait pas dépasser 3,8 millions de tonnes en 2030. Donc des deux côtés, les objectifs européens paraissent fumeux.

 « La Commission a fixé des objectifs trop ambitieux concernant la production et l’importation d’hydrogène renouvelable », notent les auditeurs, qui ajoutent, cinglants, «  ces objectifs étaient dictés par une volonté politique, sans reposer sur une analyse rigoureuse. » Les auditeurs demandent qu’une « vérification à l’épreuve de la réalité » soit effectuée pour s’assurer que les objectifs de l’UE sont réalistes et que ses choix stratégiques sur la voie à suivre ne porteront pas atteinte à la compétitivité des industries clés ou ne créeront pas de nouvelles dépendances.

Financements éparpillés

Car pour l’instant, on ne voit pas de vraie vision stratégique.   « Les financements de l’Union européenne (18,8 milliards d’euros pour la période 2021-2027) sont éparpillés sur plusieurs programmes, et les entreprises éprouvent donc des difficultés à déterminer le type de financement le mieux adapté à un projet donné », souligne la Cour des Comptes. La majeure partie de ces financements est absorbée par les États membres qui comptent une part élevée d’industries difficiles à décarboner et qui sont plus avancés dans la planification de leurs projets, en l’occurrence l’Allemagne, l’Espagne, la France et les Pays-Bas.

 « Toutefois, rien ne garantit encore que le potentiel de production d’hydrogène de l’UE pourra être pleinement exploité ou que les fonds publics permettront à l’UE de transporter l’hydrogène vert d’un bout à l’autre de son territoire, des pays dotés d’un bon potentiel de production à ceux où la demande industrielle est élevée », ajoute la Cour.

Lobby hollandais

On ignore si les auditeurs avaient en tête le reportage publié voici quelques mois par le site d’investigation « Follow the Money » (FTM), mais ce site avait lancé au début de cette année une petite bombe, en avançant une hypothèse politiquement incorrecte pour expliquer cet engouement européen irrationnel pour l’hydrogène. FTM avait mis à jour le lobbying intensif de certains experts néerlandais auprès de Frans Timmermans (alors vice-président de la Commission en charge du Green Deal) pour soutenir l’hydrogène à bout de bras. Dans un  speech célèbre, Timmermans avait déclaré :« hydrogen rocks » (traduction libre : l’hydrogène, ça balance) Mais en fait, l’idée des lobbyistes n’était pas de créer une nouvelle industrie, mais de soutenir les logisticiens du gaz néerlandais bien mal en point alors que la production  gazière du pays allait tomber à zéro et que cette infrastructure n’allait plus servir à rien. Il fallait donc trouver un substitut pour continuer à remplir leurs tuyaux.

Evaluation minutieuse

La Cour des comptes appelle en tout cas la Commission « à mettre à jour sa stratégie de l’hydrogène sur la base d’une évaluation minutieuse de trois aspects majeurs: comment calibrer les incitations du marché en faveur de la production et de l’utilisation d’hydrogène renouvelable; comment attribuer prioritairement les fonds limités de l’UE et sur quelles parties de la chaîne de valeur les concentrer; quelles industries l’UE souhaite maintenir, et à quel prix, compte tenu des implications géopolitiques d’une production interne par rapport à des importations de pays tiers ». Bref, avant de dépenser des milliards, il aurait mieux valu d’abord faire une étude de faisabilité.

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