Grégoire Dallemagne (Luminus): “Nous avons intérêt à réduire la consommation”

Grégoire Dallemagne lors de l’inauguration d’éoliennes à Zelzate en 2022. © belga image
Olivier Mouton

Le CEO de Luminus salue la réforme du marché européen de l’électricité qui donne des signaux à long terme. Mais il se dit encore préoccupé pour les deux hivers à venir.

Ce fut un long combat, singulièrement entre la France et l’Allemagne. Mi-octobre, les pays européens se sont enfin entendus sur une réforme du marché de l’électricité. Une réponse importante face aux multiples crises, dont le défi climatique. Mais les prix restent volatils en vue de cet hiver et les attaques contre les infrastructures continuent. Grégoire Dallemagne, CEO de Luminus, évoque ce nouveau moment clé pour les consommateurs.

TRENDS-TENDANCES. Les pays européens se sont enfin entendus sur un nouveau mode de fixation du prix du mégawattheure. Qu’est-ce que cela vous inspire?

GRÉGOIRE DALLEMAGNE. C’est une bonne nouvelle que les pays européens reconnaissent enfin l’importance de donner des signaux de prix à long terme pour permettre les investissements dans les capacités de production ou la prolongation de certaines d’entre elles. C’est absolument nécessaire pour produire suffisamment d’électricité alors que les besoins vont augmenter considérablement pour les industries, le chauffage et les déplacements. De préférence, cette électricité doit être produite au bon moment, en émettant le moins possible de CO2.

Ce mécanisme européen vient complémenter celui de fixation du prix, qui a pour mérite d’induire un fonctionnement le plus efficace possible du marché de l’électricité mais sans donner suffisamment les signaux à long terme. Cette évolution était indispensable.

Ce mécanisme donne de la visibilité, mais cela permet-il de lutter suffisamment contre la volatilité?

Disons qu’en fin de compte, tout le monde a besoin de visibilité. C’est l’idée de gérer son activité à moyen ou à long terme. Pour un producteur, il est vital de pouvoir vendre au-delà du moment immédiat et d’avoir une idée de sa rentabilité sur les prochaines années. Mais c’est tout aussi important pour l’entreprise qui achète de l’électricité d’avoir une telle visibilité par rapport à sa structure de coûts. Cela lui permettra de calculer son prix de revient pour le répercuter vis-à-vis de ses clients, mais aussi de réaliser elle-même des investissements.

Ce cadre européen dépendra également des choix du mix énergétique qui seront faits au niveau national, non?

Oui, bien sûr, mais il a finalement été décidé que ce cadre serait neutre par rapport aux choix posés sur le plan technologique, que ce soit éolien, solaire ou nucléaire, notamment des énergies décarbonées. C’est une autre avancée positive: nous aurons besoin d’un mix électrique diversifié afin de produire suffisamment.

“L’éolien et le solaire ne représentent encore que 4% de l’énergie que l’on consomme.”

En d’autres termes, le 100% renouvelable n’est pas le seul horizon?

Le renouvelable a des mérites évidents. Ce n’est pas pour rien que Luminus est un des plus grands développeurs d’énergies renouvelables en Belgique. Mais il faut garder à l’esprit que l’électricité représente aujourd’hui 18% de l’énergie que nous consommons et que, au sein de ces 18%, le renouvelable ne représente environ que 20%. En d’autres termes, à l’heure où nous parlons, l’éolien et le solaire ne représentent en tout et pour tout que 4% de l’énergie que l’on consomme. Voilà pourquoi un mécanisme favorisant les investissements dans différents types de technologies va dans la bonne direction.

Si un tel accord a pu être conclu au niveau européen, c’est aussi parce que l’électricité a été utilisée comme une arme par la Russie…

Nous traversons différentes tempêtes majeures: une crise géopolitique grave sur deux fronts aux portes de l’Europe, avec toutes leurs atrocités ; une crise climatique pour laquelle nous ne cessons de battre des records en termes de température, de sécheresses ou d’inondations ; sans oublier la forte augmentation des prix de l’énergie en 2022 et une inflation record suite à la reprise post-covid. Ces trois crises doivent nous inciter à une chose: réduire la consommation globale d’énergies fossiles.

C’est la seule solution et nous devons le faire avec des efforts qui impliquent chacune et chacun d’entre nous sur le plan énergétique. Cela doit s’accompagner d’investissements conséquents en matière d’efficacité énergétique. Cela passe inévitablement par l’électrification de tout ce qui peut l’être: la production, la mobilité, le chauffage… L’électricité est un vecteur d’efficacité énergétique, elle peut être produite à grande échelle avec relativement peu d’émissions de CO2 et elle peut être utilisée pour produire des molécules comme l’hydrogène vert.

Cela dit, à court terme, ces foyers de crise mettent sous pression les énergies fossiles dont nous avons toujours besoin…

Bien sûr. Et oui, je suis préoccupé car l’équilibre reste précaire pour l’approvisionnement de gaz en Europe.

C’est déjà le cas pour cet hiver?

La Russie représentait environ 40% de l’approvisionnement du gaz en Europe à travers ses pipelines. On a pu substituer la plus grande partie par du gaz naturel liquéfié (GNL) qui arrive désormais par les ports, mais pas la totalité. Pour ce gaz naturel liquéfié, l’Europe est en concurrence avec l’Asie. Nous dépendons, pour la fixation des prix, non seulement de la consommation chez nous mais aussi de celle en Asie.

“Les conflits géopolitiques à nos frontières ne nous permettent pas d’être complètement sereins.”

Le marché reste en équilibre fragile et, dans le scénario d’un hiver froid et d’une consommation forte en Asie, on pourrait assister à une nouvelle explosion. Pour l’hiver qui arrive, les niveaux de stockage sont vraiment bons, cela devrait contribuer à nous apaiser. Mais les conflits géopolitiques à nos frontières ne nous permettent pas d’être complètement sereins. Ou en tout cas, ils devraient nous inciter à des efforts continus de réduction de nos consommations.

– L’énergie reste une arme: des gazoducs ont à nouveau été pris pour cibles dans la mer Baltique. Il reste une volonté de nous faire mal dans le cadre d’une guerre hybride?

Oui, cela reste malheureusement une arme. Mais encore une fois, par rapport à ces crises, nous avons des leviers d’action dans nos mains, via cette réduction de la consommation et la diversification du mix énergétique. Ces actions nous permettront de répondre à la fois à la volatilité du moment et au défi climatique.

Mais diversifier le mix énergétique, cela s’inscrit dans un temps long. Il faut du temps pour construire les infrastructures, non?

Effectivement. Le choc sur le prix du gaz est arrivé au quatrième trimestre de 2021. La reprise économique post-covid en Asie et en Europe a conduit à un déséquilibre entre la consommation et l’approvisionnement en gaz russe qui arrivait encore en Europe. Les prix ont alors été multipliés par cinq! On est passé de 20 à 100 euros le MWh en quelques mois.

Dès lors que les prix restent élevés un long moment, cela induit un ajustement sur les marchés et cela nécessite un investissement dans l’augmentation de la capacité de transport du gaz liquéfié. Ce sont des infrastructures physiques qui prennent du temps à construire, c’est vrai. Cela impose des terminaux additionnels de liquéfaction aux Etats-Unis ou au Qatar, et des terminaux de regazéification en Europe, comme c’est le cas chez nous dans le port de Zeebrugge. Tout cela est en cours. Les analystes estiment que l’on atteindra un nouveau seuil de production en 2025. Mais l’essentiel, je le répète, c’est que nous avons tous intérêt à réduire la consommation totale d’énergies fossiles.

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