Gil Simon (CEO de Resa): “Il faut investir sans exploser la facture”

© Michel Houet
Amid Faljaoui

À l’heure où les voitures deviennent électriques, les chaudières se transforment en pompes à chaleur et les panneaux solaires fleurissent sur les toits, les gestionnaires de réseaux sont confrontés à un défi colossal : adapter l’infrastructure… sans faire flamber la facture. Gil Simon, patron de Resa, l’un des deux principaux GRD wallons, détaille son plan d’investissement, son rapport avec le régulateur et sa vision des (non) fusions à venir.

À l’heure où les besoins explosent avec l’électrification des usages et où les critiques sur le coût du réseau se multiplient, Resa – le principal gestionnaire de réseaux de distribution (GRD) d’électricité et de gaz en province de Liège – doit relever un double défi : garantir un service public accessible à tous et investir massivement pour préparer l’avenir.

Dans cet entretien, son CEO, Gil Simon, revient sur le rôle du gestionnaire de réseaux, la question sensible du tarif prosumer, les investissements colossaux nécessaires d’ici 2050, mais aussi sur l’avenir du gaz et les perspectives d’une éventuelle fusion avec Ores.

“On ne vend pas d’électricité”

TRENDS-TENDANCES. Beaucoup de citoyens à Liège et dans ses environs pensent que Resa vend l’électricité. Est-ce exact ?

GIL SIMON. Non. Ce temps est révolu depuis la libéralisation du marché. La production, la fourniture et la distribution sont aujourd’hui bien séparées. Resa est un gestionnaire de réseaux : on transporte l’énergie depuis les grandes artères jusqu’aux maisons. Nous ne vendons rien, sauf dans des cas très particuliers.

Comme ?

Nous assurons encore la fourniture dite “sociale”, c’est-à-dire pour les clients protégés ou pour les clients “X” que plus aucun fournisseur commercial ne veut et souvent parce qu’ils ne paient pas leurs factures.

Mais pourquoi continuez-vous à les alimenter ?

Parce que c’est une obligation légale. Personne ne peut être coupé du jour au lendemain. Cela fait partie de nos missions de service public, imposées par décret. Et oui, cela représente un coût, environ 10% de notre activité.

“Le réseau, c’est ce qu’on ne voit pas… mais qui rend tout possible”

Les citoyens, qu’ils soient à Liège ou ailleurs, se plaignent souvent du coût du réseau sur leur facture. Que paient-ils exactement ?

Ils paient l’infrastructure : les câbles, les tuyaux, les postes, les compteurs, la maintenance, les investissements, le personnel. Sans réseau, il n’y a tout simplement pas d’électricité. On peut acheter une voiture, si on n’a pas de route, elle ne roule pas. C’est pareil avec l’électron.

Quelle part cela représente-t-il ?

La distribution pure représente environ 17 à 18% de la facture. Si on ajoute les obligations de service public et d’autres redevances (comme celles versées aux communes), on monte à environ 25%. Mais tout ne va pas dans la poche du GRD. C’est important de le rappeler.

“Investir 3 milliards d’ici 2050”

Avec l’explosion des besoins (pompes à chaleur, voitures électriques…), vous devez investir massivement.

Absolument. Rien que pour suivre cette transition, nous devons investir 800 millions supplémentaires d’ici 2050, en plus de nos investissements classiques. Au total, on parle de 3 milliards d’euros.

Comment financez-vous cela ?

Via l’enveloppe tarifaire autorisée par le régulateur, mais aussi via l’emprunt. Nous avons une notation Moody’s A3, la meilleure pour un GRD en Belgique. Cela nous permet d’emprunter à de bonnes conditions sur les marchés européens. Les investisseurs apprécient la stabilité d’un métier régulé comme le nôtre.

Mais le régulateur ne vous laisse pourtant pas faire ce que vous voulez…

Non, heureusement d’ailleurs. Il fixe les règles du jeu. On ne peut pas investir à l’infini, ni rogner trop sur les dépenses. On discute, on négocie. Sur la période 2025-2029, par exemple, nous avons réussi à obtenir une enveloppe plus importante que ce qui était prévu au départ. C’était indispensable.

Êtes-vous toujours alignés ?

Pas toujours. Sur les scénarios de transition, nous n’étions pas d’accord. Le régulateur nous trouvait trop optimistes sur l’électrification des usages. Mais aujourd’hui, les chiffres donnent plutôt raison à notre scénario, qui rejoint celui de nos collègues flamands de Fluvius.

“Le tarif prosumer, c’est l’équité”

Autre sujet qui fâche : le tarif prosumer. Pourquoi faire payer ceux qui ont investi dans des panneaux solaires ?

Mais parce que ces personnes utilisent le réseau, mais ne le financent pas. Avec l’ancien système, certains ne payaient plus rien du tout, voire recevaient de l’argent. Or, le réseau, ils l’utilisent quand même, notamment quand ils réinjectent leur production.

Ce n’est donc pas une taxe ?

Non. C’est une redevance, décidée par les pouvoirs locaux pour rétablir l’équité. Elle est d’ailleurs quasi nulle pour ceux qui autoconsomment vraiment. Mais elle permet d’éviter que seuls les ménages modestes, et donc qui par definition ne peuvent pas s’équiper, soient les seuls à financer l’infrastructure. C’est une question d’équité !

“Le gaz n’a pas dit son dernier mot”

Le gaz est-il condamné à disparaître ?

Je crois qu’il faut faire attention aux raccourcis. Aujourd’hui, Resa distribue deux fois plus d’énergie gazière que d’énergie électrique, pour deux fois moins de clients. Si on coupe le gaz, il faut que le réseau électrique absorbe cette charge. Il n’est pas prêt. Il faut donc une vision intervectorielle de l’énergie : pas seulement l’électricité, mais aussi des molécules, comme l’hydrogène ou les réseaux de chaleur.

Et cette vision existe-t-elle en Wallonie ?

Pas encore assez clairement. Il y a des études, des intentions… mais il manque une stratégie structurée à long terme.

© Michel Houet

“Une fusion Ores-Resa ? Pas maintenant”

La fusion avec Ores, on en parle depuis des années. Où en est-on ?

C’est un sujet qui revient comme le monstre du Loch Ness. Oui, nous sommes deux grands GRD en Wallonie, mais il y en a cinq au total. Et il y en avait bien plus il y a 10 ou 15 ans. Il y a déjà eu des fusions, des rationalisations. Mais aujourd’hui, est-ce qu’il faut fusionner Resa et Ores ? Je ne le pense pas.

Pourquoi pas ?

Parce qu’on est dans une période où les équipes sont mobilisées à 100% sur des investissements massifs. Une fusion, c’est long, complexe, risqué. Il faut harmoniser les outils, les salaires, les cultures… Et ça détourne l’attention du cœur de métier. J’ai coutume d’utiliser une métaphore : on ne fusionne pas des hôpitaux en pleine crise covid. Ici, c’est pareil.

Mais ne pourrait-on pas au moins faire des synergies ?

Oui. Des synergies ont déjà été faites et nous devons continuer à en faire de façon structurelle. Nous sommes d’ailleurs une force de proposition puisque c’est Resa qui a été à la manœuvre du gros marché dans le cadre du déploiement des compteurs communicants. Nous y avons associé Ores et nous disposons d’un parcours client harmonisé pour le placement de ces compteurs. Aussi, nous avons une centrale d’achat commune via Synergrid, avec des collègues flamands et bruxellois. Il y a plein de choses qu’on peut faire sans fusionner. Soyons pragmatiques et réalistes, et avançons tout de suite, par exemple, en mettant en place des synergies fortes pour des activités où il y a une réelle plus-value de les mettre en commun, comme au travers d’une société d’exploitation commune.

Cette position du statu quo amélioré est-elle partagée par vos actionnaires ?

Oui. C’est la position unanime du conseil d’administration de Resa. Nous voulons avancer, mais pas perdre trois à cinq ans à fusionner sur papier. Si l’avenir nous montre qu’il faut aller plus loin, nous verrons. Mais aujourd’hui, l’urgence, c’est d’investir dans les réseaux. Pas dans des réorganisations.

PROFIL
2001. Licence en sciences politiques et gouvernement
2001-2007. Chef de cabinet adjoint à la Région wallonne
2009-2018. Membre du comité de direction/Secrétaire général chez Nethys
Depuis 2018. Directeur général de Resa

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