Gaz: “nous devons encore être prudents durant deux hivers”

C’est le milieu de l’été et les réserves de gaz de l’Europe sont presque pleines. Le contraste avec l’année dernière ne pourrait être plus grand. On prédisait un hiver rude en raison de l’interruption des livraisons de gaz russe. Quelle est la situation après l’annus horribilis des marchés de l’énergie ? “Nous avons eu beaucoup de chance”, déclare l’expert en énergie Joannes Laveyne.

Joannes Laveyne et Thijs Van de Graaf, spécialistes de l’énergie : “nous devons encore être prudents durant deux hivers avec le gaz”.

À la fin du mois de juillet, les réserves de gaz de l’Europe étaient remplies à 86 %. L’objectif d’atteindre un taux de remplissage d’au moins 90 % d’ici novembre semble donc réaliste. À titre de comparaison, les réserves de gaz européennes n’étaient remplies “qu’à 80 %” à la fin du mois d’août de l’année de crise 2022. Deux spécialistes de l’énergie Joannes Laveyne et Thijs Van de Graaf font le point sur la situation actuelle.

Le marché du gaz se porte nettement mieux qu’il y a un an. Comment la catastrophe a-t-elle été évitée?

THIJS VAN DE GRAAF. “Le principal moment de panique a été lorsque le prix du gaz a atteint un pic de 350 euros par mégawattheure. Ceci dit, je pense que de tels niveaux de prix ne sont de toute façon pas viables. Ce pic n’a d’ailleurs été que de courte durée. Le prix du gaz s’est immédiatement effondré parce qu’avec un tel prix, les consommateurs ne suivent pas. Le marché s’est de lui-même corrigé. En outre, nous avons pu importer des quantités massives de GNL (gaz naturel liquéfié, ndlr). Ce GNL providentiel s’explique par une demande moindre de la Chine. Des cargaisons entières de GNL étaient soudainement disponibles pour l’Europe.

“Nous avons surtout ajusté notre demande de manière considérable, en particulier dans le secteur résidentiel et dans l’industrie. Il y a eu un véritable changement de comportement, mais aussi une recherche d’une plus grande efficacité énergétique. Dans l’industrie, on est ainsi passé à d’autres combustibles que le gaz. La demande a aussi baissé de façon un peu contrainte, puisque des entreprises ont dû fermer temporairement parce que les coûts étaient trop élevés. Il n’empêche que cette baisse de la demande se poursuit encore aujourd’hui. C’est une très bonne nouvelle.

JOANNES LAVEYNE. “Nous avons surtout eu beaucoup de chance. En août dernier, personne n’aurait pu savoir que nous aurions un hiver aussi doux ou que la demande de la Chine serait aussi faible. Cela montre tout le paradoxe de la prévention. L’année dernière, nous avons averti les gens de faire attention à leur consommation de gaz. Et parce que cette mesure a bien fonctionné, elle pourrait être perçue comme inutile ou excessive. Or les alternatives au GNL n’étaient pas aussi développées à l’époque.”

Le site de stockage de gaz de Fluxys à Loenhout est rempli à 98,6 %, un record pour cette période.

LAVEYNE. “Il s’agit d’une réserve technique. Cela ne va pas nous permettre de tenir s’il n’y a plus d’approvisionnement.”

VAN DE GRAAF. “Et cela vaut pour tous les stocks. Notre demande de gaz est plus élevée en hiver qu’en été. Nous importons de manière relativement constante tout au long de l’année. Mais notre demande est plus élevée que nos importations en hiver. Et que faisons-nous pour répondre à ces pics de demande ? Nous utilisons nos stocks. Ainsi, même si nos stocks sont remplis à 100 % en Europe à la mi-septembre – et selon le calendrier que nous suivons, ce sera peut-être le cas -, cela ne suffira pas pour passer l’hiver sans encombre. Ce n’est pas parce qu’ils sont remplis à 100 % que l’on peut dormir sur ses deux oreilles”.

Le plafonnement des prix du gaz dans l’UE a-t-il permis de faire face à la flambée des prix ?

VAN DE GRAAF. “Je pense que le fait qu’il y ait un tel plafond joue dans l’esprit des investisseurs. Supposons que nous ayons de très mauvaises conditions cet hiver et que les prix se rapprochent à nouveau du plafond, ce n’est qu’à ce moment-là que l’on pourra voir s’ils se stabilisent près du plafond ou s’ils le dépassent.

Un autre moment de crise a été l’explosion du gazoduc Nord Stream par un acteur encore inconnu.

LAVEYNE. “Il y a plusieurs théories sur l’identité du coupable. C’est peut-être un peu cynique, mais je pense que nous pouvons conclure que c’était dans l’intérêt de l’Europe. L’explosion de Nord Stream a montré que l’Europe était capable de réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe. Alors que cela semblait insurmontable, cela a été possible dans un laps de temps relativement court. Bien sûr, nous avons bénéficié de certaines circonstances favorables, comme la baisse de la demande en Chine et l’hiver très doux. Mais cela a montré que notre système énergétique est relativement flexible. Plus flexible que ce que beaucoup pensaient.

De toute façon aucun gaz ne circulait au moment du sabotage. La Russie avait elle-même déjà fermé le robinet. C’était de toute façon déjà cuit depuis le 1er ou le 2 septembre de l’année dernière.

Qui, en fin de compte, profite le plus de l’explosion de ce gazoduc ?

VAN DE GRAAF. “Les États-Unis et la Norvège.

Grâce aux réserves de gaz de ces deux pays, nous sommes en sécurité pour l’hiver prochain. N’est-ce pas ?

VAN DE GRAAF. “Il y a encore du gaz qui circule de la Russie vers l’Europe via l’Ukraine, mais cela s’arrêtera à la fin de l’année prochaine. L’accord de transit de 2019 entre la Russie et l’Ukraine ne sera en aucun cas prolongé. Ce flux de gaz s’arrêtera de toute façon le 31 décembre 2024. La Russie peut aussi fermer le robinet plus tôt et c’est pourquoi il faut tout de même se méfier l’hiver prochain.

“J’ai vu des simulations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui partent du scénario où le gaz serait coupé dès le 1er octobre. Dans ce scénario et si l’hiver froid, on risque de se retrouver dans une situation problématique. On se retrouverait alors avec des stocks de gaz inférieurs à 30 % en mars. Ce qui rendrait l’extraction plus difficile, car la pression naturelle serait moindre et le débit plus faible. Il faudra, pour ainsi dire, presque l’aspirer avec une paille pour l’extraire. (rires)

“Je pense qu’il y aura encore deux hivers où nous devrons être prudents. D’ici 2025, il y aura suffisamment de capacité supplémentaire de GNL sur le marché mondial et nous pourrons être plus sereins.”

Fixe ou variable ?

Le prix du gaz continue de baisser : est-ce le moment idéal pour revoir nos contrats d’énergie ? Du variable au fixe ?

LAVEYNE. «Il y a deux choses à retenir en ce qui concerne les contrats fixes. La première : un contrat fixe n’est pas nécessairement le moins cher, mais vous payez pour la sécurité. La deuxième est que sur le marché de l’électricité actuel et certainement à l’avenir, les contrats fixes sont un peu anachroniques. La production d’électricité est de plus en plus variable en raison des énergies renouvelables. L’avenir est également très incertain : à quelle vitesse les énergies renouvelables vont-elles continuer à se développer ? Les prix sont donc de plus en plus difficiles à prévoir. Un fournisseur qui souhaite proposer un contrat fixe aujourd’hui doit prévoir une commission assez élevée pour se prémunir contre toutes ces incertitudes. Je pense que les contrats fixes sont dépassés, ni même de notre époque. Nous allons vers des contrats variables, voire dynamiques, avec des prix qui peuvent varier d’heure en heure. Notre consommation d’électricité augmentera et servira principalement aux pompes à chaleur et aux véhicules électriques. Deux choses que l’on pourra modérer en fonction des prix.

“Et c’est positif à la fois pour les personnes qui possèdent ces appareils, parce qu’elles peuvent alors bénéficier de prix plus bas, et pour les développeurs de systèmes et d’énergies renouvelables. Ceux-ci sont sûrs qu’il n’y aura plus d’excédents, car la demande collera mieux à l’offre d’électricité. C’est ce vers quoi nous devons aller. L’offre et la demande doivent interagir davantage. Un contrat fixe est une sorte de mur entre les deux, tandis que les prix dynamiques permettent de relier l’offre à la demande.

VAN DE GRAAF. “Il est important de vérifier régulièrement si votre contrat d’énergie est toujours le meilleur, car les prix ont beaucoup baissé par rapport à la fin de l’année dernière. “

LAVEYNE. “Je peux recommander à tout le monde de demander le régime 3 sur leur compteur numérique, afin d’obtenir des relevés mensuels. Vous saurez alors parfaitement combien vous consommez. Les fournisseurs qui ont plus de 100 000 clients devraient offrir cela ; toutes les grandes entreprises énergétiques en d’autres termes.”

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