Patrick Pouyanné (TotalEnergies) : “C’est une erreur de croire que nous allons régler le changement climatique en affamant nos concitoyens d’énergie”
Voici quelques jours, le patron de Total Patrick Pouyanné s’exprimait lors de « La Ref », l’université d’été du patronat français.
Et il expliquait la grande difficulté qu’il y a à se retirer immédiatement du pétrole dans un monde qui en consomme toujours plus. Il plaidait aussi pour une transition énergétique heureuse et non punitive.
« Je ne vois pas le pétrole baisser »
Sur les marchés du pétrole et du gaz, la situation va rester tendue pendant un moment. « Nous sommes dans une économie de guerre. Il y a donc des tensions, explique Patrick Pouyanné. Il suffit que l’Arabie saoudite au mois de juin dise : je coupe un million de barils par jour, pour que le baril prenne 10 dollars, parce que malheureusement la demande de pétrole continue d’augmenter. Nous sommes à 102 millions de barils par jour cette année, contre 100 l’an dernier. C’est une augmentation massive dans une économie mondiale qui n’est pas si florissante. Et comme depuis 10 ans nous investissons moins – des entreprises comme la mienne qui investissaient 20 milliards dans les hydrocarbures n’en mettent plus que 10 –la production naturellement diminue. Nous passons de 100 millions l’an dernier à 97. Nous n’avons pas investi assez, et nous avons donc mis un ou deux pays en situation de contrôler le marché. Je ne vois donc pas le pétrole baisser franchement. »
Quant au marché du gaz, il est très fragile, ajoute Patrick Pouyanné. « Cet été, il a suffi d’une rumeur qu’il y aurait des grèves en Australie dans le gaz liquide sur deux usines pour que le gaz européen monte de 30% au mois d’août. Sur une rumeur, car, au passage, il n’y a pas eu de grèves. Malheureusement, jusqu’en 2026, nous dépendons de ce gaz naturel liquéfié, donc d’un marché mondial qui n’a pas d’augmentation de capacité majeure. L’Europe va donc dépendre de la météo. J’espère qu’il y aura quelques hivers cléments. Je ne suis pas très inquiet : nous attaquons l’hiver 2023-2024 beaucoup mieux que l’hiver précédent. Mais il suffit qu’une usine ait des problèmes quelque part pour que nous, en Europe, en subissions les contrecoups. Car c’est nous qui faisons les prix mondiaux. Nous aspirons une part de marché importante. Je suis plus optimiste pour 2026 et 2027 car de nombreuses usines de GNL arriveront sur le marché. Probablement un peu trop d’ailleurs. Donc les prix à mon avis baisseront. Mais d’ici là, il faut survivre. »
« Le problème est qu’il y a la vie réelle »
Patrick Pouyanné a également insisté sur le fait que pour rendre la transition énergétique acceptable par la population, il faut du temps.
« Il y a une erreur de croire que nous allons régler le changement climatique d’un coup, en affamant nos concitoyens d’énergie, dit-il. Cela ne marche pas, ce n’est pas acceptable (par la population). Ce que nous faisons, c’est que, à côté d’avoir un pilier « hydrocarbures », je l’assume, nous construisons un électricien bas carbone renouvelable en investissant 4 ou 5 milliards par an. Nous sommes aujourd’hui dans le 15 plus gros électriciens au monde, et nous serons dans les cinq. Nous ferons cette année (sur cette activité d’électricien) 2 milliards de résultats et nous avons 10% de rentabilité de nos capitaux.
J’entends l’appel, je connais et je respecte l’avis des scientifiques. Le problème est qu’il y a la vie réelle. Quand je suis rentré dans cette énergie dans le monde énergétique il y a 25 ans, les énergies fossiles représentaient 82% du mix mondial. L’an dernier, nous étions à 81%. Alors, il est faux de dire que nous n’avons rien fait. Nous avons investi dans des capacités de massives même s’il faut multiplier l’effort par trois, ce qui est la priorité. Mais pendant ce temps-là, la population mondiale croit. Les populations des pays émergents ont de légitimes besoins. Nous consommons donc de plus en plus d’énergie ».
Patrick Pouyanné ajoute : « la vie réelle, c’est aussi ce qui fait que l’an dernier, face à la crise, l’État n’a pas eu d’autre choix – sans cela, cela aurait été insupportable pour les consommateurs- que de subventionner les énergies fossiles massivement en Europe plus de 500 milliards d’euros. Nous sommes donc dans ce dilemme qui est d’assurer le système énergétique d’aujourd’hui tout en le décarbonant.
Il faut donc changer nos modes de consommation et en même temps construire le nouveau système. C’est une tâche prométhéenne. Cette transition prendra du temps. Si j’arrête d’investir dans les énergies fossiles, la production de pétrole naturellement perd 3% par an, alors que la demande augmente. »
Trois conseils aux chefs d’entreprises
Le patron de TotalEnergies plaide pour une transition énergétique heureuse, dans un monde qui continuera de croître.
« Dans une interview récente, le président de la République (Emmanuel Macron) a dit qu’il fallait faire la transition écologique heureuse. J’y crois beaucoup. Je crois que nous n’arriverons pas par du punitif. Il faut que les gens arrivent à trouver un intérêt à le faire.
S’il y a trois conseils que je peux donner aux chefs d’entreprises qui sont ici c’est que le premier investissement à faire est de de regarder de près vos consommations. Tout ce que vous pouvez consommer de moins est bon pour tout le monde parce que ce sera le meilleur moyen de baisser votre facture. Dans une deuxième étape, vous pouvez vouloir investir dans votre propre énergie, soit directement, soit avec des entreprises comme les nôtres qui vont vous fournir de l’énergie verte. Et le troisième conseil est que si vous pouvez vous engager sur le long terme vous avez une chance d’obtenir des prix moins chers.
Mais je pense que même vis-à-vis de nos citoyens on ne vendra pas la transition énergétique – et c’est le métier de nos leaders politiques – si on n’arrive pas à les convaincre qu’il y a un retour sur investissement à passer d’une chaudière à gaz à des pompes à chaleur. Et par ailleurs, si on ne les aide pas financièrement, il n’y a aucune chance qu’ils le fassent. Il faut qu’on arrive à engager le pays dans une transition écologique heureuse pour que tout le monde y voie un mouvement positif, pour notre industrie, pour notre économie qui sera revivifiée et retrouvera des bases de croissance. Car nous voulons croître. Il ne faut pas se tromper. Le discours qu’il faut combattre est celui qui consisterait à dire qu’avec la réglementation, nous allons décroître. Cela n’a aucune chance d’arriver. L’être humain veut se développer. Il veut croître. Et cela, c’est très profond. »
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