Le fait que les Ukrainiens s’en prennent au commerce du pétrole russe annonce-t-il une nouvelle phase de la guerre ? Et a-t-elle des conséquences directes sur le prix mondial du pétrole et donc sur l’inflation européenne ? “Ces attaques pourraient effrayer le marché pétrolier”, estime Thijs Van de Graaf, spécialiste de l’énergie à l’université de Gand. Mais d’autres facteurs influencent également les prix.
L’attaque de drones navals dans le port pétrolier de Novorossiejsk de vendredi soir visait le pétrolier Sig. Selon l’agence de presse ukrainienne Interfax-Ukraine, le navire aurait transféré du carburant pour l’armée russe. “Il faut replacer cette attaque dans le contexte de l’effondrement de l’accord sur les céréales”, souligne M. Van de Graaf, dont les recherches portent sur la sécurité énergétique, la politique climatique et la politique internationale. “Les Russes ont commencé à bombarder les ports céréaliers ukrainiens, notamment sur le Danube. Cette attaque est donc la réponse de l’Ukraine. Pour la première fois, elle s’en prend au commerce du pétrole russe. Il s’agit d’une nouvelle phase de la guerre et elle a commencé il y a quelques jours seulement. L’Ukraine a-t-elle la capacité de maintenir, voire d’intensifier ces attaques ? L’avenir nous le dira.
Nous avons déjà constaté un effet d’entraînement sur le marché pétrolier, avec une légère hausse des prix du pétrole après ces attaques.
THIJS VAN DE GRAAF. “Les prix du pétrole ont déjà augmenté de 15 à 20 % au cours du mois dernier. Cela se voit également à la pompe. Il n’est pas anormal que les prix du pétrole augmentent pendant les vacances d’été. C’est la saison typique où la demande augmente. Aux États-Unis, c’est la saison des transhumances en voiture. Et beaucoup de gens prennent l’avion. Nous sommes encore loin du niveau de l’année dernière. En juin 2022, le prix du baril était encore de 120 dollars, alors qu’il est aujourd’hui de 86-87 dollars. Le marché pétrolier est relativement stable depuis des mois, malgré l’embargo de l’Union européenne sur les importations de pétrole brut et de produits pétroliers russes. De plus, le G7 et l’Australie se sont mis d’accord sur un nouveau plafonnement des prix du pétrole russe. Plus aucun service, assurance, etc. n’est fourni aux pétroliers russes s’ils vendent du pétrole à plus de 60 dollars le baril”.
Le pétrole russe reste important, malgré ce plafond de prix et ces sanctions.
“Ce plafond de prix n’a pas empêché le pétrole russe de trouver sa place sur le marché. En fait, c’est une bonne nouvelle, car c’était le but recherché : maintenir l’approvisionnement du marché mondial, mais réduire les revenus de la Russie. Il est encore difficile d’estimer le prix déjà payé pour ce pétrole”.
Populaire en Chine et en Inde
Les revenus des Russes ont-ils baissé ? Ils peuvent vendre massivement leur pétrole aux grands consommateurs que sont la Chine et l’Inde.
“Avec l’Inde et la Chine, la Russie a de bons acheteurs pour ses produits pétroliers. En fait, elle est devenue le principal fournisseur de pétrole de ces deux pays. Il semblerait que l’Inde achète du pétrole russe à un prix supérieur au plafond. Mais c’est très difficile à estimer, car cela se fait dans la clandestinité. En effet, il se pourrait que sur les formulaires de douane remplis en Inde, les gens manipulent délibérément les prix pour payer moins de taxes.
A quoi peut-on s’attendre ?
“Il n’y a aucune raison de paniquer. En tout cas, il n’y a pas eu de choc de l’offre dû à ces sanctions, ce qui est une bonne nouvelle pour le marché du pétrole. Cela, et le fait que l’Arabie saoudite a déjà réduit sa production à trois reprises depuis novembre, a permis de maintenir les prix du pétrole à un niveau relativement stable.
Il y a donc eu pas mal de changements sans que cela ait un impact puisque le prix du pétrole est resté relativement stable. La légère hausse de ces dernières semaines est-elle le début d’une grande courbe ascendante d’ici l’automne ? Il est impossible de le dire pour l’instant. Les perspectives économiques moroses de la Chine et d’autres régions du monde, dont l’Europe, font baisser le prix du pétrole. Bien sûr, la demande est aussi un paramètre très important. Alors oui, il y a une hausse, mais il n’est pas du tout certain qu’elle se poursuive. Les prix peuvent tout aussi bien continuer à fluctuer. Ils peuvent le faire un peu à la hausse, mais aussi à la baisse. Il se peut même qu’ils atteignent 100 dollars le baril avant de redescendre.”
Laurens Bouckaert
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