Efficacité énergétique : Comment mieux utiliser l’énergie ?
Comment utiliser plus efficacement l’énergie dont nous disposons? Le sujet, souvent négligé, a fait un retour fracassant en 2022 avec la crise énergétique. L’efficacité énergétique est à son plus haut niveau, pourtant c’est encore loin d’être suffisant.
Les investissements mondiaux dans l’efficacité énergétique vont atteindre un niveau record en 2023, mais ils devront encore tripler annuellement si le monde veut tenir sa trajectoire de neutralité carbone face aux déréglements climatiques, prévient l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un rapport publié mercredi. Le sujet de l'”efficacité” est tellement important mais aussi tellement sous-estimé que l’Agence, émanation de l’OCDE, a réuni cette semaine à Versailles 700 décideurs, dont des PDG et plus de 30 ministres, de Chine, de l’UE ou encore d’Indonésie, pour lui donner un coup d’accélérateur.
“Efficacité énergétique”: de quoi s’agit-il ?
“quand on parle d’énergie propre, les Etats pensent encore souvent renouvelables, solaire, hydrogène… C’est important, mais il faudrait penser plus aussi à la manière dont on utilise l’énergie”, souligne Brian Motherway, responsable Efficacité à l’AIE. L’efficacité énergétique, c’est consommer “moins d’énergie pour un même service rendu par un appareil ou une technologie”, explique Marie Rousselot, responsable du sujet chez Enerdata, un bureau d’études spécialisé dans l’énergie. A ne pas confondre avec la sobriété, surtout “liée à des changements de comportement ou d’usage”, comme le fait de baisser son chauffage à 19°c.
Pour l’AIE, l’efficacité énergétique permettrait de parcourir la moitié du chemin vers la neutralité carbone en 2050, si bien qu’elle est parfois considérée comme la première brique de la transition énergétique: le “first fuel” (premier carburant). “Souvent les gouvernements n’y accordent pas assez d’importance”, relève Brian Motherway, expert à l’AIE. Or, elle sera particulièrement importante au cours de cette décennie: “plus nous consommerons notre énergie de manière efficace et moins il nous faudra investir en panneaux solaires, en nucléaire ou en réseaux”.
2022, tournant ou exception?
Après des années de progrès limités, l’ambition des gouvernements sur l’efficacité a crû en 2022, avec la flambée des prix de l’énergie, constate l’AIE. Rénovation des bâtiments, transports publics, infrastructures destinées aux véhicules électriques… Ces investissements devraient atteindre 624 milliards de dollars cette année, selon le rapport. C’est 20% de plus par rapport à 2021. L’efficacité dans l’usage de l’énergie (moins d’énergie consommée pour un même service rendu) est revenue à l’avant-scène l’an dernier avec la flambée des prix du gaz, du pétrole, de l’électricité, encore accentuée par la guerre en Ukraine. Elle représente par exemple un quart des mesures de l’Inflation Reduction Act de l’administration américaine. Le Green Transformation Plan du Japon s’intéresse à l’efficacité dans les immeubles, le REPowerEU a rehaussé les objectifs de l’UE, l’Inde a adopté un projet de “conservation de l’énergie”, le Chili une loi efficacité… Du côté des équipements, les ventes de pompes à chaleur ont crû en 2022 de 10% mondialement (+40% en Europe), les véhicules électriques ont représenté 14% du total écoulé (18% attendu en 2023) et les technologies de gestion énergétique de la maison se développent, mais moins nettement. Les normes progressent aussi, en place dans plus de 100 pays, a recensé l’AIE, qui cite l’Afrique du Sud où les nouvelles lampes devront être équipées en LED. Résultat, l’efficacité de l’énergie a globalement augmenté de 2,2% l’an dernier, quatre fois le taux des deux années précédentes.
Mais ces progrès sont fragiles: “une part de l’attention risque de s’atténuer” avec la stabilisation à court terme des factures et les moindres tensions sur le gaz, met en garde Brian Motherway. “Or, ce serait une erreur de penser que la crise est derrière nous, l’hiver prochain s’annonce tout aussi difficile que le précédent”.
Où sont les marges de progrès ?
“Partout”!, répondent les spécialistes, qui insistent notamment sur l’amélioration de l’habitat. En Europe par exemple, la courbe des investissements dans ce secteur est “plate”, souligne l’AIE. Même si les ventes de pompes à chaleur, destinées à remplacer des chaudières fioul ou gaz, y ont crû de 40% en 2022. Les bâtiments tertiaires représentent, eux, par exemple en France, un tiers de la consommation électrique en hiver. Selon RTE, gestionnaire du réseau à haute tension, ils pourraient “faire 20% d’économies sans d’énormes efforts”, avec “un peu de prise de conscience et de la gestion technique”. Par exemple, “ne pas avoir des fenêtres ouvertes quand on chauffe”, explique Marie Rousselot.
L’industrie, frappée de plein fouet par l’explosion des prix de l’énergie, s’est emparée du sujet. En revanche, les PME ont plus de difficultés: or, sur la décennie à venir, elles représentent 70% des économies potentielles dans l’industrie, selon l’AIE.
La climatisation est un autre enjeu. “D’ici 2050, 10 climatiseurs seront achetés chaque seconde. Mais le climatiseur moyen acheté aujourd’hui est littéralement deux fois moins efficace que le meilleur” appareil disponible aujourd’hui, selon Brian Motherway.
“Dix ans pour agir”
Et pourtant, tout cela ne suffit pas. “Un élan fort pousse l’efficacité énergétique, et depuis un an et la crise mondiale de l’énergie, des mesures sont prises dans des pays représentant plus de 70% de la consommation énergétique globale”, souligne le directeur de l’AIE, Fatih Birol. Mais “maintenant il faut passer à la vitesse supérieure, et doubler les progrès d’ici la fin de la décennie”, prévient-il. Doubler ces progrès et donc les relever à 4% par an permettrait de réduire d’un tiers d’ici à 2030 la demande mondiale d’énergie et les émissions de CO2 du secteur, conformément au scénario de neutralité carbone à l’horizon de 2050 destiné à protéger le monde des pires effets du réchauffement. Pour cela, les investissements devront tripler, à plus de 1.800 milliards de dollars annuels d’ici 2030.
Pour Jean-Pascal Tricoire, président du groupe Schneider Electric, poids lourd mondial de la gestion de l’énergie, la réponse est aussi technologique. Dans le bâtiment, “la digitalisation” et la “domotique” permettent d’économiser 30% d’énergie, dit-il, notamment parce que l’utilisateur suit de près sa consommation et est “responsabilisé”. Idem quand la production est plus décentralisée, ajoute-t-il: “en Europe, si on équipait toutes les toits équipables en solaire, on pourrait diminuer l’impact sur les besoins électriques de 20%”.
L’enjeu est particulièrement fort dans les pays émergents et en développement, qui accueilleront l’essentiel de la croissance démographique attendue. L’Afrique et l’Inde devraient construire 100 milliards de m2 de bâtiments dans les 30 ans à venir. On construit encore beaucoup “avec des niveaux d’efficacité énergétique très faibles”, et les occupants de ces bâtiments seront les premiers à en souffrir, souligne M. Motherway. “Même des normes de base qui n’augmentent pas nécessairement le coût de la construction feraient une énorme différence”.
Ces progrès seraient donc également synonymes de bénéfices sociétaux notamment dans les pays en développement, fait valoir l’AIE, une énergie plus efficace étant susceptible de bénéficier à un plus grand nombre d’usagers. Quelque 625 millions de personnes dans le monde restent aujourd’hui sans accès à l’électricité, selon un bilan publié mardi par l’AIE, l’ONU et la Banque mondiale. Et environ 2,3 milliards d’humains restent dépendants pour faire la cuisine de combustibles nocifs.