Dis tonton, c’était quoi les chocs pétroliers ?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En entendant les plus anciens membres de la famille parler de dimanches sans voiture et de chocs pétroliers, mes neveux se sont tournés vers moi hier en m’interrogeant de leurs yeux candides. C’est quoi un dimanche sans voiture ? Ils ont bien regretté d’avoir posé la question.

Dis, c’est quoi les dimanches sans voiture ?

Bon, les enfants, asseyez-vous parce que ça va bien prendre 5 minutes pour comprendre.

Pas plus hein, parce qu’on va jouer…

Il faut savoir qu’après 1945 et jusque dans les années 70, l’économie des Etats-Unis et de l’Europe a carburé au pétrole. On le trouvait partout, pour faire bouger les voitures et les avions, pour produire de plus en plus de jouet en plastique, pour  produire de la mousse synthétique et des tissus… On en consommait d’autant plus que l’économie redémarrait après la guerre, que la population augmentait avec le baby-boom, que la croissance était forte et que le baril était vraiment très bon marché : 1,5 ou 2 dollars.

La guerre du Kippour

Mais la politique s’en mêla. Le 6 octobre 1973, le jour du Grand Pardon (Kippour),l’Egypte et la Syrie envahissent Israël. Mais un pont aérien américain approvisionne Israël en armes et permettra la victoire israélienne. En rétorsion, les pays producteurs de pétrole, réunis au sein de l’OPEP, décrètent un embargo sur les Etats-Unis et la production de pétrole est drastiquement réduite. Ils décident de produire chaque moins 5% de moins jusqu’à ce qu’Israël se retire des territoires occupés.

 Les Etats-Unis sont certes un grand producteur d’or noir, mais ils ne peuvent pas compenser cette perte de production mondiale car ils avaient passé leur pic de production de pétrole classique (à l’époque on ne parle pas encore de pétrole de schiste) deux ans plus tôt, en 1971.  Le baril, qui valait environ 2,6 dollars à l’époque, bondit pour frôler les 12 dollars en janvier 1974, puis atteindre 16 dollars. Il ne redescendra pas. Car les tensions persistent au Moyen Orient. Et en 1979, c’est d’un autre pays, l’Iran, que viendra le coup de grâce. Le 8 septembre 1978 éclate la révolution iranienne. Le Shah d’Iran, soutenu par les Etats-Unis, doit s’en aller, Une république islamique s’installe. Mais comme l’Iran est un grand pays producteur, les marchés prennent leur et le prix du baril passe à 40 dollars. C’est l’équivalent de 140 dollars d’aujourd’hui environ.

On peut aller jouer ?

Attendez, ce n’est pas fini.

 Les conséquences de ces deux chocs furent terribles. Les industriels, qui utilisaient beaucoup d’or noir, répercutèrent le prix de l’énergie dans leur produit et l’inflation dépassa les 5% presqu’une dizaine d’années. Pendant près d’un an, on connu même des gtaux dépassant les 10%, obligeant les banques centrales à remonter les taux d’intérêt. Ils atteindront un moment près de 20% aux Etats-Unis, fin 1980, début 1981. Evidemment, les entreprises subirent un choc important. Entre 1970 et 1980, chez nous en Belgique, le nombre de chômeur indemnisés est passé de 3 à 11,8% de la population active. Et c’est pour essayer de consommer moins de pétrole, qu’on inventa, d’abord aux Pays Bas puis chez nous, les dimanche sans voiture en novembre 1973. Et on limita aussi la vitesse à 80km/h sur les routes et 100 km/h sur autoroutes.

Le choc de 2003-2008

On peut allez jouer maintenant ?

Encore deux minutes. L’histoire se poursuit.

 On a vécu un troisième choc pétrolier bien plus récent, entre 2003 et 2008, année qui correspond au pic de la production de pétrole classique. Sur ces cinq années, le baril est passé de 25 à 147 dollars (un record enregistré en juillet 2008), poussé par la demande des pays émergents, et notamment la Chine qui rattrapait à toute vitesse les vieilles économies développées, alors que les réserves de pétrole classique, celui qui est le moins cher à extraire, ont donné leur maximum. L’Agence internationale de l’énergie estime que le pic de la production de pétrole classique a eu lieu en 2008. D’ailleurs, en mai 2008, la banque d’affaires Goldman Sachs publie une fameuse étude qui  estime probable de voir le baril atteindre les 200 dollars. Mais au final, il n’en sera rien, en raison du déclenchement de la grande crise financière en septembre, qui va mettre les économies au ralenti pendant quelques années.

Un quatrième choc

Alleeez, on va jouer.

Attendez….  J’ai pourtant une dernière chose à dire

Depuis, le marché du pétrole est très tendu car on marche sur la corde raide.  Le pic de production tout pétrole confondu (huile de schiste, pétroles non conventionnels…) devrait être atteint entre 2025 et 2030. Les pétroliers le savent (en 2021, TotalEnergies avertit d’un pic de production mondial aux alentours de 2025), et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) le dit depuis plusieurs années.  Et pour profiter de cette tension, dans le contexte de la guerre en Ukraine et du cap théorique de 60 dollars que les principaux pays industrialisés ont voulu imposer au pétrole russe, les pays producteurs ont réagi, en coupant la production en juillet, puis encore aujourd’hui, en septembre. La réduction atteint environ 4 millions de barils par jour, alors que le monde en consomme 102 millions et que les producteurs n’en produisent plus que 97. Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont pu compenser ce déficit en puisant dans leurs réserves stratégiques, mais elles sont au plus bas. Et c’est pour cela que le baril est reparti vers les 100 dollars. Bon, allez, vous pouvez jouer maintenant…

Prix nominaux du pétrole

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