Dans la Ruhr, l’industrie lourde compte sur l’hydrogène pour se désintoxiquer des fossiles

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Au cœur d’un complexe chimique de la Ruhr, en Allemagne, deux douzaines de modules d’électrolyse rutilants sont prêts à démarrer. Leur destination: produire de l’hydrogène vert pour l’industrie lourde qui tente de se désintoxiquer du charbon et de réduire sa dépendance au gaz fossile.

Les fines membranes empilées composant chaque module formeront le plus grand électrolyseur d’Europe, dont la mise en service à Oberhausen est prévue d’ici quelques jours pour décarboner des usines alentours.

Dans cet équipement, l’eau et l’électricité vont se rencontrer: sous l’effet du courant, les atomes de l’eau -hydrogène et oxygène – vont se séparer, permettant la production en quantité industrielle d’hydrogène dit “vert”. A condition que l’électricité utilisée soit elle-même issue d’énergie non fossile, pratiquement pas de CO2 ne sera émis, à l’exact inverse des techniques actuelles de production d’hydrogène, dit “gris” car à base de méthane.

Ce qui tombe bien. Dans la Ruhr du charbon et de l’acier, dans l’ouest de l’Allemagne, la vieille industrie rhénane cherche à se décarboner pour survivre, après avoir largement contribué au réchauffement climatique depuis le début de l’ère industrielle.

L’hydrogène vert est l’un des outils privilégiés par le secteur de l’acier pour faire baisser son bilan carbone.

Le sidérurgiste allemand Thyssenkrupp, deuxième en Europe derrière ArcelorMittal, compte ainsi transformer ses quatre haut-fourneaux historiques de Duisbourg. L’hydrogène lui servira à désoxyder le minerai de fer nécessaire pour fabriquer l’acier, remplaçant le charbon qui joue ce rôle depuis un siècle et demi.

“Révolution industrielle”

Le long du Rhin, ce premier site de production d’acier vert, dit “en réduction directe”, est censé démarrer fin 2026. La décision finale d’investissement a été prise “en septembre”, explique Marie Jaroni, directrice décarbonation du sidérurgiste.

Thyssenkrupp, qui admet être responsable à lui seul “de 2,5% des émissions de CO2 de l’Allemagne”, a décroché une subvention européenne de 2 milliards d’euros sur les 3 milliards d’investissements dans cette première unité. La puissance et le nombre d’électrolyseurs dont il aura besoin n’est pas encore rendu public.

“C’est un changement total de méthode de production de l’acier”, souligne Mme Jaroni.

Tous ces changements de procédés équivalent à une “révolution industrielle”, acquiesce le ministre français de l’Industrie Roland Lescure. Celui-ci était la semaine dernière à Berlin pour baptiser une société franco-allemande dans l’électrolyse formée par Siemens Energy et Air Liquide.

La nouvelle gigafactory de Siemens Energy fabriquera des modules d’électrolyse, qu’Air Liquide utilisera pour composer des électrolyseurs. Prochain client: la raffinerie TotalEnergies de Normandie.

Pour le chancelier allemand Olaf Scholz, présent à l’inauguration de la factory, cette évolution est un “conte de fées industriel”. En effet, 12 électrolyseurs ont le même bénéfice climatique que 25 millions d’arbres, a-t-il calculé.

“Nous avons une industrie basée sur l’énergie et les ressources, mais beaucoup basée sur le charbon”, admet Samir Khayat, directeur général de l’agence chargée d’organiser la décarbonation du land de Rhénanie du Nord-Westphalie, où se trouve la Ruhr. Basée sur le gaz aussi, 30% de la chimie allemande, grosse consommatrice, est installée dans cet État industriel responsable de 6% des émissions de gaz à effet de serre du pays.

“Course contre la montre”

Mais la transition est “une course contre la montre”, reconnaît-il. “Nous n’avons pas beaucoup de temps. Si nous ne le faisons pas, nous sommes perdus”, ajoute ce responsable.

Reste à trouver les financements gigantesques pour acheter les électrolyseurs et augmenter la production électrique décarbonée nécessaire à leur fonctionnement.

Cette situation est d’autant plus sensible qu’avec la flambée des prix de l’énergie en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine, certains industriels comme le chimiste allemand BASF, ont renoncé à des investissements en Allemagne pour produire aux Etats-Unis ou en Chine, où l’énergie est moins chère.

“La disponibilité de l’électricité va devenir un facteur clé”, relève M. Khayat. Pour sa première usine avec électrolyseur, ThyssenKrupp assure avoir déjà bouclé des accords d’approvisionnement en électricité. “Mais il y en a trois autres derrière”, s’inquiète Mme Jaroni.

Au total, le sidérurgiste aura besoin de 140.000 tonnes d’hydrogène par an pour chaque système de réduction directe du fer installé, soit plus de 500.000 tonnes au final. Des proportions démesurées. A titre de comparaison, l’électrolyseur d’Oberhausen, le plus grand d’Europe pour l’instant, sera seulement capable de produire entre 3.000 et 6.000 tonnes par an.

“Ce qui compte, c’est de tester la technologie, de fournir les clients rapidement, de recueillir les données d’exploitation afin d’augmenter en capacité rapidement”, répond Gille Le Van, vice-président pour les industries lourdes et la transition énergétique d’Air Liquide en Europe centrale.

Pour Anne-Laure de Chammard, une Française qui dirige la branche hydrogène de Siemens Energy, “les trois prochaines années vont être déterminantes” pour voir si le marché de l’hydrogène décolle.

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